— Il y a des gens curieux par ici ! Son regard m’a glacé le sang, tout à l’heure…
— Vous avez eu peur ? railla Vincent.
— Peur ? Non ! mentit-elle.
— Vous savez, beaucoup de gens ici sont superstitieux. Et Mario les effraie. Certains prétendent qu’il porte malheur ! D’ailleurs, tout le monde l’appelle le Stregone ! Ça veut dire sorcier, en italien… Certains pensent qu’il peut jeter des sorts.
— Quelle connerie !
Elle sortit un paquet de cigarettes de sa poche, Vincent la considéra avec un sourire en coin.
— Ne vous en faites pas, je mettrai le mégot dans ma poche !
— Parce que je suis là ?
— Non. Parce que j’ai compris…
Ils restèrent un moment silencieux et Vincent se surprit à apprécier la compagnie de cette femme qu’il connaissait à peine. Il sentait en elle une volonté farouche. Quelque chose de fort qui transparaissait derrière la fragilité apparente de sa silhouette.
— Vous redescendez avec moi ? espéra-t-elle.
— Ah non ! Ma voiture est de l’autre côté !
— Dommage…
— Pourquoi ? Vous avez la trouille de rencontrer Mario ? Ne vous en faites pas, il est parti en sens inverse !
— Non, c’est pas ça… J’aurais pu apprendre des tas de trucs en votre compagnie…
— Des tas de trucs ? Et qu’est-ce que vous aimeriez que je vous apprenne, Servane ?
Elle piqua un fard, il éclata de rire.
— C’est malin ! maugréa-t-elle.
— Vous pouvez redescendre avec moi, si vous voulez. Je vous raccompagnerai jusqu’à votre caisse…
— Vraiment ? Super ! Ça m’évite de faire le même chemin deux fois !
— Alors en route !
Il se leva et elle le regarda avec une moue boudeuse.
— Quoi ? demanda-t-il.
— J’ai même pas eu le temps de me reposer ou de profiter de la vue ! Après le mal que je me suis donné…
Il consentit à lui accorder un petit quart d’heure. Elle se mit à frissonner.
— Couvrez-vous, conseilla-t-il. Vous avez le dos trempé, vous allez attraper froid…
— J’ai oublié d’emporter mon blouson !
— Pas très prudent. Le temps change si vite, ici. Il ne faut jamais partir sans une polaire. Même en plein mois d’août.
Il lui offrit la sienne.
— Merci… C’est sympa.
— C’est rien.
— Si, c’est sympa.
De lui accorder sa présence. Juste un peu d’attention à cette étrangère qui ignorait tout de ce monde.
L’office du tourisme de Colmars allait bientôt fermer ses portes et Michèle remettait de l’ordre dans les prospectus qui s’amoncelaient sur le guichet, tandis que Myriam passait un coup de balai. En chantonnant.
— Qu’est-ce qui t’arrive, ma belle ? demanda la directrice. Depuis quand balayer te met en joie ?
— Ça ne m’a jamais dérangée…
— Oui, mais depuis deux jours, tu es sur un petit nuage !… Comment s’appelle l’heureux élu ?
— Ça te regarde pas ! rigola Myriam.
— C’est vrai. Mais n’empêche que j’aimerais bien savoir ! Je te promets que je le garderai pour moi !
Comme la jeune femme ne semblait pas décidée à répondre, Michèle adopta une autre stratégie.
— De toute façon, il n’y a pas beaucoup de gars par ici ! Je vais finir par trouver ! À moins que ce ne soit un touriste…
— Non, c’est pas un touriste…
— Ah ! Brun ou blond ?
Myriam dévisagea Michèle avec tendresse.
— Tu es bien curieuse !
— Aussi curieuse qu’une vieille fouine ! Alors, brun ou blond ?
— Brun.
— Ton âge ou plus vieux ?
— Plus vieux.
En fait, Myriam mourait d’envie de se confier à cette femme qui aurait pu être sa mère. Surtout qu’elle n’avait plus de mère depuis longtemps.
Mais elle hésitait à révéler l’identité de Vincent, se souvenant de la mise en garde proférée par Michèle lors de leur première rencontre.
— Bon, reprit la directrice, on avance… Il est du coin, brun et plus âgé que toi… Ça nous laisse encore pas mal de possibilités… Je le connais bien ?
— Je crois…
— Il habite Colmars ?
Myriam répondit par un signe négatif de la tête.
— Allos ?
— Oui. Et je ne t’en dirai pas plus !
Mais ce n’était pas nécessaire. Michèle avait brusquement compris qui était ce mystérieux amant.
— Ne me dis pas que c’est Vincent ?
Le regard de Myriam trahit la vérité, elle se mit à sourire béatement.
— Nom de Dieu ! laissa échapper la directrice.
— Quoi ? Qu’est-ce que tu as contre lui ? C’est un mec extraordinaire !
— Ouais, extraordinaire ! répéta Michèle en reprenant son rangement.
Myriam s’approcha d’elle, tentant de renouer le contact.
— Pourquoi tu le prends comme ça ? Il y a quelque chose entre vous ?
— Tu rigoles ! Ce mec, vaut mieux l’éviter ! C’est du poison concentré !
Le visage de la jeune femme se décomposa.
— Je croyais que tu le trouvais sympa, murmura-t-elle.
Michèle essaya de trouver une formule moins brutale.
— Il est sympa, c’est pas ce que j’ai voulu dire… Mais faut que tu comprennes qu’avec les femmes, il se comporte comme un salaud. Quand il s’est bien amusé, il les jette sans aucun remords !
— Qu’est-ce que t’en sais ? s’emporta Myriam, en proie à une peur violente.
— Je le connais depuis longtemps, c’est tout.
— Tu ne le connais absolument pas ! Tout le monde dit des saloperies sur lui alors qu’il est génial !
— Écoute, j’essaie seulement de te mettre en garde… Si tu veux juste t’amuser, c’est pas grave. Mais si jamais tu as d’autres espoirs…
— Ça ne te regarde pas ! Et j’aurais jamais dû t’en parler ! Tu es jalouse, voilà tout !
— Jalouse, moi ? Mais tu dis n’importe quoi, ma petite ! Je suis mariée, je te signale !
— Ça n’empêche pas ! J’ai bien vu comment tu le regardais, la dernière fois ! Tu le bouffais des yeux ! Et parce qu’il m’a choisie, moi, tu essaies de tout casser ! C’est lamentable !
— Eh ! Du calme ! Pas la peine de te mettre dans un état pareil…
Myriam attrapa sa veste et claqua violemment la porte. Michèle regretta de n’avoir pas su trouver les mots pour la préserver du danger.
— Et merde ! bougonna-t-elle. Fais comme tu veux, après tout !
6
Il y a des matins où tout semble simple. Des réveils en douceur qui font aimer la vie. Myriam ne pouvait détacher ses yeux de la silhouette endormie à ses côtés, sculptée par la pénombre. Vincent, allongé sur le ventre, un bras replié sous l’oreiller, semblait prisonnier de ses rêves. Tandis qu’elle, assise, le contemplait avec un sourire comblé. Caressant des yeux sa peau veloutée et cuivrée, les muscles puissants de son dos.
Les quelques doutes qui avaient pu s’immiscer en elle la veille s’étaient envolés comme par magie. Une seconde nuit au-delà des rêves ; un peu moins de délicatesse seulement.
Elle se leva et, à pas de loup, quitta la chambre, direction le rez-de-chaussée. Préparer un café, un bon petit déjeuner qu’elle lui apporterait au lit.