Son pull noir, remonté jusqu’au nombril, laissait entrevoir sa peau blanche qui semblait si douce. L’alcool aidant, il avait envie qu’elle dorme dans la chambre du premier. Envie de la rejoindre sur le canapé.
Rien à faire, il ne pouvait s’en empêcher.
Même s’il avait passé la nuit d’avant dans les bras de Nadia… Justement, il avait besoin d’une autre pour oublier cette trahison.
Il posa son verre sur la table basse, s’assit près de Servane qui dérivait lentement sur une mer calme.
Il hésitait encore, par crainte de se voir opposer un refus. Les paroles échangées la veille lui revinrent à l’esprit. Je vous apprécie beaucoup mais c’est tout. Je n’ai aucune autre intention à votre égard.
Peut-être avait-elle menti ? Oui, elle avait menti. C’était évident ; son comportement des semaines passées était là pour le démontrer.
Il se servit un autre verre, histoire de se libérer des dernières entraves.
Une autre crainte le retenait, plus sûrement que la première : celle de briser cette amitié naissante.
Peur de blesser aussi.
D’un simple battement de cils, il chassa le visage de Myriam apparu de façon soudaine.
Mais le désir imposait sa loi et il posa une main sur sa cuisse, remontant lentement vers sa hanche. Il sentit qu’elle se contractait.
— Qu’est-ce que vous faites ? demanda-t-elle en se redressant.
Il se pencha vers elle, approcha son visage du sien.
— Arrêtez ! murmura-t-elle en essayant de reprendre ses esprits. Arrêtez, je vous dis !
Douche froide.
Comment une femme pouvait ne pas avoir envie de lui ? C’était inimaginable !
Servane finit de s’asseoir, baissa son pull d’un geste nerveux.
— Je vais y aller, dit-elle.
— Hors de question. Vous n’êtes pas en état de conduire…
Elle se leva, essaya de se raccrocher au dossier d’une chaise qui bascula. Vincent la rattrapa in extremis.
— Lâchez-moi !
Il l’aida à revenir sur le canapé mais n’insista pas davantage.
Humilié, le grand méchant séducteur !
Ils restèrent longtemps muets, chacun de leur côté. Aussi gênés l’un que l’autre.
— Excusez-moi, dit-il enfin. J’ai cru que…
— Vous vous êtes planté !
— Oui, c’est évident… Qu’est-ce qu’il y a qui ne va pas avec moi ?
— Rien… Il n’y a rien… C’est moi.
— Je ne suis pas votre genre, c’est ça ?
— Pas du tout, non !
Elle lui adressa un sourire triste, l’ambiance se dégela un peu. Elle était toujours sous l’emprise de l’alcool, ses paupières avaient du mal à tenir le choc. Elle était touchante.
— Et c’est quoi, votre genre ? questionna Vincent avec un petit rire. Les blonds à lunettes, style intello ? C’est ça ?
— Raté…
— Quoi alors ? Les mecs en uniforme ?
Elle leva les yeux au ciel. Mais il insistait, désireux de connaître la raison de ce refus. Tellement inhabituel pour lui.
— Alors, Servane ? Dites-moi… C’est quoi, votre genre ?
— Les grandes brunes…
Il resta médusé un instant avant d’éclater de rire. Servane se mordit la lèvre, coupable d’avoir livré son terrible secret, fixant Vincent d’un air désespéré.
Il se marrait toujours, galvanisé par l’alcool, et il se leva.
— Très drôle ! lança-t-il.
Il la regarda enfin, comprit qu’elle ne plaisantait pas. Elle avait l’air tellement désemparé qu’il cessa de rire et revint près d’elle.
— Ça vous choque ? murmura-t-elle.
— Non… Je… Je ne m’attendais pas à ça, c’est tout.
— Personne ne s’y attendait…
Il tourna la tête, comme si c’était lui qui avait honte. Parce que Servane avait honte, n’assumant visiblement pas sa différence. Vincent prit sa main dans la sienne, elle se pétrifia.
