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Encore et toujours apprendre.

Elle descendit dans la cour où un groupe de gendarmes discutaient et riaient bruyamment. Mais lorsque Servane s’approcha, ils se turent brusquement. Elle fit mine de ne rien remarquer, les salua et se rendit directement à l’accueil. Vertoli sortit alors de son antre, la toisant d’un air étrange.

Comme s’il la voyait pour la première fois.

— Bonjour, Servane. J’aimerais vous parler.

Elle le suivit jusqu’à son bureau où il lui proposa de s’asseoir ; il semblait terriblement embarrassé.

— Ce que j’ai à vous dire est plutôt délicat, commença-t-il. Servane, vous devriez faire attention à ne pas trop étaler votre vie privée…

La jeune femme le dévisagea avec incompréhension.

— Ma vie privée ? Mais de quoi parlez-vous, mon adjudant-chef ?

— De la bruyante dispute que vous avez eue avant-hier au soir avec… votre amie.

Servane manqua de tomber de sa chaise.

— Vous savez, continua le chef, on entend tout dans ces appartements ! L’isolation phonique est un désastre !… Et je dois vous dire que les hommes ne parlent plus que de ça… Ils racontent à qui veut l’entendre que vous êtes… homosexuelle.

La jeune femme était d’une pâleur et d’une raideur effrayantes.

— Mais c’est n’importe quoi ! s’écria-t-elle en se levant. C’était juste une vieille copine et… Et nous nous sommes engueulées parce que… parce qu’elle m’a demandé de l’argent et…

— Personnellement, je n’ai pas entendu cette fameuse dispute. Mais les gars rapportent qu’il s’agissait d’une véritable scène de ménage !

— Non, mon adjudant-chef ! C’est faux !

— À l’avenir, tâchez de rester plus discrète, conseilla Vertoli. Et puis vos mœurs ne me regardent pas tant qu’elles restent privées… Cependant, je dois vous avouer qu’ici, il y a des différences qui sont assez mal acceptées… Ici comme ailleurs, sans doute.

Il ne la croyait pas. C’était une catastrophe. Elle retomba sur sa chaise.

— Je me suis emportée mais ce n’était pas une scène de ménage, je vous assure…

— Quoi qu’il en soit, si les hommes vous tiennent des propos désobligeants, n’hésitez pas à venir m’en parler. D’accord ?

— Oui, mon adjudant-chef, murmura Servane.

— Allez ! Ne faites pas cette tête, ça va s’arranger ! prétendit-il.

Elle quitta la pièce d’un pas mal assuré, pour rejoindre l’accueil. Là, elle remarqua une enveloppe sur son bureau, avec son prénom. À l’intérieur, un petit carton où était marquée une seule phrase.

Assassine.

Les gouines n’ont rien à faire ici.

* * *

Vincent était fatigué. Il remontait la piste en direction de l’Ancolie, après une randonnée facile mais qui l’avait pourtant épuisé. Peut-être parce qu’il dormait mal, en ce moment. Parce que ses cauchemars étaient de plus en plus féroces. Voraces.

Parce que son esprit ressemblait à un océan en furie. Qu’il buvait la tasse à longueur de temps.

La voiture de Servane était stationnée devant chez lui, mais la jeune femme n’était pas sur la terrasse. Il passa derrière la maison, distingua sa silhouette sur le bord de la restanque, tout au bout du champ où l’herbe haute jaunissait sous les morsures du soleil. Il s’approcha, posa sa main sur son épaule. Elle sursauta, lui offrant un visage mortifié en guise de bonsoir.

— Qu’est-ce qu’il y a, Servane ?

Elle se mit à sangloter de plus belle et Vincent soupira. Encore une dose de chagrin à ingurgiter. De quoi lui bouffer le peu d’énergie qui lui restait.

— Ils… Ils savent ! fit la jeune femme d’une voix brisée.

— Quoi ? Qui sait quoi ?

— À la caserne, ils savent… Ils savent…

Elle fouilla dans sa poche, lui tendit le petit carton. Mieux que n’importe quel discours.

— Les gouines n’ont rien à faire ici, lut le guide. Merde… Quels salauds !

— Qu’est-ce que je vais devenir ? gémit-elle.

— Calme-toi… Tu as essayé de nier ?

— Vertoli m’a convoquée dans le bureau parce que… parce que mes collègues ne parlent plus que de ça… J’ai menti, je lui ai dit qu’il s’agissait d’une dispute entre deux copines mais… mais je suis sûre qu’il ne m’a pas crue !

Elle se remit à pleurer, Vincent tenta de la réconforter.

— On va arranger ça, murmura-t-il.

— Mais comment ? C’est fini !

— Ne dis pas ça… Si tu ne veux pas qu’ils sachent la vérité, il va falloir mentir, Servane. Je me charge de les convaincre si tu veux.

— Toi ? Mais…

— Laisse-moi faire, dit-il d’une voix rassurante. Et maintenant, arrête de pleurer…

Elle essuya ses larmes du revers de sa manche, chercha son paquet de cigarettes dans la poche de son pantalon. Elle en alluma une et Vincent constata que ses mains tremblaient. Elle avait peur. C’était injuste. Révoltant, même.

— Il faudra que tu m’aides un peu, ajouta-t-il.

— Qu’est-ce que tu vas faire ?

— On verra ça plus tard.

Il se leva, lui tendit une main secourable qu’elle empoigna avec force. Ils se dirigèrent d’un pas lent vers le chalet, suivant les rayons déclinants du soleil.

* * *

En ce 15 août, la caserne n’était pas très animée. Servane inspira profondément avant de quitter son appartement, étriquée dans son uniforme, coincée dans son angoisse. Elle craignait de croiser ses collègues, de subir leurs sarcasmes, leurs mauvaises plaisanteries. Certes, certains n’avaient pas changé d’attitude envers elle, mais d’autres ne se privaient pas de lui faire sentir leur aversion.

En traversant la cour, elle tomba sur le couple Vertoli qui partait en week-end. Elle leur serra la main, les aida à mettre les bagages dans le coffre de la voiture.

— Tout va bien, Breitenbach ? s’enquit Vertoli.

— Oui, mon adjudant-chef.

Il remarqua son air triste mais n’en demanda pas davantage. Il n’avait pas envie de revenir sur la discussion de la veille ; un sujet qui le mettait mal à l’aise.

— Christian Lebrun me remplace pour ces trois jours, dit-il. En cas de problème, adressez-vous à lui.

— Bien, mon adjudant-chef… Passez un bon week-end.

— Merci, Servane.

La jeune femme aperçut Nicolas à la fenêtre de l’appartement. Il regardait partir ses parents et lui adressa un signe avant de disparaître. Ce petit geste, presque insignifiant, la rasséréna. Au moins quelqu’un ici qui ne la rejetait pas ! Mais peut-être n’était-il pas encore au courant… ? Difficile à croire !

À l’accueil de la gendarmerie, elle trouva Lebrun et Matthieu en pleine discussion. Ils cessèrent de parler, la dévisagèrent de façon saugrenue. Alors, elle se rappela les conseils de Vincent et garda la tête haute.

— Bonjour ! lança-t-elle.

— Salut !

Sur son bureau, une nouvelle enveloppe l’attendait. Elle serra les mâchoires et releva les yeux vers ses collègues.

— Ça vous amuse, ces petits jeux à la con ?

— De quoi vous parlez ? s’étonna Christian.

— De ça ! dit-elle en brandissant l’enveloppe.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Matthieu d’un ton candide.

— Tu le sais très bien !

— Non, je t’assure…