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Malko s’était précipité vers Elko Krisantem. Le Turc avait les narines pincées et un peu de sang suintait de la commissure de ses lèvres. Malko écarta sa chemise, vit la coupure entre deux côtes. Au mieux, il avait un poumon perforé. Si aucun gros vaisseau n’était touché, on pouvait peut-être le sauver. Il était inconscient. Malko se releva.

— Vite, dit-il, il est gravement blessé. Il faut l’emmener à l’hôpital.

Les mudjahidins étaient en train de transformer Jamal Seddiq en saucisson. En un clin d’œil, avec quatre Kalachnikovs et des turbans, ils confectionnèrent une civière de fortune où on plaça Krisantem. Par acquit de conscience, l’un d’entre eux tira une rafale dans le corps de l’homme abattu par Malko et ils descendirent tous. On chargea le Turc à l’arrière de la voiture qui partit aussitôt avec Sayed et Malko.

Le directeur du renseignement ne cachait pas sa joie.

— C’est lui, c’est Jamal Seddiq ! exulta-t-il. Cela fait des années que nous le voulions. C’est un des plus grands criminels de notre pays. Il a torturé des centaines de mudjahidins dont le sang crie vengeance. Tout le monde a un ami ou un parent qui est passé par ses mains.

Oublié, le malheureux Babrak Quasim qui avait perdu la vie dans l’opération. La Mitsubishi filait à toute vitesse dans les allées désertes de University Town, vers l’hôpital des mudjahidins. Malko prit la main de Krisantem et ce dernier répondit d’une faible pression des doigts.

— Il faut qu’il dise ce qu’il sait de cette opération, dit-il. C’est plus important que la vengeance. Il est le seul à pouvoir nous renseigner.

Sayed Gui eut un sourire sinistre :

— Vous raisonnez comme un Occidental. Pour nous, rien n’est plus important que la vengeance. Surtout avec un homme comme Jamal Seddiq. Il faut que sa mort et ce qu’il subira avant rachète ses crimes et serve d’avertissement à ceux qui seraient tentés de l’imiter. C’est un grand traître.

Le dénommé Seddiq était mal parti.

Malko ne dit plus rien jusqu’à l’hôpital. Ne pensant plus qu’à Krisantem. Deux infirmières en blouse blanche les accueillirent devant un bâtiment qui ressemblait plus à un garage qu’à un hôpital et on emmena Krisantem en courant vers la salle d’opération.

— Rassurez-vous, dit Sayed Gui, ils ont l’habitude de faire des miracles. Allons à l’Alliance Islamique, nous reviendrons ici tout à l’heure.

Malko ne discuta pas.

Il avait enfin une piste, payée très cher, mais il ne fallait pas que les Afghans, dans leur rage de vengeance, l’empêchent de l’exploiter…

Les mudjahidins qui avaient participé à l’expédition du Green’s avaient ameuté tous ceux qui se trouvaient à l’Alliance Islamique. En quelques minutes, plusieurs centaines d’Afghans avaient entouré le groupe qui avait ramené le corps de Babrak Quasim et son assassin. Un hurlement jaillit de toutes les poitrines, ponctué de coups de feu.

— Marg bar Seddiq[27] !

Jamal Seddiq, étourdi, tassé sur lui-même comme un animal, perdant son sang, rentra la tête dans les épaules. Un coup de crosse lui fendit la joue et il se recroquevilla encore plus. Cela sentait le lynchage… Sayed Gui s’interposa et, monté sur le capot de sa voiture, exhorta ses hommes.

— Le traître sera jugé par le Conseil de la Révolution ! cria-t-il. Ne nous conduisons pas comme les gens du Khad.

Il eut beaucoup de mal à se faire entendre, mais un paquet de gardes parvint à traîner Jamal Seddiq qui ne se défendait pas jusqu’au trou-prison au fond de la cour. On lui fit même un garrot sommaire au poignet et on enveloppa sa main déchiquetée de chiffons sales.

Sans doute pour épargner les barreaux de l’échelle, on l’y poussa purement et simplement. L’Afghan fit un bruit sourd en tombant, qui fit mal aux tympans de Malko… Un mudjahid descendit ensuite renfermer. Puis, on referma la trappe et une douzaine d’hommes en armes, de la garde personnelle de Sayed Gui, prirent place au-dessus.

