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— Ça suffit ! intervint Matthieu. Servane, va sonner ! S’il te plaît…

Elle se dirigea vers le perron, laissa le doigt appuyé sur la sonnette jusqu’à ce que la lumière s’allume dans le couloir. Ce fut le maire qui ouvrit, vêtu d’un pyjama et d’un peignoir, les cheveux hirsutes et les yeux hagards.

— Bonsoir, monsieur ! Gendarmerie nationale…

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Nous vous ramenons votre fils, monsieur, continua Servane en tentant de se contrôler. Il a été interpellé en état d’ivresse au volant de sa voiture et a refusé de s’arrêter à notre injonction…

— Bordel de merde ! grommela Lavessières en toisant sa progéniture. Quand arrêteras-tu tes conneries ?

— C’est bon, lâche-moi un peu ! souffla Sébastien.

À cet instant, Suzanne apparut derrière son mari. En voyant les uniformes, elle poussa une sorte de cri.

— Il est arrivé quelque chose à mon fils ?

Dans l’obscurité, elle n’avait pas vu Sébastien.

— Mais non ! rétorqua son mari en levant les yeux au ciel. Tout va bien…

— Où est-il ? gémit-elle.

— Mais j’suis là, pauvre folle ! répondit Sébastien. T’es miro ou quoi ?!

Servane resta bouche bée ; quelques heures de garde à vue lui auraient décidément fait le plus grand bien.

— Allez, rentre ! enjoignit le père en le tirant à l’intérieur.

Suzanne tenta de prendre son fils dans ses bras, comme pour s’assurer qu’il était en un seul morceau, mais elle fut brutalement repoussée. André adressa un sourire gêné aux deux jeunes gendarmes.

— Je vous remercie…

— Il faudra qu’il passe chercher sa voiture à la caserne demain, ajouta Matthieu.

— Il viendra. Merci encore et bonne nuit.

— Bonne nuit, monsieur le maire, répondit le gendarme en saluant.

La porte se ferma et ils remontèrent à bord de la Clio.

— Je suis désolé, dit Matthieu. Tu aurais dû me laisser faire…

— Ça va ! répondit sèchement Servane. J’aurais pu m’en sortir toute seule…

— T’énerve pas !

— Ce qui m’énerve, c’est de voir que ce petit connard conduisait en état d’ivresse, qu’il a refusé de s’arrêter et qu’il repart sans même être resté en garde à vue ! Tout ça parce qu’il s’appelle Lavessières… Vertoli a prétendu un jour qu’il ne faisait aucune différence entre les gens de la vallée ! Tu parles…

— C’est le fils du maire ! On ne peut pas le laisser en cellule !

— Et pourquoi ? Hein ?

— C’est comme ça… Et c’est pas spécifique à Colmars… C’est partout pareil.

— Et si demain il tue quelqu’un sur la route ?

— Je sais, Servane. Mais son père va sans doute lui passer un savon…

— Un savon ? Mais je rêve ! Il méritait une suspension de permis et une putain d’amende ! Pas un savon ! Je suis sûre qu’il avait fumé, en plus ! Il puait le chichon à des kilomètres !

— Calme-toi, Servane, pria Matthieu en garant la voiture devant la gendarmerie.

À l’intérieur, ils trouvèrent Christian Lebrun et Vertoli en train de discuter.

— Alors ? demanda l’adjudant-chef. Tout s’est bien passé ?

— Ouais ! répondit Servane d’un ton excédé. On a ramené le fiston à son papa et il s’est même permis de m’insulter !

— Arrête…, conseilla Matthieu.

— Oh ! Mais c’est vrai ! reprit la jeune femme. J’oubliais que M. Lavessières a tous les droits ici !

— Ça suffit ! coupa Vertoli. Christian et Matthieu, vous retournez sur la route et vous y restez jusqu’à 2 heures. Quant à vous, Breitenbach, vous me suivez dans mon bureau !

— Mais…

— Arrêtez de discuter ! s’emporta l’adjudant. Dans mon bureau, tout de suite !

