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C’était la villa de Yasmin Munir !

Il gara la Buick dans le drive-way, récupéra le Colt qu’il glissa dans sa ceinture, à même la peau, sous sa chemise et il sonna. La chaleur était moins lourde qu’à Peshawar et moins sèche.

Trois minutes plus tard, il avait toujours le doigt sur la sonnette, sans résultat… Il fit le tour de la maison, ne vit aucun véhicule, revint à la porte et se mit à tambouriner comme un sourd. Enfin, une lumière s’alluma et la porte s’ouvrit sur un Pakistanais affublé de grosses lunettes, un gourdin dans la main droite, pieds nus.

— Je cherche Yasmin Munir, dit Malko.

— Pas là, fit le domestique. Sortie.

Et « clac », il referma brutalement la porte, sans laisser à Malko le temps de dire un mot.

C’est ce qu’on appelle l’hospitalité orientale. Malko regagna la Buick, mit la climatisation et s’installa. Si Yasmin était sortie, elle allait fatalement rentrer. Le tout était de s’armer de patience.

* * *

Le pinceau blanc de deux phares balaya la lunette arrière de la Buick, arrachant Malko à sa réflexion bercée par les plaintives chansons urdus de la radio. Il descendit. Une vieille Austin Princess, haute sur pattes, venait de stopper derrière lui. Un chauffeur quitta son volant et se précipita pour ouvrir la portière arrière.

Une femme descendit de la voiture. Lorsqu’elle passa dans la lueur des phares, Malko reconnut Yasmin, plus altière que jamais dans une tenue violette, les cheveux relevés en chignon. Seule, ce qui simplifiait les choses. Il sortit de l’ombre au moment où elle atteignait sa porte et elle se retourna en entendant ses pas. Elle poussa un petit cri effrayé, puis, reconnaissant Malko, s’immobilisa, son trousseau de clefs à la main.

— Mais que faites-vous ici ?

— D’abord, le plaisir de vous revoir, fit galamment Malko, et puis un autre élément que j’aimerais vous expliquer.

— Entrez, dit Yasmin. Vous avez de la chance que la soirée ait été ennuyeuse, sinon, je serais revenue beaucoup plus tard.

Sa tunique violette, fermée de multiples boutons, descendait presque jusqu’aux genoux, moulant son corps d’une façon presque indécente. Elle fit pénétrer Malko dans un spacieux living aux murs blancs, décoré de tableaux modernes et de tapis et ils s’installèrent sur un grand canapé en demi-lune.

On revenait à la civilisation. Tout un panneau de la pièce était occupé par un téléviseur, un magnétoscope Akaï et une chaîne hi-fi. À côté, une table en verre supportait des bouteilles de J & B, de gin, de cognac.

Les cheveux relevés sur la nuque donnaient presque à Yasmin un air sévère, démenti par les immenses yeux légèrement en amande et cette bouche pulpeuse dans laquelle on avait envie de mordre. Elle alluma une cigarette, croisa les jambes, installée assez loin de Malko.

Comme si rien ne s’était jamais passé entre eux.

— Alors ?

Chacun de ses gestes était un petit chef-d’œuvre de lascivité involontaire. La soie tendue sur ses cuisses charnues attirait le regard de Malko, comme un aimant.

— Je voudrais vous parler de votre amie Nasira, dit Malko.

Yasmin fronça les sourcils.

— Nasira, fit-elle d’une voix un peu troublée, pourquoi ?

— Je me demande si elle ne travaille pas pour les Services de Renseignements soviétiques, lâcha Malko. Et si elle n’est pas impliquée directement dans la mort de Bruce Kearland.

Le regard de Yasmin Munir sembla foncer encore. Puis une esquisse de sourire détendit sa belle bouche.

— Vous êtes fou ! Nasira, travailler pour les Russes ! Mais elle passe sa vie à recueillir des renseignements sur la Résistance et à aider les Américains.

— Je sais, dit Malko. Cela peut être une couverture.

Yasmin secoua la tête avec une expression pleine d’incrédulité.

