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— Ah… C’est bien… Vous ne vous ennuyez pas trop ici ?

— Non, ça va ! Finalement, je crois que j’aime beaucoup la montagne…

— C’est beau, c’est vrai.

Elle venait de dire ça sans aucune conviction, comme elle aurait trouvé quelque beauté à sa prison.

L’épouse de l’adjudant-chef était une femme discrète, grande, anorexique. Le teint maladif, les joues creusées et les yeux éteints.

Sa tristesse semblait infinie.

Certainement une dépressive, songea Servane sans aucune compassion.

— Je vais vous laisser, madame… Je suis déjà en retard.

— Vous pouvez m’appeler Irène, vous savez…

— D’accord, Irène… Passez une bonne soirée.

La jeune femme se hâta de rejoindre sa voiture. En traversant Colmars, elle remarqua que l’épicerie était encore ouverte.

Ça serait bien de ne pas arriver les mains vides. Vu que c’est tout le temps lui qui m’invite…

La petite supérette n’offrait guère de choix. Néanmoins, elle dégota un apéritif à la framboise ainsi qu’un bordeaux. Le plus cher du rayon.

À ce prix-là, c’est forcément du bon. Ou alors, c’est des voleurs ! Vincent doit s’y connaître, lui. Pourvu que je ne me sois pas plantée ! Si ça se trouve, c’est une infâme bibine !

Tant d’interrogations pour une simple bouteille de vin… Mais Servane avait pour habitude de se torturer l’esprit pour des choses sans importance. Capable d’hésiter deux heures pour un choix anodin. Et de prendre en une seconde une décision capitale.

Elle repartit en direction d’Allos alors que l’obscurité s’abattait sur la vallée. Elle allait devoir parcourir la piste de nuit, idée qui ne la réjouissait guère. Elle mit une cassette de Queen dans l’autoradio pour se filer du courage, duo à tue-tête avec Freddy Mercury. Elle chantait juste mais n’avait jamais aimé sa voix, trop grave, pas assez douce.

Les kilomètres défilèrent au-delà de la vitesse autorisée. Mais qui pouvait donc la verbaliser ? Un des avantages d’être gendarme. Peut-être le seul, d’ailleurs. L’ambiance à la caserne était plus détendue, les hommes commençaient à l’accepter. Pourtant, contrairement à ce qu’elle avait pu croire, elle ne faisait pas encore partie du groupe à part entière. Il y avait toujours cette méfiance, cette distance. Simple paranoïa de sa part ?

La seule chose évidente, c’est que Matthieu lui faisait la gueule, certainement vexé d’avoir été éconduit de la sorte. Il n’y avait que Vertoli qui ne marquait aucune différence entre elle et les autres membres du groupement. Elle avait de la chance d’être tombée sous son commandement. Vraiment beaucoup de chance.

Arrivée à Allos, elle prit la direction du lac, dans une inquiétante pénombre.

I’m going slightly mad !

Ne pas trop penser à Fred.

Qu’est-ce que je dois faire ? Rappeler ? À quoi bon ? Je suis si loin, désormais… Et puis j’ai tiré un trait sur cette histoire. J’ai eu tant de mal à m’en sortir. Pourquoi y replonger ?

Elle essuya une larme qui avait échappé à sa vigilance et se remit à hurler I’m going slightly mad…

La piste se présenta ; serpent de poussière qui s’enfonçait dans les feuillages. Elle ralentit pour s’y engager prudemment. Dans la lumière des phares, le moindre caillou semblait démesurément saillant. Elle avait déjà emprunté cette voie de nuit et par temps de pluie, elle n’allait pas se laisser impressionner par quelques kilomètres d’un chemin tortueux… Elle coupa la parole à Freddy Mercury qui l’empêchait de se concentrer. Premier tournant en épingle, négocié sans aucun problème. Finalement, elle devenait une vraie pro de la conduite tout-terrain ! Mais au détour d’un virage, elle devina une silhouette plantée au beau milieu de la piste. Elle freina brutalement : un homme, qui lui sembla immense, se tenait droit devant le capot, un chapeau sur la tête et appuyé sur une canne. Mirage du crépuscule.

