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Il l’attira contre lui. C’était fini, il ne risquait plus rien. Il pouvait la prendre dans ses bras, la réconforter à nouveau.

— Tu pourras toujours compter sur moi, murmura-t-il. Je serai toujours là pour toi et les enfants…

— Merci, Vincent. Moi aussi je serai toujours là pour toi. Je sais que tu vas mal et si tu as besoin de me parler, n’hésite jamais. Je te promets que je ne te ferai plus jamais ça…

— Dommage ! dit-il avec un rire qui masquait mal son émotion.

Ils prirent leur petit déjeuner ensemble, en silence. Vincent avait envie de révéler à Nadia ses doutes quant à la mort de Pierre. Mais il se ravisa, conscient qu’elle avait suffisamment encaissé pour le moment. Il lui dirait la vérité lorsqu’il détiendrait plus d’éléments, lorsqu’il aurait des certitudes.

Si toutefois il en avait un jour.

— Je peux utiliser ton téléphone ? demanda soudain Nadia.

— Bien sûr.

Elle décrocha le combiné puis consulta le répertoire posé sur la console.

— Tu veux appeler qui ?

— Ghislaine.

Vincent avala son café de travers et faillit s’étrangler.

— Nadia ! Tu es sûre que…

Elle avait déjà composé le numéro et mis le haut parleur. Comme si elle avait besoin d’un témoin. Julien était au bureau à cette heure-ci ; ce fut donc son épouse qui décrocha.

— Ghis ? C’est Nadia…

— Ah ! Bonjour ! Comment ça va, ma chérie ?

Elle l’appelait souvent ainsi. Ma chérie.

Ces mots qui, ce matin, lui faisaient l’effet d’un poignard dans le dos.

— Mal.

— Bien sûr, je m’en doute, compatit Ghislaine.

— Non, tu ne te doutes de rien… Je sais pour toi et mon mari.

Un long trou noir succéda à cette annonce fracassante ; Vincent oublia même de respirer.

— De quoi tu parles ? essaya enfin Ghislaine.

— Stop ! Inutile de continuer à me prendre pour une conne… Je sais que tu couchais avec Pierre. Je veux juste que tu me dises depuis combien de temps !

— Mais… je comprends rien à ce que tu me racontes ! s’entêta la femme de Julien.

— Vraiment ? Tu veux que j’en parle à ton mari ? Tu veux que j’aille le trouver pour lui faire écouter le dernier message que tu as laissé sur le portable de Pierre, le jour où il est mort ? À 14 h 52, précisément. C’est ça que tu veux ? Parce que figure-toi que son téléphone marche encore… Dommage, n’est-ce pas ?

Encore un silence. Plus long que le premier.

— Alors ? s’impatienta Nadia. Je veux entendre la vérité de ta bouche… Et je te conseille de ne pas me mentir : Pierre a tout noté dans un carnet que j’ai retrouvé en fouillant son bureau. Alors je sais exactement ce que vous avez fait ensemble… Je veux juste te l’entendre dire… Je veux que tu aies enfin le courage de me l’avouer !

Elle mentait avec un aplomb qui bluffa Vincent.

— Si tu sais tout, à quoi ça sert que je te le dise ? répondit Ghislaine d’une voix tout juste audible.

— Je veux te l’entendre dire ! Sinon, je raccroche et je vais parler à Julien. Tout de suite.

— On se voyait depuis un an et demi… Environ une fois par semaine… Mais nous nous sommes séparés la veille de… de son accident.

Un an et demi… Vincent ferma les yeux tandis que Nadia se mettait à hurler. Comme une démente.

— Comment t’as pu me regarder en face pendant tout ce temps, salope ? Comment tu as pu me faire une chose pareille !…

Encore des insultes, jusqu’à ce que Nadia s’arrête enfin de cracher son venin pour reprendre son souffle. Sa main tremblait. Seulement sa main ; le reste de son corps était ficelé de colère.

