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Elle obéit et lui transperça le cœur. Ses yeux, deux miroirs où se devinait l’ampleur de son désespoir.

— Je comprends, ajouta Vincent. Mais tu dois penser à tes gosses…

— Tu crois que je ne pense pas à eux ? s’indignat-elle. Mais je ne sais plus comment m’y prendre… Émeline ne veut plus me parler. Elle s’enferme dans sa chambre, refuse de me voir. Et je ne comprends même pas pourquoi…

— Elle souffre, tout simplement.

— Mais moi aussi, je souffre ! Merde !

— Je vais passer ce soir… Si tu es d’accord, je vais la prendre avec moi pour la nuit et je te la ramènerai demain matin.

— Tu veux l’éloigner de moi, c’est ça ? Tu penses que je ne suis pas capable de m’occuper de mes enfants ?

Sa voix était gorgée de colère, maintenant.

— Je n’ai jamais dit ça, corrigea calmement Vincent. Je veux juste lui parler… Tu as confiance en moi ?

Elle ne répondit pas, ce silence le blessa.

— T’as plus confiance en moi ?

— Et toi ? rétorqua-t-elle avec agressivité.

— Je te trouve formidable, Nadia. Mais si le courant ne passe plus entre toi et ta fille, ça te fera pas de mal de respirer un peu… Au moins le temps d’une soirée. Et puis loin de toi, Émeline me parlera peut-être plus facilement.

— Tu as sans doute raison… Elle a toujours aimé être avec toi ! Avant, elle aimait aussi être avec moi…

— Elle a mal et en veut à la terre entière… Tu n’es pas en cause.

Les premiers nuages se pelotonnaient au-dessus des sommets, annonçant une soirée orageuse. Un grand corbeau freux se posa sur une branche, attendant la fin du repas pour venir grappiller les restes. Bien plus malin que dans la fable.

— Tu ne manges pas ? s’inquiéta Vincent.

— Non, j’ai la gerbe !… Ça faisait longtemps que j’avais pas eu la gueule de bois ! Et il a fallu que les gardes passent justement ce soir-là… Ils ont dû me trouver tellement…

— Ils ont eu peur, expliqua Vincent pour la libérer de sa honte. Ils étaient inquiets pour toi mais ils ont parfaitement compris et ne te jugeront pas.

— Baptiste a été formidable ! ajouta-t-elle avec un sourire triste.

— Comme d’hab…

— Tu aurais vu la tête de Cédric ! raconta-t-elle avec un rire nerveux. Je crois qu’il était encore plus mal que moi !

— Ce petit gars est un gros sensible ! On en fera un vrai montagnard ! Plus j’apprends à le connaître, plus je l’apprécie…

— J’espère qu’ils reviendront me voir, s’angoissa Nadia. Après ce qui s’est passé…

— Te fais pas de bile pour ça.

— Tu leur as rien dit au moins ? Pour Pierre et cette salope de Ghislaine…

— Bien sûr que non ! Pour qui tu me prends ?

— Ça va, t’énerve pas…

Il fut bientôt l’heure de redescendre les clients et Vincent abandonna Nadia au milieu de ses abeilles.

Pendant le trajet du retour, il ne fut guère attentif à son groupe de randonneurs ; trop de choses en tête. Avec Nadia, ils n’avaient pas reparlé de cette fameuse nuit. Ils n’en reparleraient sans doute jamais.

Pourtant, ni l’un ni l’autre ne l’oublieraient.

* * *

Émeline n’avait pas décroché un mot depuis leur départ de Chaumie. Tandis que la voiture ingurgitait les kilomètres sur la grand-route du Verdon, la jeune fille gardait les yeux rivés sur le bas-côté. Le contact paraissait rompu. Même avec Vincent.

Autisme soudain qui avait quelque chose d’inquiétant.

Lapaz avait même dû se montrer autoritaire envers sa filleule. Il ne lui avait pas laissé le choix. Fais ton sac et suis-moi.

Maintenant, il se demandait comment la sortir de son mutisme.

— Tu veux qu’on dîne au restaurant, ce soir ? proposa-t-il.