Comme sorti de nulle part, il ne bougeait plus.

— Hé ! lança Servane. Barrez-vous du milieu !

L’homme fit trois pas en arrière et elle reconnut alors Mario. Il vint se coller à sa portière, tapa contre la vitre.

Elle fut tellement effrayée qu’elle poussa un hurlement avant de démarrer en trombe sous le regard pénétrant du vieil homme. En lorgnant dans son rétroviseur, elle distingua encore son imposante carrure sur le bord de la piste.

— Malade, ce mec ! Complètement givré !

Elle accéléra encore, comme s’il pouvait la rattraper et arriva rapidement à l’Ancolie. La douce lumière qui filtrait du chalet la rassura et Galilée se chargea de l’accueillir. Elle n’avait jamais été aussi heureuse de le voir. Elle courut vers le chalet, le berger sur ses talons. Dans sa précipitation, elle ne pensa même pas à frapper avant d’entrer. Vincent ne cacha pas sa surprise devant cette irruption quelque peu cavalière.

— Entrez, je vous en prie ! Faites comme chez vous…

En l’observant plus attentivement, il comprit qu’elle n’était pas dans son assiette.

— Qu’est-ce qui vous arrive ? On dirait que vous avez vu un revenant !

— J’ai croisé ce type bizarre en montant… Le Sorcier !

— Mario ?

— Oui, c’est ça ! J’ai même failli l’écraser ! Il est complètement fou, ce type ! Il était au milieu de la piste, en pleine nuit !

— Du calme, brigadier, sourit Vincent. Il n’est pas méchant… Du moins, je ne crois pas ! Un peu original, tout au plus…

— Original ? C’est un maniaque, j’vous dis ! Il m’a encore regardée bizarrement ! Il voulait que je descende ma vitre !

— Et que vous a-t-il dit ?

— Rien ! J’ai démarré…

— Il avait peut-être un problème, besoin d’aide… Bravo pour votre sens du civisme ! C’est pas un délit la non-assistance à personne en danger ?!

— Il n’avait rien… C’est un psychopathe, j’en suis sûre !

— Ou alors, il est amoureux de vous ! plaisanta Vincent en goûtant le plat qui mijotait sur la gazinière.

— Arrêtez vos conneries ! Rien que d’en parler, j’ai des frissons dans le dos…

— Allez, détendez-vous, vous êtes en sécurité maintenant !… Quoique… Je suis peut-être un grand psychopathe, moi aussi…

Il s’avançait vers elle, armé d’un couteau de cuisine, un rictus démoniaque sur le visage. Elle éclata de rire, enfin. Il posa la lame et la débarrassa de son blouson.

— Merde ! dit-elle.

— Qu’est-ce qu’il y a encore ?

— J’ai apporté du vin et une bouteille pour l’apéro et j’ai tout laissé dans ma bagnole…

— Du vin ? Excellente initiative…

Servane prit les clefs de sa Mazda, écarta les rideaux pour inspecter la pénombre autour du chalet.

— Vous avez la trouille ? railla Vincent.

— Non, mais…

— Allez, donnez-moi ces clefs, j’y vais.

— Non, ça va, répondit-elle d’un air vexé. Je m’en charge.

— Comme vous voudrez ! Si vous n’êtes pas revenue dans une heure, je promets d’appeler la gendarmerie !

Piquée au vif, elle s’enfonça dans l’obscurité. Elle ouvrit la voiture, se pencha pour récupérer les bouteilles posées à même le plancher.

En pivotant, elle tomba nez à nez avec Mario.

Sous le coup de la frayeur, elle oublia de crier mais lâcha les bouteilles. Le Stregone avança une énorme main vers son visage et elle resta tétanisée. Il toucha son front, psalmodia quelques mots incompréhensibles. Servane réagit enfin, poussa violemment le géant avant de s’enfuir à toute vitesse vers la maison. Vincent la vit débouler dans le salon et eut à peine le temps de poser l’assiette qu’il tenait dans ses mains avant qu’elle ne se jette sur lui.