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— Vous aviez disparu, dit Malko.

— Entrez, dit la jeune Afghane. Non, j’étais seulement à Islamabad. Yasmin ne voulait plus rester à Peshawar, je l’ai ramenée chez elle hier soir.

Malko éprouva un petit pincement de cœur. Exit la sensuelle Yasmin. Nasira lui adressa un sourire teinté d’ironie.

— Je vous donnerai son adresse, si vous passez par Islamabad. Mais en attendant, je crois avoir du nouveau.

Ils s’étaient installés dans le living-room dépouillé aux volets clos. On entendait le bruit d’une machine à écrire dans une pièce voisine.

— Quoi ?

— Les gens du Khad sont en train de rassembler des tueurs à Peshawar, en recrutant les hommes de Khaled Khan. Pour attaquer la conférence des Chefs de la Résistance.

— Comment le savez-vous ?

Elle haussa les épaules :

— Je vous ai dit que je possède beaucoup d’informateurs. Et vous, avez-vous du nouveau ?

Malko lui relata le dernier attentat incompréhensible contre l’infirme et l’élimination de l’autre victime survenue à Islamabad.

— C’est bizarre ! dit-elle, le Lowgar n’est pas très important. Mais je pense à une chose. Est-ce que ce ne serait pas un règlement de comptes entre deux factions rivales ? Qui n’aurait rien à voir avec les Soviétiques. Souvent cela se passe ainsi et on fait porter au Khad des responsabilités qu’ils n’ont pas. C’est plus facile.

Hypothèse que Malko n’avait pas envisagée… Nasira Fadool continua aussitôt :

— Évidemment, si vous suggérez cela à Sayed, il prétendra que c’est impossible, que tous les mudjahidins s’aiment comme des frères… Mais, pensez-y. Le soi-disant commando du Khad peut venir d’une autre province.

— Il y a les aveux de Jandad, objecta Malko.

— C’est un gosse ! fit-elle. On peut lui avoir raconté n’importe quoi.

Le téléphone sonna à côté. Un barbu fit son apparition, et dit quelques mots à Nasira qui se leva.

— J’ai du travail. Passez me voir ce soir. Nous bavarderons, dit-elle.

Malko regagna son taxi, plus perturbé que jamais. Avec une hypothèse de plus, tout aussi invérifiable que les autres.

Malko revenait de la piscine de l’Intercontinental où il avait constaté l’absence de Meili lorsque la jeune Chinoise se matérialisa à côté du portier à la barbe orange, un sac à la main. Elle vint aussitôt vers lui, l’air radieux.

— Vous m’avez encore posé un lapin ! fit-elle d’un ton espiègle.

Il faut dire que Malko avait complètement oublié leur rendez-vous.

— D’où venez-vous ? demanda-t-il.

— D’Islamabad. J’ai été convoquée par l’attaché culturel de mon ambassade. Il voulait se tenir au courant de mes progrès.

Ainsi, Meili se trouvait dans la capitale pakistanaise au moment où avait eu lieu le meurtre relié à l’affaire Bruce Kearland. Cela faisait le second indice en sa défaveur, après la cartouche de 6,35. La Chinoise murmura à voix basse :

— Il y avait une grande soirée très ennuyeuse, hier, et j’ai beaucoup pensé à vous !

Elle s’arrêta brusquement.

— Vous avez des ennuis ?

Malko n’avait pas réussi à dissimuler sa contrariété.

— Non, non, affirma-t-il. Mais cette chaleur m’épuise. Si seulement on pouvait trouver une voiture climatisée.

Meili eut un rire léger.

— Si vous voulez, je peux vous accompagner partout avec un éventail. Dans notre pays, cela se faisait au siècle dernier.

— Et vos études ?

— Je n’ai plus grand-chose à faire. Mon professeur de pachtou est malade.

