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— Écoute, Michèle, on doit bosser ensemble et franchement, j’aimerais que ça se passe un peu mieux entre nous…

— Entre nous, il y a le cadavre de Myriam !

Il ne se laissa pas déstabiliser par cette attaque prévisible. Assis sur une chaise, il l’observa tandis qu’elle s’acharnait sur la poussière imaginaire.

— Tu vas m’en vouloir à vie ?

— Oui.

— Ce n’est tout de même pas moi qui l’ai tuée ! Je ne voulais pas ça, je t’assure…

Elle posa son chiffon, le regarda enfin. Un regard si dur qu’il comprit qu’il venait encore d’échouer.

— Je ne pourrai jamais oublier ce que j’ai vu. Une fille de vingt ans morte sur son lit et vidée de son sang. Toi, tu ne l’as pas vue… Pour toi, c’est facile d’oublier, sans doute.

Il garda le silence, préférant la laisser déverser son venin.

— Et même si tu ne l’as pas voulu, c’est toi qui as provoqué ça ! C’est vrai que cette fille était fragile… Mais tu t’es bien amusé avec elle et c’est pour ça qu’elle est morte. Pour que tu puisses tirer ton coup !

Évidemment, vu sous cet angle, il devenait presque un criminel. Ce jugement sans appel le blessa.

— Alors je n’ai plus envie de discuter avec toi, conclut-elle. Et j’aimerais que tu comprennes que c’est définitif… Tu peux crever demain, ça me sera égal. C’est clair ?

— On ne peut plus clair… !

Elle constata qu’elle l’avait touché plein cœur et parut satisfaite du visage douloureux qu’il lui offrait. Elle se permit même de lui sourire. Un odieux sourire.

— Tu es en train de recommencer avec la petite gendarmette ? ajouta-t-elle.

— Mêle-toi de tes fesses ! rugit Vincent.

— T’as raison ! Ça ne me concerne plus ! De toute façon, tu n’existes plus pour moi… Tu n’es plus rien… D’ailleurs, le bureau est fermé et tu es prié de quitter les lieux sur-le-champ.

Il s’approcha soudain avec un air féroce qui la fit reculer.

— Qu’est-ce que tu veux encore ?

— Mon fric ! répondit-il.

Elle se dirigea vers le bureau du fond, en revint quelques secondes plus tard avec une enveloppe qu’elle jeta sur la banque.

— Liquide et chèques, tout y est, dit-elle. L’argent des dix derniers jours… Tu recomptes, tu signes le reçu et tu te casses !

— Pas de problème ! Ta compagnie ne risque pas de me manquer…

Il ne prit pas la peine de recompter avant de signer le reçu. Puis il claqua violemment la porte du bureau, grimpa dans son pick-up et s’engagea à une vitesse exagérée dans la grand-rue d’Allos. Après tout, Michèle n’avait jamais été une amie ; juste une relation de travail. Et elle pouvait bien penser ce qu’elle voulait.

D’accord, elle avait souffert en trouvant le cadavre de Myriam. D’accord, il y a des choses que l’on ne peut effacer.

Mais non, il n’était pas coupable.

Il bifurqua sur la route forestière en essayant d’écouter la radio. Il eut beau monter le son, seules les paroles de Michèle résonnaient dans sa tête.

Le visage de Myriam, lui non plus ne pouvait l’oublier. Il y pensait chaque jour, en rêvait chaque nuit.

Un cauchemar de plus.

Comme une vengeance involontaire, Myriam venait hanter son univers avec ses yeux d’enfant sage qui demandaient sans cesse pourquoi.

Pourquoi tu ne m’as pas aimée ?

Pourquoi tu m’as tuée ?

Un cauchemar de trop.

Venant grossir les rangs des cohortes de tourments qui faisaient de ses nuits autant de purgatoires.

Le jour, il apercevait, massées aux portes de son inconscient, ces légions informes obligées de battre en retraite.