Sayed Gui passa un bras autour de l’épaule de Malko.

— Nous l’interrogerons demain matin. Il aura réfléchi à ses crimes et sera plus malléable. Maintenant, retournons à l’hôpital.

Malko regarda la trappe avec inquiétude. Le prisonnier ne devait pas se faire beaucoup d’illusions. À serait exécuté de toute façon. Alors, comment le convaincre de parler ? Il était pourtant le seul à pouvoir les mener à la femme mystérieuse qui était finalement leur plus dangereux adversaire : la meurtrière de Bruce Kearland. Encore quelques heures de patience.

Chapitre XV

La lame du poignard avait dérapé sur une côte. Au lieu de percer le cœur d’Elko Krisantem, l’arme avait seulement entamé la plèvre et sectionné quelques vaisseaux de moyenne importance. Le Turc avait subi plusieurs transfusions, et, recousu, il reposait dans une chambre presque propre. Malko quitta le jeune chirurgien pakistanais à peu près rassuré. Sayed Gui avait fait poster deux mudjahidins devant la chambre de Krisantem, à tout hasard. Les deux hommes quittèrent l’odeur de l’éther pour la chaleur poisseuse de la nuit.

— Demain matin huit heures, annonça le directeur du Renseignement. Cette fois, nous allons savoir !

— Inch Allah ! dit Malko.

Sans ironie. Il y avait eu tellement de fausses joies. Laissant l’Afghan, il se fit conduire à Hospital Road. Il y arriva au moment où la Buick blanche de Fred Hall en sortait. Malko l’intercepta et monta à côté de l’Américain. Devant son air épuisé, le chef de station de la CIA se douta de quelque chose.

— Du nouveau ?

— Et comment ! fit Malko.

Fred Hall désigna le dos du chauffeur du menton.

— Accompagnez-moi, je vais dîner chez le gouverneur. Vous me raconterez ça là-bas.

Malko ferma les yeux, profitant de la délicieuse fraîcheur. Cette chaleur, c’était vraiment inhumain ! Pour une fois, Fred Hall avait l’air d’une gravure de mode avec un pantalon noir et une chemise brodée, alors que ses vêtements à lui, semblaient sortir d’une essoreuse. Ils glissèrent sans bruit le long d’allées bordées d’arbres jusqu’à une grille majestueuse gardée par deux soldats en tenue rouge qui présentèrent mollement les armes.

Une centaine de personnes, surtout des Pakistanais, bavardaient sur une pelouse dont chaque brin semblait avoir été importé de Grande-Bretagne, s’étalant devant une superbe demeure coloniale digne du siècle dernier. Les tables regorgeaient de Pepsi, de jus de fruit, de Sprite, d’eau glacée, sans la moindre trace d’alcool. Les hommes étaient en chemise, les femmes en sari, avec souvent un voile pour couvrir leurs cheveux. Malko fut présenté par Fred Hall au gouverneur de la province qui semblait sortir tout droit d’un roman de Kipling, avec sa moustache à croc.

— Nos amis anglais savaient vivre, soupira l’Américain, lorgnant la magnifique bâtisse, ex-demeure du gouverneur britannique.

Dès qu’ils furent pourvus de leurs jus d’orange, ils s’isolèrent et Malko put enfin faire son rapport. L’Américain ne se tenait plus de joie.

— C’est fantastique, exulta-t-il, d’avoir réussi à mettre ce commando hors d’état de nuire. En rentrant, je vais câbler à Washington la bonne nouvelle. Quant à votre ami turc, nous allons le changer d’hôpital demain. Je voudrais bien pouvoir assister à l’interrogatoire de cet Afghan. Hélas, cela risquerait d’être mal vu par les Pakistanais.

Malko s’en voulait de diminuer sa joie, mais il ne put s’empêcher de faire remarquer :

— La femme est toujours en liberté. Et nous ignorons encore la clef de toute l’opération…

Euphorique, Fred Hall balaya l’objection. Ses gros yeux bleus flamboyaient de joie derrière ses lunettes.

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27

À mort Seddiq !