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— Je vais me changer, j’ai envie de me débarrasser de cet uniforme !

— Attends, laisse-moi t’aider…

Servane ferma les yeux sous la brûlure de ces mains expertes qui lui avaient tant manqué. Se laisser faire, redécouvrir le bonheur d’être deux. Redevenir un objet de désir, de plaisir.

Oublier le froid cinglant de la solitude charnelle, effacer les blessures anciennes, le goût amer des rancœurs. Corriger les fausses notes pour retrouver l’harmonie complice de leurs corps.

L’étreinte fiévreuse les emporta jusque sur le lit, puis par terre.

Servane parvint à attraper la télécommande et remonta le son de la télévision. Juste à temps.

* * *

— T’as aimé ? espéra Vincent.

— Ouais, sympa ! concéda Émeline.

Le pick-up roulait vers Chaumie en cette fin d’après-midi pluvieuse. Mais le soleil les avait accompagnés pendant toute la randonnée à laquelle le guide avait convié sa filleule. Après la soirée si difficile de la veille, il avait finalement décidé de la garder auprès de lui encore un peu. Par chance, il y avait d’autres adolescents dans le groupe et elle avait apprécié la balade.

— Tu diras rien à maman pour hier soir, hein ?

— Non, je ne lui dirai rien, assura Vincent. Mais j’espère que tu ne recommenceras pas ce genre de connerie…

Elle ne lui accorda aucune promesse, il se garda d’insister. Ils arrivèrent peu après à destination, accueillis par Adrien qui les guettait sur le pas de la porte.

— Vous êtes allés à la montagne ?

— Oui, bonhomme ! répondit Vincent. Aux cabanes des Juges.

— Pourquoi tu m’emmènes pas, moi ?

— Bientôt, c’est promis !

Nadia apparut à son tour, visiblement plus détendue que la veille. Elle embrassa sa fille, caressa son visage. Et, tandis que les enfants rentraient à l’intérieur en se chamaillant, les adultes restèrent un moment assis à l’abri de la tonnelle.

— Ça s’est bien passé ? s’inquiéta Nadia. Elle n’a pas été odieuse, au moins ?

— Non, ça va… Mais hier soir, c’était dur. Elle va mal, tu sais… Très mal. Elle est persuadée que tu la délaisses, que tu ne l’aimes plus !

— Elle te l’a dit ?

— Oui. Et aussi… qu’elle avait envie de mourir…

La jeune femme ferma les yeux, Vincent prit sa main dans la sienne.

— Elle a subi un énorme choc. Tu n’es pas en cause mais vous devriez prendre le temps de parler toutes les deux.

— J’arrive pas à croire qu’elle t’ait dit ça, murmura Nadia avec des sanglots dans la voix.

— Nous avons longuement discuté et je crois qu’elle a compris beaucoup de choses… Ça ira peut-être mieux maintenant.

— Je sais pas mais… Merci, Vincent.

Rassuré d’avoir accompli sa mission, il allait s’accorder une soirée de détente bien méritée, après deux nuits particulièrement éprouvantes.

Il songea à appeler une femme qui lui avait laissé son numéro de téléphone quelques jours auparavant. Une cliente en vacances dans la vallée avec des amis. Une fille un peu délurée avec qui il ne risquait pas de s’ennuyer.

Mais finalement, il décida plutôt de se reposer. Seul.

Le spectre de Myriam le harcelait encore. Il avait peur. De blesser une autre, grièvement voire mortellement.

Il peinait à se reconnaître lui-même. Ça s’arrangerait peut-être avec le temps.

Il se leva et embrassa Nadia sur le front ; même si ses lèvres l’attiraient irrésistiblement.

— N’hésite pas à m’appeler…

— Attends ! Ne pars pas…

Au ton de sa voix, il devina que la soirée ne serait pas aussi calme qu’il l’avait imaginée.

— Quoi ?

— Viens, ajouta-t-elle en se levant à son tour.

Elle l’invita à la suivre jusqu’au garage, ancienne grange située au bout de la ferme.

