Il demeura strictement immobile et eut l’impression que la femme allait tirer. Son regard n’était plus posé sur le visage de Malko, mais sur sa poitrine. Et puis, soudain, ses traits se détendirent, elle abaissa son revolver et sourit carrément à Malko.
— Quelle surprise ! dit-elle.
Elle semblait le connaître, alors qu’il était certain de ne jamais l’avoir vue. Il l’examina avec plus de soin. Elle était très mince, avec de courts cheveux noirs, un nez un peu busqué, et une bouche immense et rouge qui lui mangeait tout le visage. Achevant de descendre l’escalier, elle s’avança vers Malko, posa son revolver sur une console.
— Ravie de vous recevoir chez moi, Mr Linge.
Elle se retourna et appela à haute voix :
— Yasmin, nous avons de la visite !
Trente secondes plus tard, Yasmin surgissait dans le hall. Elle s’arrêta net en reconnaissant Malko. Pendant plusieurs secondes, elle le dévisagea comme si c’était un fantôme. Ses lèvres bougeaient sans qu’elle arrive à parler. Puis, elle secoua la tête, comme pour se débarrasser d’un cauchemar, et dit d’une voix mal assurée :
— Que faites-vous ici ?
— Je vous ai cherchée à votre hôtel, dit Malko.
Une grande ride se creusa entre ses sourcils bien dessinés, comme si un élément vital lui échappait.
— Mais… Mais…, répéta-t-elle. Les mots ne sortaient pas. Elle finit par lâcher d’une voix un peu plus calme :
— Comment m’avez-vous retrouvée… ?
— Votre taxi, expliqua Malko. Il m’a conduit. Pourquoi avez-vous disparu ainsi ?
La femme brune et mince écoutait leur dialogue avec un sourire amusé. Yasmin dit d’un ton un peu sec.
— J’avais de bonnes raisons.
— Lesquelles ?
Elle n’eut pas le temps de répondre. Celle qui avait surpris Malko, lui lança :
— Elle était en danger. C’est moi qui lui ai conseillé de venir se réfugier chez moi. Elle ne voulait pas retourner à Islamabad aujourd’hui. Le choc de la mort de Bruce l’a trop fatiguée. Elle m’a parlé de vous. C’est pour cela que je vous ai reconnu.
Elle lui tendit la main.
— Je m’appelle Nasira Fadool. Venez dans le salon. Nous y serons mieux.
Ainsi, c’était la femme dont Sayed Gui lui avait parlé. Et la mystérieuse amie mentionnée par Yasmin. Cette dernière semblait encore troublée, comme si la présence de Malko la dérangeait. Ils s’installèrent dans un living sobrement meublé où deux grands ventilateurs entretenaient une fraîcheur relative. Nasira Fadool sourit à Malko.
— La nuit, j’écoute tous les bruits. Je crains toujours un attentat. Je vous ai entendu marcher sur le gravier. Je suis sûre que ce porc de Najeh était endormi !
— Je le crains, dit Malko. Dites-moi maintenant pourquoi vous avez « enlevé » Yasmin.
Nasira alluma une cigarette. Malko était fasciné par sa bouche, disproportionnée avec son visage. Elle souffla une longue bouffée avant de lui répondre.
— Il y a des gens du Khad à Peshawar qui veulent tuer Yasmin, dit-elle.
— Pourquoi ?
— Je n’en sais rien. Peut-être seulement la vengeance. Peut-être à cause de Bruce. Ils pensent qu’elle est au courant de certaines choses.
Malko hocha la tête.
— J’ai été victime d’un attentat ce soir. C’est un miracle que je sois vivant.
Elles écoutèrent le récit de l’incident du bazar en échangeant des regards entendus. Lorsque Malko eut fini, Nasira lança :
— Vous ne m’étonnez pas. Ces gens sont très dangereux. Et ils ont des complices.
Sa phrase était lourde de sous-entendus. Malko releva aussitôt.
— Vous parlez de Sayed Gui ?
Sa bouche s’agrandit encore en un sourire prudent.
— Lui, sûrement pas, mais les gens qui l’entourent, oui.
— Comment le savez-vous ?
Nasira Fadool lui jeta un regard plein de commisération.
