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Seul, Vincent put enfin ouvrir les yeux. Il se mit sur le dos, contempla le plafond en lambris où les dessins du bois et ses nœuds prenaient parfois l’aspect de visages torturés. Hier soir, il n’avait pas été surpris de revoir Myriam sur le pas de sa porte. Il avait hésité un instant puis l’avait invitée à entrer. Elle était si jolie, si féminine. Difficile de lui résister.

Mais ce matin, il ressentait cet étrange sentiment de destruction dans ses veines. Sensation d’étouffement, malaise familier qui s’imposait à lui comme une évidence. La liberté est synonyme de bonheur ; et cette fille qui préparait son petit déjeuner, chez lui, dans sa cuisine, était une souffrance.

Il avait lu quelque chose dans ses yeux. Il s’était vu prisonnier dans son regard.

Elle n’était pas là pour passer un bon moment ; elle lui offrait tout ce qu’elle avait.

C’était trop. Beaucoup trop.

Il descendit à son tour. Myriam s’affairait à faire griller du pain. Elle se retourna, radieuse et souriante.

— T’es réveillé ? Dommage ! Je voulais t’apporter ton p’tit déj au lit !

— Je ne prends jamais mon petit déjeuner au lit.

Elle voulut l’embrasser, il se déroba. L’angoisse transfigura alors son visage de petite fille.

— Tu ne bosses pas, ce matin ? demanda-t-il en se laissant tomber sur une chaise.

— Si, bien sûr… Mais j’ai le temps, il n’est que 7 h 30… Et puis Michèle m’attendra !

— Tu devrais y aller, tu vas être en retard. Moi aussi, d’ailleurs.

— Tu as des clients ?

— Oui.

— J’ai fait griller du pain… C’est presque prêt !

— Je n’ai pas faim, Myriam.

— Tu es de mauvaise humeur ? Tu n’as pas bien dormi ?

Elle se pencha vers lui, essayant encore de l’embrasser. Mais il tourna la tête. La peur succéda à l’angoisse.

— Qu’est-ce que tu as ? demanda-t-elle.

— Assieds-toi, s’il te plaît.

Elle s’exécuta et Vincent décida enfin d’ôter le masque.

— Tu sais, Myriam, je ne suis pas forcément ce que tu crois…

— Ce… que je crois ?

— Je veux dire que je ne suis pas fait pour la vie à deux. Je ne veux pas que tu te fasses d’illusions sur mon compte, conclut-il.

— Des illusions ? murmura-t-elle.

— Oui, des illusions. Nous deux, c’est juste histoire de s’amuser un peu. De passer des bons moments. Tu comprends, Myriam ?

Oh non, elle ne voulait pas comprendre ! Vincent détourna son regard, ne pouvant affronter la souffrance qui explosait dans ces yeux. Il avait vu juste, elle était amoureuse. Mais ça lui passerait. Deux nuits s’oublient si vite.

— Tu espérais autre chose ?

Dernier sursaut de dignité. Ne pas s’effondrer devant lui.

— Non, on se connaît à peine, répondit-elle. Je… Je vais y aller… Puisque tu n’as pas faim, inutile que je reste déjeuner avec toi.

Elle remonta à l’étage, tenta de contrôler ses tremblements nerveux. Elle enfila ses vêtements avec des gestes maladroits. Son cœur se tordait de douleur, elle était encore incapable de raisonner. Juste fuir au plus vite, ne pas chialer. Pas maintenant.

Au rez-de-chaussée, elle récupéra son sac et son blouson, posés sur une chaise. Sous le regard de Vincent qui ne semblait même pas compatir. Comme indifférent.

— J’y vais, dit-elle.

Il prit la peine de la raccompagner jusqu’à la porte, avant de l’embrasser sur la joue.

Mon Dieu, ne pas pleurer ! Pas encore.

— Je suis désolé si je t’ai blessée, mentit Vincent. Ce n’était pas mon but.

— Ça va ! répondit-elle avec un sourire forcé. Ne t’en fais pas…

— Ma porte est toujours ouverte pour toi… Tu reviens quand tu veux.

