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— Il est là ! hurla-t-elle. Il est dehors !

Elle s’était agrippée à lui comme un naufragé à une bouée de sauvetage. Elle allait finir par déchirer sa chemise.

— Calmez-vous, Servane !

— Il m’a… Il a voulu me…

Vincent la repoussa doucement et sortit à son tour. Il s’avança jusqu’à la voiture, scruta les parages. Mais Mario avait disparu.

Il ramassa les deux bouteilles dans l’herbe qui, par chance, ne s’étaient pas brisées et fit un dernier tour d’horizon avant de revenir sur ses pas. Une fois à l’intérieur, il ferma le verrou, histoire de rassurer son invitée qui s’était réfugiée au bas de l’escalier, visiblement terrorisée.

Incroyable que ce type puisse lui filer une frousse pareille…

— Il est parti, il n’y a plus personne, dehors.

Il s’assit près d’elle, prit sa main dans la sienne. Glacée.

— Ça va aller ?

Elle dégagea doucement ses doigts, hocha la tête.

— Que s’est-il passé ? interrogea-t-il. Il vous a fait du mal ?

— J’ai pris les bouteilles dans la bagnole, il était juste derrière moi… J’ai cru que mon cœur allait lâcher ! Il a posé sa main sur mon front et il a dit… J’ai rien compris à ce qu’il a dit ! Je crois que c’était de l’italien ou peut-être du latin… Un truc bizarre… Vous pensez qu’il m’a jeté un sort ?

— Vous croyez à ces conneries ? s’étonna Vincent.

— J’en sais rien ! C’est un cinglé ! Qu’est-ce qu’il me voulait ?

— Je suis sûr qu’il est tombé raide dingue de vous… ! Allez, les bouteilles sont intactes ! C’est le plus important, non ?

Mais Servane avait réellement été choquée et rien ne semblait pouvoir la dérider.

— J’ai fermé la porte, précisa Vincent. Et je suis là, vous ne risquez rien…

— Tu parles ! Ce mec mesure au moins deux mètres !

Presque malgré lui, Lapaz fut froissé par cette remarque.

— N’exagérons rien ! Et puis… je suis costaud, moi aussi ! Non ?

Il se mit debout, gonfla le torse. Servane consentit à sourire.

— Venez, on va goûter cet apéro ! dit-il en lui tendant la main.

Ils s’installèrent sur le canapé après avoir poussé Galilée qui avait pris ses aises.

— C’est bizarre que le chien n’ait pas aboyé, fit-elle remarquer.

— C’est vrai, c’est curieux… Mais il n’aboie jamais quand on croise Mario. On dirait qu’il parvient à hypnotiser même les clébards !

— Vous dites ça pour me rassurer, c’est ça ?

— Oubliez-le maintenant…

Il déboucha la bouteille, remplit deux verres.

— Alors, ces terrains ? demanda Servane.

— Eh bien j’ai appris des choses très intéressantes, aujourd’hui, confia Vincent. Ces deux terrains appartiennent actuellement à la commune de Colmars… Elle les a acquis il y a un peu plus de quatre ans. Jusque-là, rien de bien passionnant. Mais quand j’ai su ça, je suis allé en mairie pour consulter le registre des délibérations. Et là, j’ai découvert qu’elle a racheté ces terrains à Portal…

— Portal ? C’est celui que vous avez cogné dans le bar, non ?

— Exactement ! C’est un employé territorial… Et le plus surprenant, c’est que la commune a payé ces deux terrains à prix d’or…

— Qu’en a-t-elle fait ?

— Absolument rien ! Je suis passé voir les deux parcelles, elles sont toujours à l’abandon… Elles ne sont pas constructibles et la mairie ne peut rien en faire alors qu’elle les a payées bien au-dessus de leur vraie valeur… Environ dix fois plus.

— Dix fois leur prix ? s’exclama Servane. Mais pourquoi ?

