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— Un cousin, fit le jeune barbu de sa voix modeste.

Un Afghan grassouillet aux yeux intelligents fendit la foule et les rejoignit. Presque chauve, nu-tête, de belles dents, des mains soignées. Une tête de bourgeois ou de grand propriétaire. Sayed Gui se tourna vers lui.

— Tu le connais ? demanda-t-il en désignant le jeune barbu.

L’Afghan l’examina et secoua la tête.

— Non.

— Alors ? jeta Sayed Gui au barbu.

Celui-ci ne se démonta pas.

— J’ai une lettre pour lui, annonça-t-il. De mon cousin.

Il plongea la main dans la poche de son gilet d’un geste naturel et la ressortit aussitôt. Malko vit l’objet noir qu’il tenait et qui ressemblait à un stylo.

Tout se passa en quelques fractions de seconde. L’expression du jeune homme se modifia, ses yeux jetèrent un éclair, sa mâchoire se crispa, comme son bras partait en avant. Il y eut une détonation sèche et une tache rouge apparut sur le front de Sholam Nabi qui tituba, la bouche ouverte, une expression d’intense surprise sur ses traits empâtés.

Puis, il tomba en arrière, les yeux déjà révulsés. La balle que venait de lui tirer en plein front le doux jeune homme barbu, lui avait traversé le cerveau.

Chapitre XI

Pendant quelques secondes, l’onde de choc de la détonation sembla avoir paralysé tous les témoins du meurtre. Profitant de cette immobilité, le jeune barbu jeta à terre l’arme avec laquelle il avait tiré, recula, plongeant dans la foule de mudjahidins. Dans la confusion, il parvint à rompre le cercle et s’enfuit à toutes jambes à travers la cour, vers le mur du fond. Asad, revenant à lui, poussa un rugissement et lâcha une rafale de Kalachnikov en l’air. Ce fut le réveil de la Belle au Bois Dormant ! Tous les mudjahidins présents se ruèrent comme un seul homme à la poursuite du fugitif, brandissant leurs armes et tirant dans sa direction en dépit des injonctions de Sayed Gui qui s’égosillait.

— Prenez-le vivant ! Ne le tuez pas !

Arrivé au fond de la cour, le jeune barbu bifurqua à droite et se rua dans un escalier.

Malko s’était également élancé à sa poursuite, laissant au milieu de la cour le corps de Sholam Nabi et l’arme qui l’avait tué, un stylo-pistolet. Sayed Gui boitillait derrière ses troupes. Au lieu de s’engager dans l’escalier emprunté par l’assassin, Malko passa sous la voûte aboutissant de l’autre côté du bâtiment. Le jeune barbu, pour tenter une sortie, devait fatalement redescendre. Malko déboucha dans la seconde cour déserte. Il était à peine arrivé qu’il vît au-dessus de sa tête le barbu enjamber la balustrade de la galerie extérieure du premier étage et sauter. Il atterrit pratiquement dans les bras de Malko.

Lorsqu’il vit le gros pistolet noir braqué sur lui, il s’immobilisa, le dos au mur, respirant bruyamment, ses yeux affolés roulant comme des billes dans leurs orbites.

— N’essayez pas de fuir ! dit Malko.

Quelques instants plus tard, les premiers éléments de la meute surgirent. Malko prit quelques coups de crosse, en s’opposant à un lynchage immédiat. Sayed Gui arriva enfin, glapissant comme une sirène et calma les plus excités. Il était temps ! Le jeune barbu n’avait plus guère figure humaine. Un vieux mudjahidin lui arrachait la barbe à pleines mains, tandis que d’autres le bourraient de coups. Certains, plus sournois, le piquaient avec leur poignard.

Il fallut l’intervention d’Asad pour le dégager. Il le chargea sur son épaule comme un paquet et d’autres gardes tirèrent des rafales de Kalachnikov en l’air pour écarter la foule des mudjahidins déchaînés.