— C’est ça que votre père ne vous a jamais pardonné ?
Elle hocha simplement la tête.
— Alors, c’est un gros con, conclut-il.
Elle semblait étonnée de sa réaction. Elle pensait être violemment rejetée, comme cela lui arrivait trop souvent.
— Il ne faut pas qu’ils le sachent à la caserne ! Sinon, je suis foutue !
— Ne vous en faites pas, Servane. Je serai muet comme une tombe… Je crois en effet qu’ils ne sont pas prêts à accepter cela. Pas tous, en tout cas.
— Je pensais que vous aussi, vous n’étiez pas prêt, reconnut-elle.
— Pourquoi ? Parce que je suis un ermite qui vit au milieu de nulle part ?
— Non, parce que vous avez une vision des femmes particulièrement… machiste !
— C’est l’impression que je donne, sans doute… Mais ce n’est qu’une impression, je vous assure. J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour les femmes…
— De l’admiration ?
— Oui… Je les trouve souvent plus fortes que les hommes. Plus courageuses, si vous préférez.
À son tour de se confesser.
— Si on m’exilait dans un monde sans femmes, je crois que ce serait la pire des punitions…
— J’imagine ! s’esclaffa Servane. Une diète forcée, une terrible torture pour vous !
— Non, c’est pas ce que j’ai voulu dire… ! Un monde sans femmes, ce serait comme… un monde sans eau, sans chaleur, sans… lumière. Un monde où on aurait toujours soif, toujours froid et toujours peur.
— C’est vachement beau, ce que vous venez de dire…
— Je voudrais tomber amoureux, je voudrais tant revivre ça… Mais c’est plus fort que moi… Je n’y arrive plus. Je détruis tout, je n’y peux rien.
— Vous y arriverez, Vincent. J’en suis sûre.
— Non, c’est fini… Terminé.
Il porta la main à son cœur.
— C’est cassé !
— Vous avez peur, c’est tout.
— Peur ?
— Oui, peur… Mais les peurs, ça se contrôle, c’est vous-même qui me l’avez dit.
Il préféra ne pas répondre. Ne pas avouer.
— Vous m’en voulez ? s’inquiéta Servane.
— D’être…
Comment dit-on déjà ? Lesbienne, homosexuelle… ?
— De quoi pourrais-je bien vous en vouloir ? répondit-il finalement.
— On peut rester amis, alors ?
— Bien sûr ! D’autant qu’avec vous, je ne risque pas de tout gâcher !
Elle se laissa aller, posa sa tête beaucoup trop lourde contre les coussins du canapé.
— Vous avez une copine ?
— J’ai vécu deux ans avec une fille. Frédérique… Nous nous sommes séparées un peu avant que je rentre dans la gendarmerie… On n’arrêtait plus de s’engueuler et un jour elle a bouclé ses valises… Je n’ai rien fait pour la retenir d’ailleurs. Mais aujourd’hui, elle m’a téléphoné. Elle a laissé un message sur mon répondeur… Je ne sais pas si je dois la rappeler. J’avais fait une croix sur cette histoire… J’ai pas envie de souffrir à nouveau.
— Je comprends. Prenez le temps de réfléchir… La nuit porte conseil.
— J’arriverai jamais jusqu’au deuxième ! Putain, mais pourquoi j’ai bu autant ? Je suis dingue…
Elle riait à nouveau. Vincent la trouva sublime.
— Je vais vous aider !
Il la prit dans ses bras, la souleva sans difficulté. Puis il s’engagea dans les escaliers. Là, c’était plus dur. Ses jambes étant incertaines, son équilibre précaire, il trébucha à plusieurs reprises. Servane riait toujours comme une adolescente tandis qu’il peinait de plus en plus. Pourtant, ils arrivèrent à bon port et Vincent la déposa sur le lit avant de lui ôter ses chaussures.