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— Qu’Allah lui pardonne, dit Sayed Gui. Il a fait beaucoup de mal.

Ce fut toute l’oraison funèbre du tueur. Sayed Gui se tourna vers Malko, une lueur farouche dans ses yeux noirs.

— Nous allons capturer cette femme, dit-il.

* * *

La nuit tombait sur le bazar, sans que la chaleur ait diminué. Malko s’arrêta devant une petite bijouterie où un apprenti soufflait avec son chalumeau dans des boules d’or pour en faire un collier. La vitrine exposait de gros bijoux d’argent de nomades jordaniens, atterris là Dieu sait comment. Il redescendit, passant devant la bijouterie bleue, en face de l’entrée de la mosquée Mahabat Khan. Elle était vide, à part son propriétaire, allongé sur un tapis.

Malko regarda sa montre. Dans dix minutes, le muezzin allait appeler les fidèles à la prière pour la dernière fois de la journée. Il ne fallait pas que la femme le trouve là. Il était visible comme une mouche dans un bol de lait. Il redescendit vers la place de la Banque Habib et prit place dans la voiture de Sayed Gui, avec deux autres mudjahidins. Rassoul alla le remplacer, surveillant la bijouterie. Lui était moins voyant.

La voix aiguë du muezzin éclata à l’heure prévue, se répercutant sur tout le bazar, ralentissant l’activité. Les secondes s’écoulaient, interminables. Malko avait beau savoir que Sayed Gui avait mis tout un dispositif en place, il grillait d’impatience. Cette histoire leur avait déjà apporté tellement de contretemps… Trois minutes plus tard, il vit Rassoul redescendre la rue, d’un pas rapide et venir à sa rencontre.

— Il y a trois femmes dans la boutique, annonça le petit Afghan au nez tordu. Elles sont arrivées séparément. Toutes voilées…

Problème imprévu. Ils se dirigèrent vers la boutique.

La femme avec qui Jamal Seddiq avait rendez-vous était sûrement déjà là. Leur présence allait peut-être déclencher quelque chose. En face de la bijouterie, Malko repéra deux hommes de Sayed Gui, appuyés aux marches de la mosquée, semblant désemparés eux aussi. Il passa lentement devant la boutique, vit effectivement trois femmes, deux en noir, l’une en vert, en train d’examiner des bijoux !

C’était la tuile. Un des hommes de Sayed Gui vint vers lui et Rassoul traduisit.

— Que faisons-nous ? Nous n’avons qu’une seule voiture.

— Bien, dit Malko. Suivez la première qui sort, Rassoul, la seconde, je me chargerai de la troisième. Il faut savoir où elles habitent.

Au moment où il finissait de parler, une des femmes ressortit, venant vers eux. Elle flânait, léchant les vitrines, mais ça pouvait être une feinte. Enfin, elle s’engouffra dans une autre bijouterie. Pas question de déclencher quoi que ce soit en pleine rue, sous peine de provoquer une émeute. Si c’était elle, la meurtrière de Bruce Kearland le savait et se servirait de cet atout.

Un quart d’heure s’écoula. La nuit tombait rapidement. Malko dut se rapprocher. Les deux dernières femmes sortirent en même temps de la bijouterie, se séparant tout de suite. L’une monta vers Malko, l’autre descendit vers la place. Malko entra vivement dans une autre boutique laissant la première passer devant lui, vérifiant qu’elle était bien suivie par Rassoul, puis accéléra et rattrapa la femme en vert sur la petite place. Elle traversa sans se presser, vers Cinéma Street et monta dans un rickshaw. Heureusement, la voiture était là ! Les deux véhicules franchirent le pont sur la voie de chemin de fer, puis tournèrent dans Suneri Majdid Road.

Ils se noyèrent dans la circulation facilement. Deux kilomètres plus loin, le rickshaw tourna dans Arbab Road, rue commerçante de Peshawar Cantonment, puis stoppa devant une station-service. Malko vit la femme sortir et entrer dans une sorte d’allée étroite s’enfonçant entre les immeubles.

