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— Voilà, vous pouvez fermer les yeux, maintenant !

— Il faut me réveiller à 6 heures demain ! Sinon, je vais être en retard…

— Aucun problème.

Il s’éloigna à pas feutrés.

— Vincent ?… Vous promettez, hein ?

— Ne vous inquiétez pas… Même sous la torture, je ne dirai rien !

Il éteignit la lumière mais elle l’appela encore.

— Vincent ? Ça m’a fait du bien de parler avec vous… Vous êtes un mec bien.

Il sourit dans l’obscurité. De pauvre type, il s’élevait au grade de mec bien. Son ego apprécia.

— Bonne nuit, Servane.

Il redescendit au rez-de-chaussée. Un peu sonné. Par l’alcool, par les révélations. Il repensa à sa tentative d’approche et se mit à rire tout seul.

Aucune chance d’y arriver !

Il débarrassa la table et ouvrit la porte pour laisser sortir Galilée. Il resta un moment sur la terrasse, appuyé contre la balustrade, goûtant les senteurs nocturnes, vidant son esprit.

Sans deviner la silhouette qui veillait dans l’ombre.

15

Servane se leva de bonne heure et d’excellente humeur. Elle n’était pas de service aujourd’hui mais hors de question de traîner au lit : la boucle des lacs l’attendait.

Vincent l’attendait.

Elle attaqua par un petit déjeuner gargantuesque, de quoi tenir jusqu’à midi. Puis elle écouta les informations du matin d’une oreille distraite, tout en se préparant. Un vieux jean coupé aux genoux, un tee-shirt et sa nouvelle paire de chaussures de marche, choisie sur les conseils de Vincent. Bien en avance sur l’horaire, elle descendit les quatre étages en chantonnant. Sur le parking, elle aperçut un jeune homme, alla naturellement à sa rencontre.

— Je peux vous renseigner ? Vous cherchez quelqu’un ?

— Non, merci. J’habite ici… Je suis Nicolas Vertoli, le fils de l’adjudant…

— Enchantée de faire votre connaissance ! dit-elle en lui serrant la main. Moi c’est Servane Breitenbach. Je ne vous avais jamais vu avant…

— Je vis à Nice. Je suis étudiant là-bas… Je ne rentre pas tous les week-ends. Et vous ? Ça fait longtemps que vous êtes ici ?

— Je suis arrivée au début du mois de mai.

— Vous partez en randonnée ?

Elle hocha la tête.

— Seule ?

— Non ! Avec un guide…

— Lapaz ?

— Oui.

Elle observa le jeune homme qui venait d’allumer une cigarette. Entre vingt et vingt-cinq ans, il ne ressemblait guère à son père mais avait l’air aussi triste que sa mère. Peut-être avait-il hérité de son état dépressif ?

Il lui proposa une clope.

— Vous faites quoi, comme études ?

— Lettres modernes.

— Super… Vous vous destinez à quelle carrière ?

— Prof…

— Prof ? répéta Servane d’un ton admiratif. C’est génial !

— Bof…

— Comment ça, bof ?

— J’ai choisi les lettres parce que j’étais mauvais en maths mais c’est pas vraiment ma passion.

— Et c’est quoi, votre passion ?

— Je n’en ai aucune ! avoua-t-il avec un sourire désabusé.

Étrange, ce Nicolas. Visage d’adolescent, voix d’homme ; immenses yeux verts, cheveux clairs coupés très court.

Qui se confiait à une inconnue.

— Il faut que j’y aille, prétendit Servane en écrasant son mégot par terre.

— C’est quoi, le programme ?

— On a rendez-vous à Allos et ensuite, on fait la boucle des lacs.

— Vous verrez, c’est magnifique…

Elle lui tendit la main.

— À bientôt ! dit-elle avec un charmant sourire. Au fait, vous n’êtes pas en vacances ?

— Si… Je reste là jusqu’à la fin septembre.

— Alors nous nous reverrons… Bonne journée, Nicolas !

Elle grimpa dans sa voiture et s’éloigna sous le regard du jeune homme. Lundi 16 juillet, les touristes avaient investi la vallée depuis quelques jours. Mais à cette heure, la route était peu fréquentée et elle arriva rapidement à Allos. Il n’y avait encore personne au point de ralliement, alors elle décida de patienter devant un café. Elle choisit la terrasse déserte du bar le plus proche, commanda une noisette. Les commerçants s’activaient, les rideaux s’ouvraient les uns après les autres sur la grand-rue du village. À l’intérieur du bar, trois hommes dégustaient leur jus, appuyés au comptoir. Servane se mit à écouter leur conversation, plus par ennui que par intérêt. Ils parlaient du loup, encore accusé d’avoir massacré trois brebis dans une vallée voisine.

Y a qu’à les abattre, ces saloperies !

Ou les empoisonner !

Atterrant, songea la jeune femme. Heureusement que Vincent n’était pas là pour entendre ces conneries !

Justement, elle vit s’approcher Baptiste Estachi, dans sa tenue officielle de garde et se leva pour lui serrer la main.

— Vous êtes bien matinale !

— J’attends Vincent.

— Je peux m’installer à votre table ?

— Je vous en prie.

Il jeta un œil à l’intérieur.

— Ils parlent du loup, chuchota Servane.

— Faut bien qu’ils se trouvent un sujet de discussion ! rétorqua Baptiste avec mépris.

Le cafetier prit la commande du garde-moniteur sans même le regarder. Visiblement, Estachi était en terrain ennemi. Pourtant, cela ne semblait aucunement le déranger.

— Je me trompe ou le patron n’est pas un pote à vous ? fit Servane.

— On n’a guère d’amis quand on bosse pour le Parc !

— C’est pas trop stressant ?

— Toute manière, on s’habitue… Et puis je crois en ce que je fais et c’est ça le plus important… Alors ? Vous avez du nouveau pour les braconniers ?

— Non, avoua la jeune femme à voix basse. Il y a deux gars du groupement qui ont été chargés d’enquêter mais ils n’ont rien trouvé… Je crois malheureusement qu’il faudra attendre de les choper en flagrant délit.

— Ça m’étonnerait qu’ils reviennent de sitôt dans le coin si Pierre est mort à cause d’eux… Toute manière, on n’a pas de certitude.

— Vous pensez que Pierre est tombé tout seul, c’est ça ?

— Je n’en sais rien… Ça me paraît étrange qu’il ait chuté à cet endroit où il n’y a aucun danger…

— C’est également ce que dit Vincent.

— Toute manière, on ne saura jamais ce qui s’est passé…

— Je vous trouve bien défaitiste, Baptiste ! Je ne suis pas de votre avis.

— J’espère que vous avez raison mais vous apprendrez très vite qu’ici, les mystères trouvent rarement une explication.

— En parlant de mystère, vous connaissez ce vieux fou qui se balade partout dans la vallée ?

— Quel vieux fou ?…. Le seul vieux fou ici, c’est moi !

Elle pouffa de rire et Baptiste caressa sa moustache.

— Celui qui habite dans un hameau paumé dont j’ai oublié le nom et qui mesure environ deux mètres ! Il a une canne et un chapeau…

— Ah ! Le Stregone ?… Bien sûr, je le connais. Toute manière, tout le monde le connaît, ici… Pourquoi ?

— Que savez-vous sur lui ?

— C’est un interrogatoire ?

— Oui, c’en est un ! acquiesça-t-elle en souriant.