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— Vincent… J’ai déconné, tout à l’heure… Je sais pas ce qui m’a pris de vous frapper comme ça. C’est… C’est la première fois que je fais un truc pareil…

— Sans doute parce que c’est la première fois que vous passez si près de la mort, répondit-il. Vous avez eu peur, très peur même. Et on ne réagit pas tous pareil devant une telle frayeur. Vous deviez déverser tout ça sur quelqu’un et j’étais le plus proche !

— N’empêche que c’est dingue, ce que j’ai fait ! Je ne me serais jamais crue capable de ça ! Je vous ai fait mal ?

— Un peu, oui.

— Désolée.

— N’en parlons plus. J’ai déconné, moi aussi.

Ils arrivèrent à l’Ancolie vers midi et Servane s’enferma dans la salle de bains. Quand elle en ressortit, Vincent l’attendait de pied ferme avec ses compresses et sa lotion désinfectante. Cette fois, elle accepta de se laisser soigner. De profondes écorchures entamaient sa peau incroyablement blanche et fine, presque translucide. Vincent se montra aussi délicat que possible et Servane resta stoïque face à la cuisante brûlure. Il prit ensuite sa cheville droite entre ses mains, la manipula doucement.

— Vous avez une entorse, faudra passer chez le toubib…

Il posa un bandage serré puis soigna ses mains et ses avant-bras.

— Voilà, c’est fini, dit-il.

— Merci…

— Vous voulez manger ?

— Oh non ! J’ai envie de gerber…

— Il faut manger après ce que vous avez vécu… Reprendre des forces ! Je vais vous préparer quelque chose… Vous n’avez qu’à vous allonger sur le canapé et vous reposer. Ce ne sera pas long.

Il disparut dans la cuisine, tandis que Servane s’affalait sur la banquette, juste à côté de Galilée dont elle caressa machinalement le poil hirsute. Vincent la rejoignit enfin pour dresser le couvert, s’arrangeant pour lui tourner le dos.

— Pourquoi vous ne m’avez pas attendue, ce matin ? demanda-t-elle.

— J’en sais rien…

— Comment ça, vous n’en savez rien ? C’est stupide comme réponse !

— C’est vrai, c’est stupide… J’aurais dû vous attendre.

Il s’affairait toujours, évitant soigneusement de croiser son regard.

— Venez vous asseoir, ordonna-t-elle en poussant Galilée sur le tapis.

Il hésita un instant puis se posa à une distance raisonnable. Il ressemblait à un gosse pris en faute, qui appréhende une réprimande.

— Vincent, pourquoi vous ne m’avez pas attendue ce matin ?

Il essayait de trouver un beau mensonge mais son esprit était trop fatigué.

— Vous vouliez vous débarrasser de moi ? fit-elle en souriant.

— Non ! Bien sûr que non… J’allais mal, c’est tout…

Elle massa doucement sa cheville endolorie, revoyant le film de sa chute.

Elle était tombée parce qu’il allait mal ! Elle avait frôlé la mort parce qu’il n’avait pas voulu montrer ses larmes.

Elle se demanda alors pourquoi les hommes n’avaient presque jamais la force de dévoiler leurs sentiments. Au risque de tout perdre. Cette faiblesse qu’ils faisaient passer pour du courage. Et que Servane trouva finalement touchante.

11

— Tout cela n’est pas une preuve, trancha Vertoli. Une carcasse de chamois ne constitue pas une preuve tangible.

— Mais il a été abattu le jour où Pierre est tombé ! s’obstina Servane. Et à proximité du lieu de la chute… On peut donc supposer…

— Supposer ? C’est justement le mot que je cherchais ! On ne peut que supposer…

La jeune femme manifesta son agacement par un soupir.

— Les résultats de l’autopsie montrent que la cause du décès de Cristiani est bien la chute, continua l’adjudant. Il n’y a aucune trace de violence ou de lutte… Et nous n’avons relevé aucune empreinte sur le corps non plus.

