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— OK, fit-elle. Je vais descendre moi, alors. Mais promettez-moi de veiller sur Vincent !

Il hocha simplement la tête.

Elle s’approcha à nouveau du lit improvisé, plia les genoux dans un gémissement pathétique. Elle effleura le front de Vincent, il ouvrit soudain les yeux. Il essaya de lever la tête mais n’y parvint pas.

— Où… Où on est ?

— Chez le Stregone.

En entendant son surnom dans la bouche de la jeune femme, le berger esquissa un sourire.

— Je vais aller chercher du secours pendant qu’il s’occupe de toi, continua-t-elle d’un ton qu’elle aurait voulu rassurant.

— J’ai mal, j’arrive plus à… à bouger…

— Ne bouge surtout pas ! implora-t-elle en pétrissant sa main dans la sienne.

— Reste ici, c’est plus… prudent…

— Ne t’inquiète pas, je vais m’en tirer. Et je remonte avec des renforts et un toubib, d’accord ?

Elle l’embrassa et il referma les yeux sur le goût de ses lèvres. Comme pour s’en souvenir à jamais.

— Servane ? C’était vrai… Ce que tu… as dit, tout à l’heure… Que tu voulais vivre avec moi ?

— Oui. C’était vrai… Ce sera vrai. Dès que j’aurai mis ces fumiers en taule ! Si tu le veux, bien sûr !

— Je ne… rêve que de ça…

Elle sourit un peu béatement.

— Alors, attends-moi, Vincent. Je serai de retour avec mes collègues dans moins de deux heures, je te le promets !

Ils s’embrassèrent encore puis Servane se releva.

Après avoir inspecté les environs, le Stregone décréta que la voie était libre.

Un dernier regard, un dernier sourire et la jeune femme quitta la planque. Si dur de s’éloigner de lui ; une déchirure gigantesque.

Dehors, elle endossa à nouveau le rôle du gibier. Sans la main de Vincent pour tenir la sienne.

Pourtant, elle avait l’impression qu’il la guidait à distance.

Elle rasa l’arrière des maisons abandonnées, frôla l’église à la taille démesurée pour ce minuscule hameau fantôme.

C’est alors qu’elle entendit des pas derrière elle ; en faisant volte-face, elle tomba nez à nez avec Mario.

— Qu’est-ce que vous foutez là ? Retournez auprès de Vincent ! ordonna-t-elle.

— Lui, il dit que je reste près de vous. Il a peur pour vous.

— Mais…

— Il a raison. Je vous montre le chemin, je vous mène jusqu’à la route.

Il passa devant, sans attendre sa réponse, et elle fit un signe de croix en regardant le clocher de l’église. Puis elle s’accrocha au sillage du berger italien, l’esprit tendu vers celui qui luttait pour la vie. Pour leur vie.

Vrai que sans le Stregone, elle n’aurait peut-être pas retrouvé le chemin.

Ils traversèrent un petit morceau de forêt avant de rencontrer la piste qui descendait vers la route. Mais ils la quittèrent aussitôt pour s’engager dans un champ, longeant de vieilles haies délaissées.

Se faire le plus discrets possible, se fondre dans le paysage.

Servane peinait à avancer, attaquée de toutes parts. Sa peau écorchée jusque sur le visage, sa jambe tailladée, sa fracture au poignet. Fatigue inhumaine, abominable peur.

Peur de finir ici, de succomber sous les balles des chasseurs.

Peur d’arriver trop tard pour sauver Vincent.

Elle faillit s’évanouir à plusieurs reprises mais le Stregone lui proposa son aide. Soutenue, elle continua à marcher.

Leur chemin croisa à nouveau la piste et Servane aperçut la route au loin, juste derrière le Verdon. Et le pont d’Ondres qui allait les relier à la civilisation.

Ils y étaient presque.

Encore un effort… Un dernier effort. Vincent sera fier de moi.

