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Arrêtée sur les hauteurs d’Allos, elle contemplait les lumières de la vallée, maigre consolation de l’absence d’étoiles.

Il y avait bien longtemps qu’elle ne s’était pas sentie si seule. Loin de sa famille, de ses amis.

Que venait-elle faire ici ?

Une cassette de blues se déroulait dans le vieil autoradio, accompagnant à la perfection son vague à l’âme. Elle songea soudain à son père, tenta d’imaginer ce qu’il était en train de faire à cette heure tardive. Regardait-il la télévision en compagnie de sa nouvelle femme ? Dormait-il déjà ?

Pense-t-il à moi ? Comment savoir…

Depuis deux ans, ils étaient devenus des étrangers. Séparation brutale, injuste.

Non, elle n’était pas responsable, c’était lui le coupable. Pourtant, elle avait du mal à lui en vouloir, nourrissant encore l’espoir de le revoir, de renouer un dialogue avec lui. Il lui manquait tant ce soir…

Elle appuya sa tempe sur la vitre froide, ferma les yeux pour ne pas voir ses larmes.

Elle n’y pouvait rien ; la vie avait choisi pour elle.

Elle se décida enfin à rentrer et démarra, brisant le silence de cette nuit sans chaleur. En descendant vers le village, elle remarqua soudain une lueur isolée dans la montagne ; l’Ancolie, unique point lumineux perdu au cœur des ténèbres végétales. Elle pensait souvent à Vincent, seule personne ici lui ayant accordé un peu d’attention. Non, elle était injuste de penser cela : il y avait aussi l’adjudant Vertoli qui se montrait présent. Un peu paternel, même. D’ailleurs, il lui rappelait son vieux. Même stature, même âge, mêmes cheveux grisonnants. Cette idée la rassura, elle essuya ses larmes.

En croisant la route qui montait au lac, elle eut soudain envie de rendre visite au guide. Elle freina brutalement, hésita un instant. Puis se ravisa et reprit le chemin de la caserne. Elle ne le connaissait pas suffisamment pour s’autoriser à le déranger à cette heure.

D’ailleurs, elle n’avait personne à déranger ici.

Elle avala les kilomètres beaucoup trop vite et arriva rapidement à la gendarmerie qui semblait déserte. Elle se dirigea vers l’Edelweiss, le grand bâtiment qui regroupait les appartements de fonction. L’Edelweiss… Ils avaient cruellement manqué d’imagination en baptisant ce chalet ! Le studio de Servane était au quatrième et dernier étage, bien situé et ensoleillé. Mais tellement impersonnel.

Qu’est-ce que je suis venue faire ici ? se répéta-t-elle encore. Où est ma vie ?

Devant l’entrée, un de ses collègues s’était assis sur les marches pour fumer une cigarette. Matthieu, jeune brigadier d’une trentaine d’années, en poste ici depuis deux ans. Plutôt beau gosse, un peu ténébreux.

— Bonsoir, Servane ! Tu es sortie ?

— Juste allée faire un tour, histoire de prendre l’air…

— C’est dur ici, non ?

— Un peu, avoua-t-elle en s’adossant à la rampe.

Ils restèrent silencieux un moment et Matthieu lui proposa une cigarette.

— Tu sais, reprit-il, je voulais te dire… C’est bien que tu sois là… Je veux dire… Qu’on ait une femme dans l’équipe. Ça change un peu !

— Merci… Mais j’ai l’impression que je ne suis pas appréciée de tout le monde !

— Bof ! Ils ont l’air comme ça, mais ils ne sont pas méchants ! Il faut leur laisser le temps de s’habituer ! Ils jouent aux machos, c’est tout… Ça te dirait de monter boire un verre dans mon magnifique une pièce ?

Elle s’apprêtait à refuser mais songea soudain qu’elle devait saisir cette opportunité de se faire un ami.

— Avec plaisir. Mais je ne resterai pas trop longtemps.