— C’est ça qu’il nous faut découvrir, brigadier !

— Arrêtez de m’appeler brigadier ! implora Servane en remplissant à nouveau les verres.

Vraiment délicieux, cet apéro à la framboise. Et elle avait besoin d’un remontant pour oublier ses émotions fortes. Elle se trouvait si ridicule d’avoir cédé ainsi à la frayeur…

— Il y a autre chose de bizarre dans cette histoire, continua Vincent. Portal n’est pas du coin, il n’est pas né dans la vallée… Il n’a aucune famille ici.

— Et après ?

— Comment a-t-il eu ces terrains ? Il n’a pas pu en hériter…

— Vous croyez qu’il s’agit d’une magouille entre Lavessières et Portal ?

— Peut-être. Mais Portal est un crétin fini… Gros bras et petit cerveau ! Il est incapable d’aligner deux mots… Cela dit, il ferait n’importe quoi pour les Lavessières.

— Ce que je ne m’explique pas, c’est le rapport de tout cela avec Pierre. S’il y en a un, toutefois…

— Vous oubliez que Pierre était conseiller municipal, rappela le guide. Il avait peut-être découvert le pot aux roses.

— Évidemment, ça expliquerait la dispute à la sortie du conseil municipal… Mais qui peut bien nous mettre sur la piste ? Qui vous a envoyé cette lettre ?

— J’en sais rien, mais c’est quelqu’un qui veut que la vérité éclate… Il ferait mieux de venir me parler… J’ai toujours détesté les jeux de piste !

— Ça viendra peut-être…

— Vous voulez encore un verre ?

— C’est pas très raisonnable !

— Ne soyez pas toujours raisonnable, Servane…

Il remplit les verres une troisième fois tandis qu’elle allumait une cigarette. Ils restèrent silencieux un moment, réfléchissant à ces nouveaux éléments qui les tenaient en haleine. Servane remarqua que Vincent avait l’air triste malgré ses efforts pour ne rien laisser paraître.

— Vous aviez des clients, aujourd’hui ?

— Non… Il n’y a pas beaucoup de monde, encore. Demain, je fais l’ascension du Cimet. J’ai sept inscrits… ça vous tente ?

— Je suis de service toute la semaine, dit-elle d’un air dépité. Ça va pas être possible… En revanche, je suis de repos lundi.

— Lundi prochain, je fais la boucle des lacs. Vous êtes la bienvenue !

— Génial !

— On passe à table ?

En se mettant debout, Servane vit le décor tanguer. Vraiment traître, cet apéro à la framboise ! Elle se posa sur une chaise, Vincent apporta l’entrée. Une fois de plus, il s’était surpassé. Ils continuèrent à discuter tout en vidant la bouteille de vin. Un excellent choix, ce bordeaux… Vincent en déboucha une autre, malgré les protestations de son invitée.

À la fin du repas, Servane était ivre. Pourtant, Vincent se fit un malin plaisir à lui servir un digestif maison.

— J’arriverai jamais à reprendre ma caisse dans cet état ! réalisa la jeune femme dans un éclat de rire.

Vincent ne l’avait jamais vue aussi euphorique. L’alcool lui réussissait plutôt bien.

— Il y a toujours la chambre du deuxième !

— Ouais ! De toute façon, j’aurais eu trop peur de repartir seule cette nuit… Avec ce malade qui rôde dans les parages… La prochaine fois que je viens chez vous, je prends mon flingue !

Vincent était installé à même le sol, sur le tapis ; bien éméché, lui aussi. Quant à Servane, elle s’était appropriée le divan, allongée sur le dos. Elle souriait béatement.

Vincent l’observait, tout en dégustant son digestif. Cette femme était un grand mystère pour lui. Ils étaient devenus si proches et pourtant, ils se vouvoyaient encore.

Ce soir, il la trouvait attirante. Pour la première fois, à vrai dire. Le genre de truc qui vous tombe dessus de façon abrupte.