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— Pourquoi ?

— Celui dont je vous ai parlé a été victime d’un attentat. Ce matin même un messager est venu prévenir le Hesbi Islami. Deux tueurs l’attendaient près de chez lui. Quand il est sorti, il a été abattu avec un shot-gun. Tué sur le coup. Un de ses gardes du corps a été tué aussi et l’autre blessé grièvement. Les agresseurs se sont enfuis dans une voiture conduite par une femme !

— Une femme ! sursauta Malko.

— Voilée, précisa aussitôt Sayed Gui. En noir. Personne n’a pu relever le numéro de la voiture.

Cela éliminait Nasira qui se trouvait à l’heure du crime avec Fred Hall.

— Il ne reste donc plus que le quatrième, dit Malko. Où se trouve-t-il ?

Sayed regarda sa montre, une énorme Seiko qui faisait aussi machine à calculer.

— Il nous attend dans ma villa. Il n’est au courant de rien. Si vous voulez venir avec moi…

La Mitsubishi décorée en arbre de Noël attendait dehors. Ils s’y entassèrent avec l’inévitable Rassoul et quelques barbus à Kalachnikov. Direction University Town. La chaleur atroce asséchait le gosier et l’air pénétrant par les glaces ouvertes semblait sortir d’un sèche-cheveux. Malko se demandait comment ses compagnons pouvaient supporter leurs turbans et leurs vêtements de coton superposés. Ils atterrirent dans une rue au sol inégal barrée par deux mudjahidins installés sur des tabourets, l’inévitable Kalach au poing. D’autres étaient répartis dans une cour, sur les toits avoisinants et les maisons. C’était la première fois que Malko constatait une véritable sécurité.

Ils pénétrèrent dans une pièce nue où un jeune Afghan aux traits fins, avec des lunettes, était plongé dans le contenu de son attaché-case. Il se leva vivement et courut embrasser la main de Sayed Gui, manifestant tous les signes du plus grand respect.

— Voici notre camarade Babrak Quasim, annonça le chef de la Sécurité.

En dari, il expliqua qui était Malko et se lança dans l’histoire des meurtres. Babrak Quasim l’écoutait, visiblement très surpris, hochant la tête avec incrédulité. Lorsqu’il se tut, il lâcha une phrase brève aussitôt traduite par Sayed Gui.

— Il ne comprend pas. Il ne voit pas quelle importance il peut avoir pour qu’on veuille le tuer. Ce n’est qu’un mudjahid parmi d’autres. Il a quitté l’Intérieur depuis un an.

On apporta l’inévitable tchai shang[25]. Malko s’assit, perplexe. Ils avaient battu de vitesse les tueurs du Khad, mais cela ne les menait nulle part : leur victime ignorait pourquoi on voulait la tuer… Par l’intermédiaire de Sayed Gui, il commença à poser des questions. D’abord, connaissait-il les trois autres victimes ?

« Oui, il les connaissait », mais ce n’étaient ni des intimes, ni des parents.

« Et Bruce Kearland ? »

« Il en avait entendu parler, mais ne l’avait jamais vu. Il ignorait même qu’il ait été tué. »

« Avait-il une idée ? »

« Aucune », conclut-il, l’air désolé.

Ils burent un peu de thé, plongés dans leurs pensées. Malko avait beau réfléchir, il ne comprenait pas.

— Il s’est passé un événement dans le Lowgar auquel ont assisté tous ces gens, avança-t-il. C’est la seule explication. Pourtant, ils devraient en garder un souvenir.

Sayed Gui reprit l’interrogatoire de Babrak Quasim. En vain. Le malheureux avait beau se creuser la cervelle, il ne se souvenait de rien de marquant.

— Et une femme, demanda Malko, avez-vous entendu parler d’une femme ?

Une femme ! Il n’y avait pas de femme. À croire qu’elles vivaient dans un autre monde.

Ils tournaient en rond. Des gens entraient tout le temps, apportant des messages au directeur du renseignement, distrayant son attention. S’il ne prenait pas énergiquement les choses en main, tout allait se diluer dans la pagaille afghane.

— Il y a deux choses à tenter, dit-il. D’abord, Babrak Quasim serait-il d’accord pour nous aider ?