— J’ignore qui a pu vous mettre cela dans la tête, mais je réponds de Nasira comme de moi-même.

— Personne ne m’a rien mis dans la tête, dit Malko. Vous pensez à Sayed Gui, n’est-ce pas ? Il s’agit seulement de coïncidences et d’indices que j’ai relevés moi-même. Je sais très bien que Nasira collabore depuis longtemps avec la CIA.

La jeune femme lui jeta un regard aigu, mais ne fit aucun commentaire. Elle semblait brusquement contrariée. Ce qui était normal étant donné les liens qu’elle entretenait avec Nasira Fadool. Malko en profita pour avancer un petit pion.

— Vous connaissez le passé de Nasira, comme moi, dit-il. Cela ne vous étonne pas qu’elle ait un amant ?

La question laissa d’abord Yasmin sans voix, puis elle demanda aussitôt :

— Qui ?

— Fred Hall.

Yasmin eut un sourire entendu.

— Fred ! Oh non, il est seulement amoureux d’elle. Il s’agit uniquement d’une complicité intellectuelle.

— Peu importe, coupa Malko, ce n’est pas l’essentiel.

Yasmin tira sur sa cigarette avec un certain agacement.

— Vous n’êtes quand même pas venu de Peshawar en pleine nuit uniquement pour me dire que Nasira travaille pour les Soviétiques, demanda-t-elle. Il y a une autre raison, je suppose.

— Exact, dit Malko. Je pense que vous êtes en danger de mort.

Cette fois, Yasmin sursauta de stupéfaction.

— Moi ! Mais pourquoi ?

— À cause de Bruce Kearland.

— Mais il est mort.

— Exact, dit Malko. Il a été tué parce qu’il possédait une information dangereuse pour les Soviétiques. Quelque chose sur une opération en cours ou en préparation. Cinq autres personnes ont été abattues par un commando venu de Kabul, à mon avis, pour la même raison. Le lien entre tous ces meurtres est la mystérieuse femme en rouge qui a assassiné Bruce Kearland pratiquement sous mes yeux et nous a toujours glissé entre les doigts. C’est elle qui donnait les ordres au commando. Je me demande si ce n’est pas Nasira.

— C’est idiot, coupa sèchement Yasmin. Vous ne pouvez pas savoir à quel point.

Il la sentait bouillant de rage.

— Peut-être, dit Malko, mais je suis arrivé à la conclusion que tous ces meurtres avaient un lien avec le Lowgar. Les quatre hommes assassinés avaient tous combattu là-bas et Bruce Kearland y avait séjourné.

— Il y a deux ans, fit remarquer Yasmin.

— C’est vrai, dit Malko. Mais je pense que le mystère remonte à cette période. J’ai cherché les documents que Bruce pouvait posséder à cette époque. Je n’ai rien trouvé. Fred Hall m’a alors dit que c’est vous qui deviez tout avoir. Voilà pourquoi je suis venu ce soir. Car si vraiment, vous possédez des documents de ce genre, ceux qui ont éliminé Bruce et les autres voudront également se débarrasser de vous.

Yasmin tira nerveusement sur sa cigarette. L’incrédulité avait remplacé la rage dans ses yeux noirs.

— Quels documents cherchez-vous ?

— Je ne sais pas vraiment, dit Malko. Des photos, des notes. Vous n’avez rien de tout cela ?

— Si, je pense, j’ai quelques photos, dit Yasmin après une courte hésitation. Mais je ne sais plus très bien où elles sont.

— Il faudrait les retrouver, dit Malko, ce peut être très important. La conférence des chefs de la Résistance a lieu dans quarante-huit heures.

— Oui, je comprends, dit Yasmin, mais je crois que vous vous trompez. De toute façon, il y a seulement quelques photos de Bruce dans le Lowgar, comme il en a toujours fait lorsqu’il allait dans l’intérieur. Je peux vous les chercher.

— S’il vous plaît.

Yasmin fronça les sourcils devant son insistance.

— Vous ne voulez pas dire maintenant ?