— Comme tu voudras ! répondit-il en se dépliant. Je suis au rez-de-chaussée…

Matthieu ouvrit la porte de son jardin secret. Le même appartement que celui de Servane, mais mieux aménagé. Avec des touches personnelles qui lui conféraient une âme. Affiches de films aux murs, guitare sèche près du lit, impressionnante collection de bandes dessinées sur les étagères.

Matthieu lui servit un petit verre de génépi. Bouteille sans étiquette.

— C’est toi qui l’as fait ? supposa Servane.

— Ouais !

— C’est pas interdit de cueillir le génépi ici ?

— Ceux qui vivent dans la vallée ont le droit d’en prendre un peu chaque année. Goûte ! Tu vas voir, c’est très bon !

Elle trempa ses lèvres dans le breuvage fort et fruité. Surprenant et finalement délicieux.

Matthieu alluma la chaîne stéréo, baissa le son.

— Pourquoi t’es rentrée dans la gendarmerie ?

Elle haussa les épaules.

— Pour avoir du boulot ! Et puis j’avais envie d’un truc qui bouge, d’un travail intéressant. Un peu d’action !

— Déçue ?

— Ça ne fait pas assez longtemps que je suis là… Je peux pas encore dire.

— C’est vrai qu’il ne se passe pas grand-chose par ici ! C’est assez calme… L’été, avec les touristes, on bosse plus. Mais finalement, tu verras, il y a toujours quelque chose à faire !

Ils bavardèrent quelques minutes, de choses et d’autres.

Puis Servane termina son verre et se leva.

— Tu t’en vas déjà ?

— Oui, je vais me coucher… Je suis fatiguée.

Matthieu la raccompagna jusqu’à la porte. Il effleura sa main, remonta le long de son bras. Elle resta pétrifiée.

— Tu pourrais rester un peu…

Elle recula d’un pas. Il fut décontenancé par ce refus, un malaise inonda la pièce.

— Pardonne-moi, dit-elle.

— Non, c’est moi… Excuse-moi… Tu me plais et j’ai cru que…

— C’est pas grave ! assura-t-elle. Mais je préfère ne pas tout mélanger… Merci pour le verre et à demain.

Elle se rua dans l’escalier, prenant la fuite tel un gibier traqué. C’est alors qu’elle bouscula Vertoli au détour d’un couloir.

— Pardon, mon adjudant-chef !

— Qu’est-ce qui vous arrive, Breitenbach ? Vous vous entraînez pour le marathon ou quoi ?!

Il distingua une sorte d’effroi au fond de ses prunelles claires.

— Ça ne va pas, mon petit ?

— Si, ça va, je vous assure… Bonne nuit !

Servane chercha les clefs de son appartement dans son sac, d’une main tremblotante. Elle les trouva enfin et se précipita à l’intérieur avant de s’enfermer à double tour.

5

Myriam ouvrit les yeux sur un rayon de soleil qui traversait la chambre, telle une épée de lumière.

En se retournant, elle constata qu’elle était seule.

Une agréable odeur de café montait jusqu’à l’étage. Elle s’étira, se leva à son tour avant de prendre le chemin de la salle de bains. Elle était un peu fatiguée mais sourit à son reflet dans le miroir. Elle se sentait plus jolie que la veille, après cette nuit qui allait changer sa vie. Elle se recoiffa rapidement, passa de l’eau sur son visage puis s’habilla à la va-vite. Au rez-de-chaussée, elle ne trouva personne. Elle sortit sur la terrasse, mais là non plus, aucune trace de Vincent. Juste Galilée étalé au soleil, qui remua doucement la queue. Elle finit par découvrir un mot posé sur la table de la cuisine.

« Myriam,

Je n’ai pas voulu te réveiller. Il y a du café chaud. Fais comme chez toi et laisse la clef dans la jardinière, près de la porte. Je t’embrasse, Vincent. »

Elle était déçue par cette absence mais pensa qu’il avait sans doute quelque chose de prévu. Il était près de 9 heures, elle allait arriver en retard au boulot, mais prit malgré tout le temps de déguster une tasse de café. Parce que Vincent l’avait préparé pour elle. Elle mit le petit message dans sa poche, décida d’en griffonner un à son tour.