Une horrible pensée traversa l’esprit de Malko. Livrer Meili à la sollicitude de Sayed Gui et de ses hommes. Mais vraiment, il ne pouvait pas. Il avait vu le sort réservé à Jandad. Pas de quoi réjouir les partisans des Droits de l’Homme. Il préférait tendre un piège à la jeune Chinoise. Celle-ci lui jeta un regard incandescent :

— Vous venez à la piscine ?

— Trop chaud, fit Malko. Plus tard, peut-être.

Meili étouffa mal un soupir déçu.

— Bon, je vais me reposer.

Malko la suivit des yeux sans parvenir à se faire une opinion. Il allait déjeuner avec Elko Krisantem, afin de mettre au point les deux opérations de la journée. Allah avait intérêt à changer de camp.

* * *

Le violent courant d’air pénétrant par la glace baissée caressait agréablement le visage de Jamal Seddiq dissipant l’odeur qui émanait de Moltan, son compagnon. Ce dernier, le turban sur les yeux, dormait, rencogné contre l’autre portière. Il leur restait encore une heure de trajet avant d’arriver à Peshawar. Seddiq n’arrivait pas à maîtriser une inquiétude diffuse. Certes, jusque-là, il avait accompli un parcours sans faute. Y compris la dernière exécution. Pour lui, tuer un être humain ou décapiter un poulet, c’était exactement la même chose.

Son angoisse venait de Jandad. Le plus jeune élément de son équipe avait rempli son contrat en abattant Sholam Nabi, seulement il s’était fait prendre. Personne ne l’avait revu, mais Jamal Seddiq ne se faisait aucune illusion sur les méthodes qu’allait employer Sayed Gui pour le faire parler. Or, il avait lui-même assez pratiqué la torture pour savoir que le jeune barbu finirait par dire ce qu’il savait. Il avait réussi à se convaincre que Jandad ne savait pas grand-chose et donc qu’il ne pouvait mettre en danger l’opération. Mais on oubliait parfois un détail important. Moltan se réveilla en sursaut et grogna :

— Où sommes-nous ?

— On va traverser l’Indus, fit Jamal Seddiq.

Il avait hâte de recevoir des informations. Il était comme le faucon qu’on lâche sur une proie, après la lui avoir désignée. Le fauconnier, celui qui tirait les ficelles, c’était la femme voilée, la véritable responsable. Celle à qui Seddiq se détestait d’obéir. Mais s’il voulait regagner Kabul sain et sauf, il devait oublier son mépris de l’autre sexe.

Le muezzin de la mosquée de Mahabat Khan commença à lancer sa mélopée aiguë sur le bazar, couvrant la rumeur de la circulation. Assis en face d’un thé vert, Jandad ne put s’empêcher de lever la tête vers le minaret, priant Allah de lui accorder sa miséricorde. Il y avait trois ou quatre autres consommateurs autour de lui, attablés à des guéridons de bois grossier, assommés de chaleur. Personne n’avait paru remarquer l’énorme pansement qui entourait sa main droite. Son cœur cognait à coups redoublés dans sa poitrine. De toutes ses forces, il priait pour que Seddiq ne vienne pas. Parce que de toute façon, le géant aurait le temps de le tuer pour punir de sa trahison. Il savait que les autres avaient l’ordre de le prendre vivant. Il regarda autour de lui. Les deux étrangers étaient dissimulés dans un rickshaw arrêté à côté d’un camion en panne et les hommes de Sayed Gui, au nombre d’une demi-douzaine, un peu partout. Si Jamal Seddiq venait, il n’avait aucune chance.

Jandad aspira voluptueusement l’air vicié par les échappements de camions et de rickshaws. Après la puanteur de sa cellule souterraine, c’était le paradis. Il refrénait une envie féroce de prendre ses jambes à son cou, sachant qu’il serait vite cloué au sol par une rafale de Kalachnikov.

Le muezzin s’était tu. Jandad commença à compter intérieurement les minutes. Plusieurs s’écoulèrent. Il reprenait espoir. La haute silhouette de Jamal Seddiq n’apparaissait nulle part.