La nuit, le combat sanglant reprenait, avec une violence inouïe ; guerre dont l’issue était toujours la même : ennemis trop nombreux, défaite assurée.

* * *

Vertoli semblait embarrassé par le gibier que lui ramenaient ses limiers.

Samedi soir, pas loin de minuit. Nuit idéale pour un contrôle routier alcool-vitesse-pétard. Et justement, Servane, Matthieu et Lebrun avaient fait une bonne prise : conducteur roulant à plus de 130 au volant de sa BMW et ayant refusé de s’arrêter. Malheureusement, ce chauffard n’était autre que Sébastien Lavessières, le fils unique du maire.

Franchement, Vertoli aurait préféré que ses troupes interpellent un estivant. Voire qu’ils rentrent bredouilles.

Il arpentait son bureau, dévisageant le prévenu avec colère.

— Faites-le souffler dans l’éthylomètre, dit-il.

Matthieu dégaina l’appareil et Sébastien accepta de se soumettre au test. Le résultat fut immédiat : record pulvérisé !

— C’est bon, vous allez pas me garder ici toute la nuit ! s’impatienta le jeune homme avec une étonnante désinvolture.

— Tais-toi ! aboya Lebrun.

— OK, j’ai un peu bu ! Mais on a fêté l’anniversaire d’un pote et…

— La ferme ! hurla Vertoli. Tu n’as pas un peu bu, tu es complètement bourré ! Et tu conduisais dans cet état ? Tu veux te tuer, ou quoi ?

— C’est bon, j’sais conduire… Pas la peine de flipper comme des malades !

Il tenta de se lever, manqua de tomber en avant. Lebrun le rattrapa in extremis et le remit sur sa chaise.

— On le place en cellule de dégrisement ? supposa Servane.

— Non… Vous le ramenez chez son père. Il reviendra chercher sa voiture demain, quand il aura dessaoulé.

Elle fixa son chef avec stupéfaction.

— Mais… Il est complètement ivre ! protestat-elle. Et il a refusé d’obtempérer ! Il a fallu qu’on le poursuive pendant des kilomètres !

— Vous le ramenez chez son père, un point c’est tout ! martela l’adjudant.

— C’est dégueulasse ! s’emporta la jeune femme.

Sébastien la nargua avec un sourire explicite qui décupla encore sa fureur.

— Faites ce qu’on vous dit, brigadier ! trancha l’adjudant. Matthieu, vous allez avec elle. Exécution !

— À vos ordres ! rétorqua Servane.

Un ton et un regard particulièrement insolents.

Toutes les lumières étaient éteintes ; visiblement, le couple Lavessières dormait à poings fermés. Seuls les chiens aboyaient furieusement depuis leur chenil.

— C’est bon, fit Sébastien. Laissez-moi là… J’connais le chemin !

— Hors de question ! répliqua Servane. On doit te remettre en main propre à tes parents… De toute façon, tu ne tiens plus debout !

— Putain ! Pas la peine de réveiller mes vieux ! Je suis majeur et vacciné, ma petite !

— Change de ton ! ordonna-t-elle en ouvrant la portière. Je ne suis pas ta petite, d’accord ?

Elle attrapa Sébastien par son blouson pour l’extirper de la voiture et il s’affala dans ses bras. Elle ne put le retenir et ils chutèrent tous les deux sur le gravier. Il était allongé sur elle et prenait un plaisir évident à rester dans cette position. Elle tenta de se dégager, en vain. Ce fut donc Matthieu qui le releva sans ménagement et le plaqua contre le véhicule. Servane put enfin se remettre debout et réajusta son uniforme.

— Désolé, ma petite ! s’esclaffa le jeune homme.

— Ta gueule ! rugit Servane. Ferme ta gueule !

Le sourire méprisant du jeune homme s’évapora pour laisser la place à la stupeur puis à la rage.

— Toi, tu me parles autrement ! menaça-t-il avec des gestes désynchronisés. Tu sais pas qui je suis ! Personne me parle comme ça ! Surtout pas une petite conne de gendarme !