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« Vincent,

Tu me manques déjà ! Je t’appelle ce soir. Je t’embrasse très fort. Myriam. »

Elle quitta le chalet à toute vitesse, avant de s’élancer sur la piste. Un magnifique ciel bleu couronnait les sommets.

Tout était si beau, ce matin.

Elle alluma la radio, se mit à chanter. Elle avait eu raison de venir passer son été ici. Et à présent, elle savait qu’elle ne le passerait pas seule. Peut-être même ne repartirait-elle pas. Non, elle allait rester pour vivre ici, avec lui. Une seule nuit à ses côtés et déjà, il faisait partie de son avenir.

Il était son avenir.

Balayés les déceptions, les chagrins. Les désillusions.

Comment était-ce possible ? Comment pouvait-on tomber amoureux si vite ?

Bouleversée, elle laissa éclore quelques larmes, mélange de joie et de peur, émotion incontrôlable. Elle riait et pleurait en même temps et se décida enfin à accélérer sur le chemin de son travail.

* * *

Il n’avait pas eu le courage d’attendre son réveil, ne voulant pas dévoiler son véritable visage. Celui d’un chasseur sans scrupule, sans remords.

Sans remords, vraiment ?

Après tout, il lui avait donné ce qu’elle attendait. Ne pouvait lui offrir plus, de toute façon.

Les pieds dans une fine couche de neige éphémère, le regard dans l’azur éclatant, il était heureux.

Avec la solitude comme seule compagne, il était heureux.

Personne ne le jugeait, ici. Personne ne l’observait. Seule la montagne gardait un œil bienveillant sur lui.

Il aurait aimé ne faire qu’un avec elle. Se fondre dans ce paysage, devenir arbre ou rocher et la suivre dans l’éternité.

Mais il n’était qu’un homme, petit humain fragile et mortel. Animal maladroit et perfectible. Des chamois passèrent à portée de regard, glissant sur la roche avec une aisance prodigieuse. Ils étaient doués d’un équilibre sans faille, parfaitement adaptés à leur milieu. Eux ne faisaient qu’un avec la montagne. Tout comme ces oiseaux noirs planant avec une facilité déconcertante au-dessus de sa tête. Vincent s’allongea pour admirer leur ballet aérien pendant de longues minutes, subjugué par la perfection de la nature.

Alors pourquoi avait-elle raté les hommes ?

Le visage de Laure apparut dans la pureté du ciel, presque flou à présent. Magnifié par cinq longues années d’absence. Il avait l’impression d’entendre sa voix, son rire en cascade. Il ferma les yeux, l’imagina dans ce décor qu’elle avait marqué au fer rouge. Elle était allongée près de lui, il pouvait sentir son parfum subtil, sa peau contre la sienne. Il oubliait déjà qu’une autre avait partagé sa nuit. Il n’avait pas le temps d’ouvrir une parenthèse que déjà, il la refermait.

C’était ainsi. Depuis cinq ans.

Surtout, ne pas risquer d’avoir mal.

Il avait déjà perdu trop de sang, ne survivrait pas à une blessure supplémentaire. Alors, il s’était forgé une armure sans faille. Qu’aucune femme ne saurait briser.

Vers 11 heures, il décida de continuer son chemin, sans but précis. Au lieu de redescendre vers l’Herbe Blanche, où sa voiture était garée, il entreprit de continuer vers le col de l’Encombrette. Personne ne l’attendait, après tout. Libre d’aller où bon lui semblait.

Libre.

Vincent aurait aimé l’être totalement. Mais on n’est jamais vraiment libre. Enchaîné par ses sentiments, ses passions, ses pulsions. Ses besoins, ses envies. Les devoirs qu’on s’impose, les prisons dont on perd la clef. Les souvenirs et les rêves.

Tout ce qui fait qu’on est vivant.

Pourtant, lorsqu’il était avec elle, qu’il vagabondait sur ses courbes charnelles, qu’il respirait à l’unisson avec elle… Lorsqu’elle le prenait, il effleurait ce sentiment à nul autre pareil. Cette sensation divine…

La liberté.

Le vieil homme arriva lentement jusqu’au col et salua le guide de la main.

— Salut, Mario ! Ça va ?

— Va, va…

— Tu es allé voir ta cabane ?

Le Stregone se contenta de hocher la tête et s’essuya le front avec un énorme mouchoir à carreaux troué. Après un signe d’adieu, il passa son chemin. Vincent le regarda s’éloigner en souriant. Ce personnage atypique l’avait toujours amusé alors qu’il en effrayait beaucoup. Il lui faisait penser à un fantôme, errant dans ces montagnes à longueur d’année, comme un revenant traîne ses chaînes dans les interminables couloirs d’un château hanté. Peu de gens avaient entendu le son de sa voix et son vocabulaire semblait très limité. Peut-être n’aimait-il pas parler, tout simplement.

Vincent resta un moment assis aux quatre vents, peu pressé de rentrer. Et alors qu’il allait redescendre, il distingua une autre silhouette sur le sentier. Décidément, les lieux étaient fréquentés aujourd’hui ! Grâce à ses jumelles, il constata qu’il s’agissait d’une femme. Et lorsqu’elle fut plus près, il reconnut Servane. Elle mit longtemps à atteindre le col et, quand elle arriva à sa hauteur, essoufflée, les joues rosies par l’effort, elle lui adressa un sourire étonné.

— Qu’est-ce que vous faites là, brigadier ?

— Je me balade ! J’apprends à regarder !

— Vraiment ? Et vous avez vu quelque chose ?

— Ben… non !

Elle s’assit à côté de lui, sortit sa gourde. Mais elle était quasiment vide. Alors Vincent lui tendit la sienne.

— J’ai croisé un type étrange, tout à l’heure, près du lac… Un vieux barbu, très grand et plutôt costaud… J’ai voulu lui parler mais il ne m’a même pas répondu !

— C’est Mario, expliqua Vincent.

— Et il est muet, ce Mario ?

— Ça dépend avec qui !

— Ah… Il ne parle pas aux étrangers, c’est ça ?

— Il ne parle quasiment jamais. Personnellement, je n’ai échangé qu’une dizaine de mots avec lui en pas mal d’années !

— Il vit à Allos ?

— Vous menez une enquête, brigadier ?!

— Non, mais je l’ai trouvé bizarre… Un peu inquiétant même… Il m’a reluquée d’un drôle d’air.

— C’est qu’il n’a pas l’habitude de croiser des jolies filles dans le coin ! Il vit à Ondres… C’est un petit hameau en dessous de Colmars. Il n’y a que lui là-bas. Et l’été, il s’installe au Vallonet… Il garde un troupeau de brebis pour des éleveurs du coin.