Là, il était sincère.

— D’accord, dit-elle. À bientôt…

Elle marcha jusqu’à sa voiture sans se retourner.

Tenir encore un peu.

Une marche arrière, quelques mètres en avant et la piste se présenta devant elle.

Noyée au milieu d’un torrent de larmes.

* * *

Une journée d’entraînement au sauvetage en montagne en compagnie de ses collègues et des gardes-moniteurs du Parc national. Le tout sous la direction de Vincent. Descentes en rappel, escalade. Programme plutôt amusant. Sauf que Servane avait découvert qu’elle avait le vertige.

Sensation capricieuse qui arrivait sans crier gare, repartait peu après. Puis resurgissait de plus belle.

Durant cet exercice, elle s’était pour la première fois sentie intégrée au groupe. Les hommes s’étaient montrés agréables et attentionnés à son égard.

Enfin, elle faisait partie de l’équipe. Elle y avait même une place à part, plutôt enviable.

Elle s’apprêtait à rejoindre son appartement lorsque Vertoli l’interpella.

— Breitenbach ! Vous pouvez me rendre un service ? Il faudrait rapporter ce matériel à son propriétaire…

Il lui désigna un tas de cordes et de mousquetons posés à même le sol.

— C’est au guide, Lapaz… Il a oublié ça dans un de nos véhicules. Je vais vous expliquer où il habite…

— Pas la peine, je le sais.

Elle regretta instantanément cette dernière répartie.

— Ah bon ? répondit Vertoli avec un petit sourire narquois.

— Oui, je suis montée une fois jusqu’à chez lui. Je voulais faire une rando pour mieux connaître le coin…

— C’était bien ? La rando, je veux dire…

— Oui, très bien. On est allés au lac d’Allos.

— C’est beau, n’est-ce pas ?

— Magnifique !

— Bon, dans ce cas, je vous laisse faire. Prenez une des Jeep.

— D’accord. Mais s’il n’est pas chez lui ?

— Vous n’aurez qu’à déposer le matériel derrière le chalet. Ça ne craint rien, ici. Il n’y a guère de voleurs dans le coin ! Parfois, on se demande même pourquoi il y a une gendarmerie !

Il la salua et repartit vers le bâtiment d’un pas militaire.

* * *

Avec la Jeep, la piste semblait facile à parcourir. Il était 19 heures et Servane montait en direction de l’Ancolie, admirant au passage le déclin du soleil sur les sommets. À cette heure, la lumière confère une autre splendeur à la montagne, révélant de subtils reliefs ignorés le reste du temps.

Elle arriva à destination plus vite qu’elle ne l’aurait cru et Galilée se chargea de l’accueillir. Servane lui accorda quelques caresses puis frappa à la porte. Elle attendit un moment, fit le tour du chalet et, ne voyant personne, elle revint devant l’entrée et actionna la cloche. Cette fois, Vincent lui ouvrit, vêtu seulement d’une serviette de toilette nouée autour de la taille. Visiblement, elle l’avait sorti de sa douche et s’en trouva horriblement mal à l’aise.

— Brigadier ! Qu’est-ce que vous faites là ? Je ne pensais pas que c’était vous !

— Excusez-moi de débarquer sans prévenir. Je vous ramène votre matériel.

— C’était pas la peine de vous déranger, je l’aurais récupéré demain.

— Le chef m’a demandé de vous le rapporter ce soir. Et quand le chef donne un ordre…

— Je vois ! Excusez ma tenue, j’étais sous ma douche ! Vous voulez entrer ?

— Non, je veux pas vous embêter…

— Allez, entrez ! Servez-vous un verre pendant que je m’habille.

— Non, merci… je suis encore en service !

— Il y a des trucs sans alcool dans le frigo ! lança-t-il en montant les escaliers. Ça, vous avez le droit, non ?

Elle débusqua un jus de fruits dans le réfrigérateur et s’installa sur le canapé, juste à côté de Galilée.