Ils s’affrontèrent du regard quelques secondes et elle se plia aux ordres. Vertoli ferma la porte puis se planta face à elle.

— Où vous croyez-vous ? s’écria-t-il.

— Dans une gendarmerie ! riposta-t-elle avec défiance. Là où on arrête les conducteurs ivres morts ! Même s’ils s’appellent Lavessières !

— Taisez-vous ! Vous pensez que ça m’amuse ? Vous pensez que je n’avais pas envie de boucler ce petit enfoiré ?

— Et pourquoi ne pas l’avoir fait ? Vous n’êtes pas aux ordres du maire, non ?

— Je sais ce que j’ai à faire ! Vous n’avez aucun conseil à me donner ! Si j’avais mis le fils Lavessières en cage, j’aurais déclenché un esclandre ! Et ça n’aurait pas changé grand-chose, à part m’attirer des ennuis !

— C’est pas croyable ! s’insurgea Servane.

— Écoutez-moi bien, Breitenbach : ici, c’est moi qui donne les ordres. Et vous, vous les exécutez sans discuter. Il faut que cela soit bien clair dans votre tête. Sinon, vous dégagez. Je ne peux plus tolérer que vous vous comportiez ainsi devant les hommes ! Opposez-vous encore à moi ouvertement et je vous fais muter sur-le-champ. Est-ce que c’est compris ?

Le visage de Servane se décomposa, elle resta muette.

— Est-ce que c’est compris ? répéta Vertoli en s’approchant encore.

— Oui…

— Pardon ?

— Oui, mon adjudant-chef.

— Ce n’est pas une gamine qui va mettre le bordel dans ma gendarmerie !

Servane sentit qu’elle n’allait pas tarder à craquer et voulut se sauver.

— J’ai pas fini ! hurla Vertoli. Vous restez ici tant que je ne vous dis pas de partir !

Elle revint sur ses pas, garda la tête baissée. Surtout, ne pas se laisser aller devant lui.

— À partir de demain, vous allez me remettre de l’ordre dans les archives !

— Les archives ? Mais…

— La ferme ! C’est pas le Club Med ici ! Vous serez de service de 8 heures à 13 heures et de 14 heures à 18 heures. Je veux que ce soit nickel ! Sinon, vous y passerez aussi vos nuits et vos jours de repos ! C’est clair ?

— Oui, mon adjudant-chef.

— Vous regagnez l’accueil, maintenant. Vous y resterez jusqu’au retour de Matthieu et de Christian. Exécution !

Elle s’éloigna bien vite et s’assit derrière la banque, tournant le dos au bureau de Vertoli. Elle ne put retenir quelques larmes après cette humiliation cuisante. Tout le monde ici allait savoir qu’elle avait été sanctionnée.

Mais pourquoi n’avait-elle pas obéi aux ordres sans discuter ? Pourquoi s’acharnait-elle ainsi à protester ?

Regarder, ça s’apprend. Comme marcher ou parler…

Et supporter l’injustice, ça s’apprend… ?

* * *

Servane termina son repas solitaire et consulta le réveil posé près de la petite télévision : il était 14 heures et elle devait reprendre son travail aux archives. Elle quitta à la va-vite son appartement et croisa trois collègues en train de discuter en bas de l’immeuble.

— Alors, Servane ? Pas trop dur, les archives ?

Elle s’arrêta net, tourna les talons.

— Qui me pose la question ? demanda-t-elle d’un air crâneur.

— C’est moi, m’dame ! avoua l’un d’eux en levant la main.

— Non, c’est même carrément un jeu d’enfant, rétorqua-t-elle avec un sourire forcé.

— Ah ! Tant mieux ! On s’inquiétait pour toi !

— Votre sollicitude me touche beaucoup ! Mais il n’y a vraiment pas de quoi…

— Breitenbach ?

Elle fit volte-face, se retrouva nez à nez avec Vertoli.

— Vous avez vu l’heure ? Vous êtes en retard.