Malko fit arrêter la voiture et courut pour la rejoindre. Il faisait presque nuit, et il distinguait à peine la silhouette qu’il suivait. Il la vit pourtant s’arrêter et parler à quelqu’un, accroupi près d’un tas de sable. Puis repartir d’un pas nettement plus rapide ! Malko accéléra à son tour, s’engageant dans la ruelle. Celui à qui avait parlé la femme voilée se leva soudain et se mit à jouer de la flûte. Une musique aigrelette et lancinante. Un jeune barbu, dépenaillé, l’allure d’un clochard, un sac de jute posé devant lui. Au moment où Malko arrivait à sa hauteur, quelque chose sortit du sac et se dressa dans l’air, lui barrant le passage. Un cobra royal qui devait bien mesurer un mètre cinquante ! Le joueur de flûte avait reculé, continuant à égrener sa musiquette. Malko fit, malgré tout, un pas en avant, et aussitôt le serpent se balança pour frapper.

— Laissez-moi passer ! cria Malko.

Le charmeur ne semblait pas comprendre. Fou de rage, Malko prit un billet de dix roupies et le jeta à terre. Aussitôt, le son de la flûte changea. Peu à peu, le serpent redescendit, se lova sur le sol, jusqu’à ce que son maître l’attrape et le remette dans son sac, qu’il referma d’un geste vif. Malko courait déjà dans la ruelle. Elle tournait plus loin à angle droit, puis se jetait dans Khadim Shaheed Road. Malko y arriva, essoufflé, vit le flot de rickshaws et de taxis et s’arrêta, édifié. La femme en vert était loin.

C’était la rupture de filature la plus originale qu’il ait jamais rencontrée.

Il revint sur ses pas. Le chauffeur de la Mitsubishi avait entamé un dialogue menaçant avec le charmeur de serpents. Le chauffeur parlant vaguement anglais, Malko parvint à reconstituer ce qui s’était passé. Le charmeur était la tous les jours, à partir de cinq heures, parce qu’on le nourrissait dans un restaurant voisin. La femme lui avait dit qu’un étranger l’importunait et qu’elle voulait se débarrasser de lui sans scandale… Le cobra avait fait le reste.

Malko se laissa tomber sur le plastique brûlant de la voiture, ivre de rage. C’était bien la « bonne » femme qu’il avait suivie et qui avait eu l’audace de venir au rendez-vous de Jamal Seddiq. Maintenant, elle était tranquille. Le dernier fil conducteur était rompu et le commando détruit avait rempli la mission confiée par le Khad. Ce dernier économisait des frais de rapatriement sur Kabul. Même si son commando était exterminé, il n’en avait plus besoin.

Tandis qu’il roulait vers l’Alliance Islamique, Malko cherchait désespérément par quel bout repartir. À quoi bon soupçonner Nasira ou Meili ? Il ne pourrait obtenir aucune preuve et la Conférence des Chefs Militaires commençait dans trois jours.

Ensuite, cela n’aurait plus qu’une importance académique. Il ferma les yeux, se concentrant, en dépit des cahots.

Le Lowgar. C’était le lien commun à toutes les victimes. Mais ça le menait où ? Soudain, il réalisa qu’il y avait non pas une piste, mais un sentier qu’il n’avait pas encore exploré. Mais au point où il en était… Il se pencha vers le chauffeur :

— Hospital Road ! American consulate.

Chapitre XVII

Fred Hall était effondré. Il ôta ses lunettes de myope et frotta ses yeux bordés de rouge d’un geste machinal. Non seulement la climatisation l’enrhumait, mais il y était allergique. Malko ne se sentait guère mieux. Après dix jours d’enquête semée de cadavres, se retrouver à zéro, c’était dur !

— Qu’allons-nous faire ? demanda l’Américain. Je ne peux quand même pas annuler cette conférence que j’ai organisée. Mais d’un autre côté, si les Ivans frappent un grand coup, je me retrouve au Desk à Langley pour le restant de mes jours. Ou viré.

— Où sont les affaires de Bruce Kearland ? demanda Malko. Lorsqu’il est revenu du Lowgar, il n’avait presque rien avec lui. Même pas une photo.