Ils continuaient à descendre et retombèrent une fois encore sur le large chemin.

Là, le Stregone s’immobilisa.

En face d’eux, une rangée de fusils.

Servane poussa un cri étouffé et voulut s’enfuir. Mais le berger la retint par la main ; inutile de courir, les balles la rattraperaient si vite…

Elle fixa avec désespoir les chasseurs qui les cernaient. Les deux frères Lavessières, Sébastien et Vertoli. Ils avaient attendu en contrebas, barrant toute chance de fuite.

Les tueurs s’avancèrent, Servane s’accrocha au bras de Mario.

— Alors, le Stregone ! Tu aides les demoiselles en détresse, maintenant ? balança Hervé.

L’Italien demeura muet. Son visage n’exprimait rien de précis. Ni haine, ni connivence. Il s’écarta lentement de la jeune femme et Hervé s’empara d’elle pour la traîner de force jusqu’à son frère.

— Où est Lapaz ? interrogea le maire.

Servane n’eut pas le temps de répondre, il lui asséna une violente gifle. Ses jambes la trahirent, elle s’affaissa dans la poussière. Elle resta par terre, exténuée, regardant tour à tour ses bourreaux.

Tout était fini, désormais.

Tandis que Sébastien tenait le Stregone en respect, André revint à la charge. Il posa le canon de son fusil contre le front de Servane, elle ferma les yeux.

— Où est Lapaz ? répéta-t-il.

Pour toute réponse, elle se remit à pleurer. Vertoli tourna la tête ; trop dur d’affronter la scène.

— Où est le guide ? s’acharna André. Réponds…

— Il est mort ! cracha-t-elle avec violence. Vous l’avez tué !

— Je savais que j’l’avais eu ce salaud ! fit Hervé.

— Où est son corps ?

— Je sais pas… Là-haut, au-dessus du village… Je sais plus…

— Bon, on ira le récupérer tout à l’heure, conclut André.

Il la délaissa alors pour s’intéresser à Mario.

— C’est vrai, ce qu’elle dit ?

— Je sais pas… Elle était toute seule dans le village quand je l’ai trouvée.

— Si tu veux pas mourir, t’as rien vu. C’est bien clair ?

Il hocha la tête en signe d’acquiescement mais Hervé crut bon de remettre une couche.

— Tu nous as jamais vus ici, compris, le Rital ?

— Si…

— Parfait… C’est bien, tu piges vite pour un demeuré… !

Le Stregone resta impassible. Et lorsque les hommes entraînèrent Servane vers la mort, il ne bougea pas. Pas même un battement de cil.

Hervé était furieux. Maintenant, ils allaient devoir s’occuper du berger. Un cadavre de plus à faire disparaître. La liste s’allongeait. Démesurément.

Mais chaque chose en son temps. Pour le moment, il tirait Servane par le bras et elle ne pouvait que le suivre. En gardant l’espoir que Vincent lui survivrait. Dernière lueur dans ce déluge de souffrance.

Elle n’avait plus la moindre force. Elle était allée au bout, et même bien au-delà de ce que son corps pouvait endurer. Elle tomba plusieurs fois, Hervé la releva sans ménagement. Jusqu’à ce qu’ils arrivent au bord d’un précipice à quelques dizaines de mètres de la piste.

Au bord de sa tombe.

Hervé la lâcha et scruta le ravin, cherchant le meilleur endroit pour se débarrasser de cet encombrant témoin. Il ne manquerait plus qu’elle survive à la chute !

Servane vacilla quelques secondes avant de s’écrouler à nouveau. Elle sentait le vide derrière elle, la mort qui effleurait son corps en une ignoble caresse.

Soudain frigorifiée, elle se mit à claquer des dents. Elle chercha une once de pitié sur ces visages, au plus profond de ces hommes qui la considéraient tous avec une inattendue compassion. Ils ne bougeaient plus ; ils la regardaient, simplement. Même Hervé restait soudain à distance.