— Je ne dirai rien à Julien parce que j’ai trop de respect pour lui, reprit-elle d’une voix qui déraillait. Pour tes gosses, aussi. Pour qu’ils ne souffrent pas autant que les miens… Mais ne t’approche plus jamais de moi ou de ma famille… sinon je te fais la peau !

Elle raccrocha violemment le combiné et se retourna vers Vincent, aussi raide qu’un cierge sur sa chaise, incapable du moindre mouvement. Il venait de vivre une des expériences les plus dures de sa vie. Cette femme, d’habitude si douce et tempérée, venait de se transformer en furie sous ses yeux meurtris.

L’œuvre de Pierre.

À cet instant, s’il n’était pas déjà mort, il aurait eu envie de le tuer. Étrange sentiment de haine qui refaisait surface à intervalles réguliers. Alors qu’avant, leur amitié était la plus belle.

— Excuse-moi, Vincent. Il fallait que je le fasse. Il fallait que je le fasse maintenant.

* * *

Servane poussa la porte de son studio et commença par ôter son uniforme. Elle prit une bouteille d’eau dans le petit frigo, but à même le goulot avant de s’affaler au milieu de son lit. Exténuée par une journée pourtant calme. Morose, même. Paperasse et compagnie. Elle alluma une Peter, jeta un œil à son répondeur ; il clignotait, annonçant trois messages.

Au moins trois personnes qui pensent à moi ! C’est déjà pas si mal…

Coucou, ma chérie, c’est maman ! Je vois que t’es encore au boulot ! Tant pis, je rappellerai plus tard… Je te fais de gros bisous ! Bip. Salut, brigadier, c’est Vincent. J’ai les informations sur les deux terrains. Si vous voulez qu’on en parle, vous pouvez me rappeler. Ou même passer si vous n’avez rien de prévu. À plus. Bip. Bonjour, Servane, c’est Fred… C’est ta mère qui m’a donné ton numéro… Je voulais te parler… Ça serait bien que tu me rappelles… Au cas où tu ne t’en souviendrais pas, mon numéro c’est le 06.75.24.30.56… Tu me manques beaucoup et… j’aimerais qu’on se parle… J’attends ton coup de fil et je t’embrasseJe t’embrasse fort.

Bip final.

Servane s’était redressée sur son lit.

Fred…

Elle croyait ne plus jamais en entendre parler après ce qui s’était passé. Après cette séparation tumultueuse.

Fred, à des centaines de kilomètres d’ici et qui pensait encore à elle.

Putain ! Si je m’attendais à ça…

Elle décrocha son téléphone, hésita un instant ; finalement, c’est Vincent qu’elle appela.

Pour Fred, il fallait prendre le temps de réfléchir.

— Vincent ? C’est Servane…

— Salut, brigadier ! Comment ça va ?

— Un peu crevée mais ça va…

— Vous avez des courbatures ?

— Ouais ! Vous voulez me parler de vos découvertes ? Je peux passer, si vous êtes seul…

— Je suis seul… Vu l’heure, je peux même vous proposer de venir dîner ! Ça vous dit ?

— Volontiers… Il faut juste me laisser le temps de prendre une bonne douche et de monter… Disons dans une heure, ça va ?

— Parfait… Je vous attends.

Elle raccrocha et retomba en arrière sur le matelas, fixant le plafond comme si elle y cherchait une réponse.

Fred… Qui venait de ressurgir dans sa vie. Contrariété prévisible mais plaisir inattendu. Deux ans de vie commune qui lui semblaient tellement lointains alors que c’était hier. Elle prit sa douche, enfila un jean et un petit pull en coton noir.

Est-ce que je dois rappeler Fred ou non ? Je verrai plus tard.

Elle attrapa son sac, son blouson, et dévala les escaliers, saluant au passage Irène Vertoli qui regagnait son appartement. Une femme étrange, cette Mme Vertoli.

— Bonsoir, Servane. Vous sortez ?

— Oui, je suis invitée à dîner chez un ami !