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Elko Krisantem s’engouffra dans le Green’s Hôtel. L’escalier était vide. Un Pakistanais apparut, sans turban, descendant d’un pas titubant, le regard fixe, halluciné. En plein rêve de haschich. Pas question d’en tirer quoi que ce soit.

Son vieil Astra au poing, le Turc s’engagea dans l’escalier. Il espérait que ses deux adversaires ne chercheraient pas à se servir de leurs armes à feu, pour ne pas attirer l’attention. Ce qui lui donnait un léger avantage. Il pria silencieusement le ciel pour que Malko ait pu joindre Sayed Gui. Le tout était de faire maintenant la jonction avec lui. Il lui fallait à peine quelques minutes pour atteindre la terrasse prolongeant le troisième étage du Green’s. Une fois en place, ils pourraient prendre les tueurs en tenaille. Il parvint au palier du premier et s’arrêta.

Personne en vue.

L’étage comportait six chambres, deux à gauche, quatre à droite. Les deux portes de gauche étaient ouvertes, l’une sur une pièce inoccupée, l’autre sur un capharnaüm appartenant sûrement au drogué qu’il avait aperçu dans l’escalier.

Il passa à droite et frappa à la première porte d’où venait de la musique, vit un vieux surpris qui referma aussitôt. La pièce suivante était vide. Il se fit encore ouvrir deux portes, recueillant quelques injures pachtous et urdus, et repartit vers l’escalier, l’âme en paix.

Il inspecta largement le couloir avant de s’engager vers le second. Il avait dans son champ de tir la cage de l’escalier dans son entier. Le palier du second était tout aussi vide. Trois portes étaient ouvertes, donnant sur des chambres vides. De la musique pachtou suintait d’une autre. Elko frappa au battant, il y eut un remue-ménage et un jeune homme lui ouvrit. Krisantem s’excusa et continua. La porte donnant sur la terrasse au bout du couloir était ouverte. Pour l’atteindre, il fallait passer devant la chambre de Babrak Quasim.

Le silence l’inquiéta. Les deux tueurs devaient avoir déjà découvert la terrasse et s’être enfuis par là. Soit ils étaient déjà loin, soit ils s’étaient heurtés à Malko.

À cette pensée, Elko Krisantem perdit toute prudence. Il avança le long du couloir, les yeux fixés sur la terrasse. Ses pas firent craquer le vieux plancher vermoulu et plusieurs lézards s’enfuirent devant lui. Il arriva à la hauteur de la chambre de l’Afghan qu’il était chargé de protéger. La porte était entrouverte. Elko passa rapidement devant. Au même moment, une porte s’ouvrit violemment dans son dos et une masse énorme le catapulta à travers le couloir, l’expédiant dans la chambre de Babrak Quasim. Il eut le temps de voir le corps ensanglanté allongé en travers du charpoi et il se reçut sur les mains, lâchant son pistolet dans sa chute.

Il roula sur lui-même avec la rapidité d’un chat, photographiant la scène du coin de l’œil.

Un géant enturbanné aux petits yeux noirs cruels se ruait sur lui. Un autre, crâne rasé, se profila un poignard à la main. Elko se releva, aperçut une valise et la projeta à travers la fenêtre, espérant attirer l’attention. Son Astra avait glissé sous le charpoi, hors d’atteinte. Il lui restait le lacet. Le voyant désarmé, le géant afghan ne se méfiait pas. Krisantem lui sauta littéralement à la gorge, passant son mortel lacet autour de son cou.

Il sentit aussitôt les mains de son adversaire se nouer autour de sa propre gorge et rentra la tête dans les épaules, bandant tous ses muscles. Furieux de s’être laissé surprendre comme un débutant.

Décidément, le métier de majordome ne prédisposait pas aux sports de combat. Le second tueur tournait autour d’eux, cherchant à enfoncer la lame de son poignard dans le corps d’Elko, mais il risquait de toucher son complice. Elko lui décocha un coup de pied, plus pour l’éloigner que lui faire mal. Il ne se faisait guère d’illusions : si Malko n’arrivait pas vite, il allait succomber. Dans leur lutte, ils bousculèrent le charpoi et la crosse de son Astra apparut. Il chercha à s’en approcher. Lui n’avait pas peur d’attirer des gens.