— Depuis quatre ans, je recueille des renseignements sur la Résistance et le Khad. J’ai des centaines de collaborateurs bénévoles qui m’apportent tous les jours des bribes d’informations. Je finis par en connaître plus que les satellites américains. Mr Hall ne l’ignore pas, il me consulte souvent. Alors, je sais beaucoup de choses sur beaucoup de gens. Ils n’aiment pas cela. On a déjà essayé de me tuer.
— Pourquoi ne dénoncez-vous pas les traîtres ?
Elle eut une mimique pleine de mépris.
— Les gens de la Résistance me détestent. Pour deux raisons. D’abord parce que je suis une femme, donc un être inférieur à leurs yeux. Ensuite, une kabuli, une habitante de Kabul, une moderne. J’ai toujours refusé de me voiler. Eux vivent au Moyen Age.
Son ton était monté. Malko intercepta le regard admiratif, presque amoureux, de Yasmin. Nasira devait oser tout ce qu’elle n’osait pas. Cette dernière se calma d’un coup et continua d’un ton plus posé.
— On vous a menti, je le sais. En vous disant que Khaled Khan n’avait rien à voir dans la mort de Bruce Kearland. C’est faux et je vais vous dire pourquoi. Il possède plusieurs laboratoires de transformation d’héroïne près de Landikotal. Or, il reçoit l’opium brut des zones contrôlées par les Soviétiques. Il est bien obligé de rendre des services… C’est lui qui a dénoncé Bruce Kearland au Khad. Et Sayed Gui le sait.
Malko ne répliqua pas, atterré. Nasira lui adressa un sourire radieux.
— Assez pour ce soir. Ici, vous êtes en sécurité. Il ne faut pas attaquer le Khad de front comme vous l’avez fait ! Ils vous tueront et personne ne pourra vous protéger. Vous ne les connaissez pas, ils ont des ordres et ce sont des fanatiques.
Elle se leva.
— Bonne nuit, je vous laisse un peu bavarder avec Yasmin. Elle vous montrera votre chambre. La place ne manque pas dans la maison.
Malko la regarda disparaître, un peu suffoqué. Yasmin ne semblait pas encore remise de sa surprise. Elle croisa les jambes, faisant tinter les bracelets de sa cheville. Les aréoles brunes de ses seins se dessinaient nettement sous sa djellabah, et, de nouveau, Malko sentit son esprit déraper. Comme si elle avait deviné ses pensées, elle se leva.
— Venez, je vais vous montrer votre chambre.
Malko n’avait pas tellement l’intention de passer la nuit là, mais il ne dit rien. Elle alluma une pièce, vide à l’exception d’un lit.
— C’est ici. La salle de bains est là. Bonsoir.
Elle s’en allait déjà. Sans un mot, Malko, en deux enjambées, la rattrapa, la prit par le poignet et la colla contre lui. Il vit deux yeux noirs affolés, une bouche entrouverte qu’il écrasa d’un baiser. Et de nouveau, le miracle se produisit. Yasmin, si distante quelques instants auparavant, sembla fondre dans ses bras. Sa langue s’enroula docilement autour de la sienne, ses seins semblèrent se placer d’eux-mêmes sous ses doigts.
Elle se laissa conduire sur le lit, attendit pendant qu’il se débarrassait hâtivement de ses vêtements, les mains posées sur ses seins, comme pour se protéger. Il écarta presque avec rage la légère djellabah, puis se ficha en elle d’une seule poussée, lui arrachant une longue plainte. Ensuite, il se mit à la labourer brutalement, jusqu’à ce que leurs chairs claquent l’une contre l’autre, repliant une de ses cuisses charnues pour aller encore plus loin.
Les yeux révulsés, les mains accrochées aux barres de cuivre du lit, Yasmin subissait son assaut en femelle soumise et heureuse de l’être. Quand il explosa, elle l’accompagna d’un râle sifflant qui se termina en cri bref.
Malko retomba à côté d’elle, le souffle court, apaisé. Il existait une sorte de magie entre eux. Le magnétisme de Yasmin lui vidait le cerveau. Tourné sur le côté, il se mit à lui caresser les hanches et les seins, à embrasser la belle bouche gorgée de sang. L’expression de Yasmin était absolument indéchiffrable, mais une de ses mains emprisonna le sexe de Malko pour une tendre caresse. Ils restèrent ainsi un temps qui lui parut très long. Et soudain, il eut la sensation d’une présence. Il n’eut pas le temps de se poser de question. Une main fine et brune apparut, et se posa sur celle de Yasmin.