— Bien sûr. Comment ?

Sayed Gui eut un sourire indulgent pour une telle candeur.

— Ils vont continuer leur mission, donc tenter de le tuer. Il suffit de leur faciliter la tâche. Afin de les prendre sur le fait. Le chef du commando en sait sûrement plus que Jandad. Il faut remonter jusqu’à cette femme en rouge.

Bien sûr, approuva Sayed Gui.

Il expliqua aussitôt le plan de Malko au principal intéressé et traduisit en réponse :

— Il est d’accord pour tout ce que vous voudrez. Il dit que de toute façon, s’il meurt, ce sera un shahid[26].

Mentalité qui facilitait bien les choses.

— Que suggérez-vous ? demanda le directeur du renseignement.

— Qu’il revienne à Peshawar. Qu’il se montre à l’Alliance Islamique. Nous ignorons les sources de renseignements de nos adversaires, mais ils en ont. La preuve : ils ont retrouvé Sholam Nabi. Pourrait-il habiter dans un hôtel et prendre ses repas au bazar, sans que cela semble bizarre ?

— Certainement. Quel hôtel ?

Malko réfléchit rapidement : il fallait un hôtel facile à surveiller. Dans le bazar, ce n’était pas évident. Le Dean’s était trop « élégant » pour un mudjahid. Il restait le Green’s, dans la grande avenue Shahrah-E-Pehlvi, là où les étrangers passaient plus inaperçus.

— Le Green’s, dit-il, nous établirons une souricière.

— Parfait, approuva Sayed Gui. Et ensuite ?

— Pouvez-vous convaincre Jandad d’aller ce soir au rendez-vous dans le bazar. Il y a une petite chance que ses complices ne sachent pas que nous l’avons pris. Il faut la saisir.

— Je le convaincrai, dit Sayed.

Malko préféra ne pas demander comment.

— Dans ce cas, dit-il, je vous demanderai quelques-uns de vos hommes pour mettre en place le piège.

— Ils seront tous volontaires, affirma le directeur du renseignement.

Malko n’en doutait pas, toutefois, ce n’était pas suffisant.

— Essayez d’en trouver trois ou quatre qui parlent un peu anglais, demanda-t-il. Je prendrai avec moi Rassoul, de toute façon. Retrouvons-nous à quatre heures à l’Alliance Islamique, pour mettre tout au point.

Sayed Gui se leva et prit la main de Malko dans les siennes chaleureusement. Babrak Quasim, la « chèvre », en fit autant, comme pour le remercier d’exposer sa vie.

— Allah sera avec nous ! fit Sayed Gui.

Malko préféra ne pas répondre. Il trouvait que, ces derniers temps, Allah était bien capricieux. Pourvu que ça change.

— Attendons le rendez-vous de la dernière prière pour installer Babrak Quasim, conseilla-t-il. À partir du moment où nous lui demandons de jouer ce rôle, il faut être en mesure de le surveiller.

Sayed Gui, de nouveau, approuva. Il paraissait ravi que Malko prenne la tête des opérations. Celui-ci se fit raccompagner. D’être tributaire des autres pour ses déplacements le rendait fou. Hélas, il avait vainement tenté de joindre l’agence Budget à Islamabad : le standard de l’hôtel annonçait une attente illimitée pour la capitale du Pakistan ! Il avait encore pas mal de choses à faire avant la fin de la journée. Entre autres, retrouver Nasira. Maintenant que la jeune femme était lavée de tout soupçon, il avait encore plus à lui demander. Il restait le point d’interrogation de Meili. Comment savoir si la Chinoise était son alliée ou son adversaire ?

Chapitre XIII

Les rues poussiéreuses et anonymes d’University Town n’avaient plus de secret pour Malko. L’hôtel lui avait attribué un nouveau chauffeur et c’est lui qui devait le guider ! Connaissant les lieux, il ouvrit directement la porte de la villa et aperçut la Volkswagen verte. Nasira Fadool était là ! D’ailleurs, elle surgit dans le patio, toujours en pantalon et chemisier, des lunettes accrochées autour du cou par une chaîne en plastique, toute sa féminité réfugiée dans sa belle bouche rouge.

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25

Thé rouge.

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26

Martyr.