— Mais ils l’ont peut-être menacé et il est tombé en voulant prendre la fuite !

— Peut-être, peut-être… D’accord, Breitenbach ! capitula le chef. Je vais appeler le proc et nous allons enquêter sur ces braconniers. Nous ne négligerons aucune piste. Mais selon moi, il s’agit purement et simplement d’un accident…

— Merci, mon adjudant-chef.

Servane le gratifia d’un regard reconnaissant avant de se diriger vers la porte.

— Au fait, Breitenbach ! Les obsèques de Cristiani auront lieu demain.

— Ah… Ai-je la permission d’y aller ?

— Nous irons tous.

* * *

Personne ne parlait, au bureau du Parc. Julien Mansoni tournait machinalement sa petite cuiller dans une tasse de café déjà froid, tandis que Cédric faisait virevolter un stylo entre ses doigts. Quant à Baptiste, il aurait pu sembler aussi calme qu’à l’accoutumée si un léger mouvement de ses lèvres n’avait trahi sa nervosité.

Vincent venait d’exposer sa théorie sur la mort de Pierre et attendait le verdict des hommes en gris.

— Y a un truc qui me chiffonne, lança soudain le jeune Cédric. Si Pierre a repéré ces braconniers, pourquoi ne nous a-t-il pas prévenus par radio ? C’est ce qu’on fait dans ce cas-là.

— C’est ce que je pense aussi, renchérit Baptiste de sa voix de ténor. On n’intervient jamais seul contre ces gars-là…

— Eh bien moi, je trouve que sa théorie tient la route, fit Julien. Je ne crois guère aux coïncidences !

— Il était peut-être en panne de radio, ajouta Lapaz.

— Il m’a contacté une heure avant de… avant de tomber, révéla Cédric. Sa radio fonctionnait bien avant la chute.

— Toute manière, Pierre ne serait pas intervenu seul contre des braconniers, s’entêta Baptiste.

— Et s’il est tombé sur eux sans les voir venir ? suggéra Julien. Il n’a peut-être pas eu le temps de nous alerter…

— Ouais, possible, concéda Baptiste.

— Possible, répéta Cédric en écho.

Lentement, le doute envahissait la pièce et l’esprit de Vincent. Évidemment, si Pierre avait repéré des braconniers, il aurait prévenu ses collègues. La remarque du jeune Cédric était plus que pertinente. Il y avait peu de chances pour qu’il soit tombé nez à nez avec eux au détour d’un sentier : un garde voit tout à des kilomètres. Pierre ne dérogeait pas à la règle : il était le meilleur observateur de ces montagnes.

Pourtant, la thèse de l’accident était encore moins probable à ses yeux.

— En tout cas, la gendarmerie va mener une enquête, révéla le guide.

— Tu es allé voir Vertoli ? s’étonna Julien Mansoni.

— Non, c’est Servane qui m’a appelé tout à l’heure.

— Servane ? répéta Cédric. Elle t’aime bien, on dirait…

— Je l’ai aidée quand elle est tombée en panne. Depuis, elle m’apprécie tout particulièrement !

— Je vois, dit Baptiste avec un sourire en coin. Toute manière, elles t’apprécient toutes ! T’en as pas une petite à me présenter ?

Depuis la mort de Pierre, aucun de ces hommes n’avait souri ou plaisanté. Mais il fallait désormais surmonter la douleur.

— Toujours célibataire ? supposa le guide.

— Toujours… Toute manière, je suis bien mieux seul !

— Tu parles ! ricana Cédric. Dis plutôt qu’aucune gonzesse peut te supporter ! Toi et tes manies de vieux garçon !

— Qu’est-ce que t’en sais, p’tit con ? riposta Baptiste en caressant sa moustache. T’étais encore qu’un spermatozoïde que je savais déjà tout sur les femmes !

Faire semblant.