— J’m’en fous…

— On va d’abord monter à l’Ancolie pour que je me change et que je prenne une douche. Ensuite on verra…

Émeline venait tout juste d’avoir treize ans et avait refusé de fêter cet événement. Mais Vincent lui avait tout de même acheté un cadeau qu’il projetait de lui remettre ce soir. Il tourna à droite en direction du lac et s’engagea peu après sur la piste de l’Herbe Blanche. Il était nerveux et sa conduite s’en ressentait. Secousses particulièrement violentes.

— Arrête-toi ! pria soudain Émeline.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Arrête, j’te dis !

Il freina et la jeune fille descendit précipitamment du pick-up. Il coupa le moteur et la suivit. Appuyée contre un arbre, elle essayait de vomir. Il s’approcha mais elle le repoussa violemment.

— Laisse-moi tranquille !

Une merveilleuse soirée s’annonçait… Vincent s’adossa au Toyota, attendant patiemment la fin de cette première crise. Émeline remonta peu après en voiture, livide. Et elle se mit à tousser. Véritable séisme intérieur.

— Tu es malade ? s’alarma Vincent.

— Mais non ! Lâche-moi…

— Ne me parle pas comme ça, prévint-il calmement.

Elle ne répondit plus et ils arrivèrent enfin à l’Ancolie.

— Tu peux boire quelque chose de frais, si tu veux, fit Vincent. Je fais un tour par la salle de bains, j’en ai pas pour longtemps…

— Où est Gali ? demanda soudain Émeline.

Merde… Comment lui annoncer la nouvelle ?

Il n’y avait pas trente-six façons.

— Il est mort, ma puce.

— Mort ? s’écria-t-elle.

— Oui… Hier soir.

— Putain, mais c’est pas vrai !… Qu’est-ce que tu lui as fait ? s’emporta-t-elle.

Il resta médusé une seconde. Il ne la reconnaissait plus.

— J’y suis pour rien ! Il est mort, c’est tout…

— C’est tout ? C’est tout l’effet que ça te fait ?

— Écoute, ma chérie, je…

Émeline tourna les talons et claqua violemment la porte derrière elle. Par la fenêtre, Vincent constata qu’elle s’était assise sur le perron. Il la laissa à sa détresse et monta au premier étage. Il prit une douche rapide, se rhabilla puis redescendit au rez-de-chaussée. La jeune fille n’était pas revenue, il sortit sur la terrasse.

— Émeline ?

Il fit le tour du chalet, la chercha dans le champ qui s’étendait derrière.

— Émeline ?

Son appel se perdit dans le néant, une vague d’appréhension monta doucement.

— Bon sang… Où elle est passée ?

Il retourna à l’intérieur et remarqua alors que le petit sac à dos de son invitée n’était plus là.

— Merde ! s’écria-t-il en attrapant les clefs du pick-up. C’est pas vrai !

Il grimpa au volant de sa voiture. Mais une fois sur la piste, il hésita : à droite, le chemin montait dans la forêt. À gauche, il descendait vers la route du lac. Il opta pour la gauche et le 4 x 4 arracha un épais nuage de poussière à la piste. Il fit près de deux kilomètres et s’arrêta : elle n’avait pas pu parcourir une telle distance. Il effectua donc un demi-tour et repartit en sens inverse. Arrêté à hauteur du chalet, il observa les environs : toujours aucune trace de la fugitive. L’angoisse était forte, à présent. Il continua donc en direction de la forêt, scrutant les alentours. Mais elle pouvait se cacher n’importe où dans cette végétation dense.

— Putain, Émeline ! Mais qu’est-ce qui te prend ?

Au bout d’une dizaine de minutes, il gara le 4 x 4 sur le bord de la piste et réfléchit un instant : elle n’avait pas eu le temps de monter aussi haut et avait dû emprunter un des sentiers qui s’enfonçaient dans les bois.

Ne pas céder à la panique, même s’il avait l’impression de chercher une aiguille dans une grange entière de foin. Il attrapa une lampe de poche dans la boîte à gants et abandonna sa voiture. Si seulement Galilée était là… Si seulement…