* * *

Une haie silencieuse et haineuse d’hommes en armes tapissait les murs du bureau de Sayed Gui, les yeux fixés sur la silhouette fragile au milieu de la pièce. Jandad était nu comme un ver, à l’exception d’un caleçon en loques, et son corps était marbré de bleus. On lui avait lié les mains derrière le dos avec une corde dont l’extrémité était dans les mains d’Asad, comme on tient un animal. Le sang avait séché sur son visage mais son œil gauche était fermé, caché par un énorme hématome rougeâtre. On voyait à peine son sexe recroquevillé dans les poils noirs. La blancheur de son torse était saisissante. Ainsi, il paraissait à peine seize ans. Sur le bureau de Sayed Gui, s’étalait le contenu de ses poches. Quelques roupies, une douzaine de cartouches calibre 6,35, découvertes dans la doublure de son charouar, une carte de réfugié, quelques papiers et une note manuscrite en dari que Sayed Gui tenait en main.

— Pourquoi as-tu tué cet homme ? demanda Sayed Gui.

Silence. Grondement des gardes. Une culasse claqua et Asad jeta un regard furieux vers le propriétaire de l’arme. Puis il tira sur la longe, faisant tituber le prisonnier pour l’inciter à répondre. Le jeune barbu baissa la tête, muet. Sayed Gui prit le stylo-pistolet et le brandit sous son nez :

— Qui t’a donné ça ?

Silence. Le directeur du renseignement le prit par les cheveux et lui montra le papier trouvé dans ses poches.

— Pourquoi as-tu ça ? C’est la description de Sholam Nabi. Tu étais ici pour l’assassiner.

Pas de réponse. Le jeune homme baissait la tête, têtu. Sayed Gui jeta un ordre et Asad l’entraîna dehors, comme une vache, emmenant avec lui le flot des gardes. Dès qu’ils furent seuls, Malko demanda à Sayed Gui :

— Quel était le rôle de l’homme qu’il a abattu ?

Le directeur du renseignement posa le papier qu’il examinait en transparence.

— Il n’a jamais eu de rôle politique et ne pouvait pas combattre à cause d’une insuffisance cardiaque. Je ne comprends pas. Il n’avait pas une importance extraordinaire et pourtant cet homme a couru le risque d’être pris pour le tuer.

— Vous n’avez rien trouvé dans ses papiers ?

— Seulement le nom de Sholam Nabi. Il était venu pour le tuer. On l’avait fouillé à l’entrée, mais les gardes ne sont pas habitués aux armes cachées comme le stylo. Beaucoup de réfugiés viennent, comme lui, demander à combattre. Comme ils n’ont rien à faire, ils traînent avec les mudjahidins. Ou bien, ce sont des parents qui apportent des messages pour ceux qui combattent à l’intérieur.

— Qu’allez-vous faire ? demanda Malko. Par lui, nous pouvons remonter la filière.

— Nous allons l’interroger ce soir.

— Pourquoi attendre ? Ses complices ne sont pas encore au courant. Nous pourrions les surprendre.

Sayed Gui eut son habituel sourire vague.

— Je dois mener une enquête avant de l’interroger sérieusement. Afin de pouvoir le confondre… Mes hommes sont déjà au travail… Ne craignez rien. Il sera sévèrement traité.

Malko ressortit du bureau. Quelle abomination était en train de mijoter sous le crâne de l’Afghan ? Évidemment, le jeune barbu avait tué un mudjahid et il n’y avait aucun moyen de le faire échapper à la justice de ses semblables. L’attitude de Sayed Gui était curieuse. Il ne paraissait pas pressé de découvrir les complices de Jandad. Malko repensa aux accusations de Nasira Fadool. Il fallait avertir Fred Hall.

* * *

Une voix fraîche appela Malko, venant du lobby.

— Malko !

Il se retourna. Meili, en robe blanche très virginale, lui souriait, un paquet de livres sous le bras. Il venait de passer une heure avec le chef de station de la CIA, afin de voir comment traiter l’affaire Sholam Nabi et les histoires afghanes lui sortaient par les yeux. Il avait vainement tenté de joindre Yasmin et Nasira, leur téléphone ne répondait pas. Ce qui ne voulait rien dire, étant donné la fantaisie des télécommunications pakistanaises. Il attendait la fin de la journée pour se rendre à la villa. Nasira pourrait peut-être lui donner des informations sur le jeune barbu, puisqu’elle savait tant de choses. Le sourire innocent de Meili lui fit oublier tous ces problèmes. Elle s’approcha de lui et lui tendit la main, comme si rien ne s’était passé. Malko prit les devants.