Parvenu à portée de l’arme, il chercha à se baisser, mais la poigne gigantesque de son adversaire l’en empêchait. Il évita encore de justesse un coup de couteau destiné à l’éventrer. Un voile rouge commençait à obscurcir sa vue. Il avait beau serrer son lacet à le casser, le géant ne s’écroulait pas. Elko n’avait jamais vu ça ! L’autre aurait déjà dû être mort. Soudain, le lacet parut se détendre brutalement. Heureux, Krisantem se dit qu’il venait de pénétrer dans les chairs, tranchant la trachée et les carotides. Récompense d’un juste effort.

Sa joie ne dura qu’une fraction de seconde. Privés de point d’appui, ses poings s’écartèrent. Le lacet venait de casser !

Il n’eut pas le temps de s’abandonner à la stupéfaction. Le cou libéré, le géant venait de pousser un grognement sourd en même temps qu’il aspirait une grande goulée d’air. Soulevant Elko du sol, il l’écrasa contre le mur qu’il fit trembler. Elko, à demi assommé, vit surgir sur sa droite le complice au crâne rasé ; il lui envoya un coup de pied, mais ses forces avaient tellement diminué qu’il l’effleura tout juste.

Son adversaire lança le bras en avant, il ressentit une brûlure violente au côté et perdit connaissance au moment où le poignard s’enfonçait entre ses côtes.

* * *

En sueur, haletant, Malko s’élança pour la dixième fois sur la porte vermoulue, mais pourtant solide, qui le séparait de la terrasse du Green’s. Rageant de ce retard qui pouvait être tragique. Toujours aucune trace des mudjahidins et Krisantem était tout seul avec les deux tueurs. Le dernier étage de l’immeuble où il se trouvait était désert, abandonné, avec des planches clouées en travers de la porte qu’il essayait de défoncer. Réunissant toutes ses forces, il se jeta, le pied droit en avant.

Avec un craquement bruyant, la planche tenant le cadenas se brisa enfin et Malko, dans son élan, faillit même tomber dans le vide.

Il reprit son équilibre, ramassa son pistolet et sauta sur la terrasse en ruine. La porte donnant sur le couloir du Green’s était ouverte. Malko s’engagea a l’intérieur en courant, et ouvrit la porte du 36 d’un coup de pied. Elko Krisantem était assis par terre, une grosse tache de sang sur le côté ; un type massif au crâne rase, penché sur lui, tenait ses cheveux dans sa main gauche pour lui relever la tête et s’apprêtait à l’égorger de la droite. Accroupi en face, une énorme brute enturbannée était en train de ramasser un pistolet. Sans réfléchir, Malko tendit le bras et tira deux fois, visant le crâne rasé. Les détonations firent trembler les murs. L’homme bascula et le sommet de son crâne sauta, comme le couvercle d’une cafetière. D’une seule détente, le géant se releva serrant l’Astra de Krisantem, ses petits yeux pleins de haine fixant Malko.

* * *

Les hommes de Sayed Gui jaillirent de la Mitsubishi comme des diables d’une boîte et coururent vers l’entrée du Green’s, suivis par leur chef boitillant aussi vite qu’il le pouvait.

— Allez au troisième, hurla Sayed Oui. Ils se ruèrent dans l’escalier, écrasant contre la paroi le drogué qui remontait. Ils arrivaient au troisième étage lorsque deux coups de feu claquèrent. Les premiers jaillirent à la porte de la chambre, derrière Malko, au moment où Jamal Seddiq allait tirer. Malko et deux d’entre eux firent feu en même temps. Les projectiles firent sauter l’Astra de la main du géant, lui broyèrent le poignet, coupant net deux doigts. Il recula au fond de la chambre, encore conscient, aussitôt entouré et roué de coups de crosse. Il tomba et, sans Sayed Gui, arrivé enfin, les mudjahidins l’auraient tué sur place.