— J’ai profité de l’absence d’Émeline pour ranger un peu sa chambre. Je voulais installer des étagères et je suis venue ici récupérer quelques outils. Avant la mort de Pierre, j’y venais quasiment pas…

— Qu’est-ce qu’il y a, Nadia ? coupa Vincent qui n’appréciait guère ce suspense.

— Je suis tombée sur ça, expliqua-t-elle en lui tendant une vieille boîte métallique.

Une simple boîte à biscuits en fer-blanc. À l’intérieur, Vincent découvrit un sachet en plastique contenant une importante somme d’argent.

— Y a combien ? demanda-t-il avec appréhension.

— Huit mille euros. Je ne comprends pas d’où vient ce fric…

Vincent non plus, ne comprenait pas. Il rendit les billets à Nadia.

— J’en veux pas ! dit-elle en reculant d’un pas. Je ne sais pas ce que Pierre a fait pour obtenir ce pognon… Alors je refuse de le garder ! Je vais peut-être le donner.

— Le donner ? Mais tu risques d’en avoir besoin ! C’est idiot…

— Hors de question que je me serve de ce fric ! rétorqua-t-elle avec rage.

Elle se laissa tomber sur une vieille caisse en bois.

— Mais qu’est-ce qui se passe, Vincent ? gémit-elle. Je croyais qu’on se disait tout, Pierre et moi ! Et depuis qu’il est mort, je ne le reconnais plus…

Le guide s’accroupit en face d’elle, effleura sa joue.

— Je sais ce que tu ressens, murmura-t-il. Pour moi, c’est pareil… Je vais découvrir d’où vient cet argent, je te le jure. Fais-moi confiance.

— Tu sais des choses que j’ignore, n’est-ce pas ?

Vincent hésita un instant ; envie de tout lui raconter. Mais il pensa soudain à son chalet en feu et imagina la ferme en proie aux flammes. Alors, il se résigna à lui mentir. La protéger, elle et ses enfants. Si Nadia partageait ses doutes sur Lavessières et Julien Mansoni, elle était capable de tout, même du pire.

— Écoute, Nadia, je te promets que je vais trouver la provenance de ce fric… Mais pour le moment, je n’en ai pas la moindre idée… Tu dois me croire.

— D’accord… Si tu trouves quelque chose, tu me diras, hein ?

— Bien sûr…

Elle avait les larmes aux yeux et posa son front contre le sien. Il la prit dans ses bras, la serrant aussi fort qu’il pouvait. Elle se dégagea de son emprise, apparemment aussi troublée que lui. Puis elle récupéra l’argent.

— Prends-le, dit-elle. Ce matin, quand Émeline m’a appelée, elle m’a dit que ta remise avait brûlé et que tu avais perdu tout ton matériel… Alors garde-le. De toute façon, il n’est pas à moi.

— Il n’est pas à moi non plus, souligna le guide. Avec les enfants, tu en auras plus besoin que moi.

— Dans ce cas, je vais le filer au curé…

— Au curé ? répéta Vincent avec une sorte de répulsion.

— Oui, il en fera don à une association caritative…

— Je respecte ton choix, Nadia. Mais réfléchis bien avant de te séparer de cet argent.

— De toute façon, il n’est pas là en ce moment.

— Qui ?

— Le curé ! Il est en pèlerinage pendant quelques jours… Il fait Saint-Jacques-de-Compostelle.

— Comment tu sais ça ? ricana Vincent. Ne me dis pas que tu vas à la messe quand même !

Elle haussa les épaules.

— J’ai rencontré la vieille Lucie, sa bonne… Où je vais planquer ces billets ?

— Remets-les où ils étaient, suggéra simplement le guide. Et encore une fois, réfléchis bien…

Non, décidément, la soirée ne serait ni calme ni détendue. Vincent avait maintenant de nouveaux doutes, pires encore que les précédents. Cette histoire ressemblait à une spirale infernale. Il songea alors qu’il aurait bien aimé croire en Dieu, lui aussi. Trouver un réconfort, un secours.