— Barre-toi ! ordonna Sébastien. Tu vois bien qu’on est en train de discuter !
Elle le considéra avec colère avant de claquer la porte.
— Tu ne devrais pas parler à ta mère sur ce ton, désapprouva Hervé.
— Elle est chiante ! Toujours à nous espionner !… Alors, qu’est-ce qu’il voulait, Lapaz ?
— Il a découvert quelques trucs, révéla son père. Il a commencé à fouiner là où Pierre Cristiani avait fourré son nez… Apparemment, il sait pour les deux terrains et les études géologiques…
Sébastien devint livide.
— Merde ! Qu’est-ce qu’on va faire ?
— J’ai chargé Portal de le surveiller et…
— Portal ? Il est tellement con qu’il n’arriverait même pas à surveiller ses pieds !
— Détrompe-toi, mon fils… Ce n’est pas une lumière, mais il est maniable et parfait pour ce genre de boulot.
— On pourrait peut-être essayer de lui refiler du pognon, suggéra Sébastien.
— Du pognon ? Tu es fou, ma parole ! Ce mec n’acceptera jamais un centime !
— On disait la même chose de Cristiani, rappela Hervé. Pourtant, le fric, il l’a pris…
— Ouais, mais il a pas eu le choix… Et puis ça l’a pas empêché de vouloir parler !
— Maintenant, y a plus de problème : il cause aux asticots ! ricana Hervé. Lui qui aimait tant les bestioles, il est servi !
Sébastien esquissa une mimique de dégoût.
Ils terminèrent leur partie mais le jeune Lavessières, visiblement inquiet, n’avait plus la tête à jouer.
— Et s’il va plus loin, qu’est-ce qu’on va faire ? demanda-t-il.
— On lui a fait peur, relata son père. À mon avis, ça l’a calmé.
— Ouais, il a eu chaud aux fesses ! ajouta Hervé en riant. Et Portal a transformé son sale clébard en descente de lit ! Je pense qu’il va se tenir tranquille, maintenant. Mais si ce n’est pas le cas, nous aviserons.
— Portal le surveille toujours, enchaîna le maire. La journée, il balade ses clients. Et le soir, Portal se poste au-dessus de chez lui pour vérifier qu’il reste sagement à la maison…
— Des fois, c’est moi qui m’en charge, reprit son frère. Mais c’est vrai qu’il bouge plus un orteil ! Sage comme une image.
— Et Julien Mansoni ? demanda Sébastien qui avait toujours autant de mal à prononcer ce nom. Il est au courant que Lapaz…
— Il a des doutes… Il est venu me voir pour me dire que le guide l’avait questionné sur les études et je lui ai dit que je m’en chargeais. Il n’a pas à en savoir plus, ce connard ! Il prend son fric et il ferme sa gueule.
— Toutes les nuits, je rêve de le voir crever, révéla froidement Sébastien.
— Arrête ! ordonna son père. S’il meurt, on est dans la merde et tu le sais très bien !
Ils se dirigèrent enfin vers la salle à manger et s’installèrent autour de la grande table.
— Suzie ? hurla le maire. On a faim !
Dans la pièce d’à côté, Suzanne ferma les yeux. Elle avait un couteau à pain dans les mains et rêva une fois de plus de l’enfoncer dans le ventre de son mari. Ce gros bide flasque et répugnant. Elle le haïssait chaque jour un peu plus mais n’avait pas le courage nécessaire pour le quitter. D’ailleurs, elle ne l’envisageait même pas. Sa place était ici, chemin de croix tracé depuis fort longtemps. Et puis il y avait son fils. Il l’aimait, elle ne pouvait en douter. Seulement, il ne le montrait pas. Cet enfant autrefois si charmant et que son mari avait transformé en une sorte de bête fauve. À force de le traiter de gonzesse et de lui mettre des armes entre les mains…
Mais elle se persuadait qu’il restait au fond de ce tyran un peu du petit garçon souriant et délicat qu’elle avait aidé à grandir et se raccrochait à cette idée pour supporter les humiliations quotidiennes.
Elle essuya ses larmes et prit le plat brûlant dans le four avant de rejoindre les hommes dans la salle à manger.
Servane referma son livre, un des seuls Sherlock Holmes qu’elle n’avait pas encore lu. Le pick-up venait de se garer devant le chalet alors que déjà, le crépuscule chassait le soleil derrière les sommets.
— T’en as mis un temps ! lança-t-elle.
— J’ai crevé ! Un énorme clou sur la route… Ça m’a fait perdre une bonne demi-heure !
— T’as plus d’une demi-heure de retard, souligna-t-elle avec agacement.
— Eh ! Tu vas me faire une scène ou quoi ? J’avais complètement oublié que je devais passer voir Baptiste… Tu vas pas m’engueuler, tout de même !
— Non, c’est pas ça, s’excusat-elle. C’est que j’étais pas très rassurée… J’ai entendu des bruits dans les fourrés en face.
— Un renard ou une fouine !
— Pas du tout ! Je me suis approchée et j’ai vu quelqu’un s’enfuir…
— T’as vu qui c’était ? demanda le guide avec inquiétude.
— Un type, plutôt grand… Je suis sûre que c’était encore ce vieux barjo !
— Le Stregone ? Impossible ! En ce moment, il garde ses moutons au Vallonet…
— Il a pu les laisser seuls, ses chers moutons ! Je suis sûre que c’était lui.
— Hum… Je ne crois pas… Et qu’est-ce que tu as fait, ensuite ?
— Je suis restée là et j’ai gardé mon flingue à côté de moi…
— Tu as ton arme ? s’étonna-t-il.
Il avait du mal à imaginer Servane en train de braquer son calibre 45 sur quelqu’un. Mais si ça pouvait la rassurer…
— Tu ne veux pas voir ta surprise ? demanda-t-elle.
— Si ! C’est quoi ?
Elle lui ramena un gros panier en osier.
— C’est pour te remercier…
— De quoi ?
— Ouvre !
Il poussa le couvercle et découvrit une petite boule de poils qui le fixait avec deux grands yeux aussi noirs que désarmants.
— Il te plaît ? s’impatienta Servane. C’est un berger des Pyrénées, il a trois mois et c’est un mâle !
Vincent attrapa délicatement le chiot dans ses mains.
— Ça me fait très plaisir, répondit-il avec émotion. Il est mignon ! Mais tu as dû te ruiner !
— Ne t’inquiète pas pour ça.
— Et tu l’as laissé là-dedans pendant tout ce temps ?
— Bien sûr que non ! Il a gambadé autour du chalet et quand j’ai entendu ta voiture arriver, je l’ai remis dans son panier ! Comment tu vas le baptiser ?
— Je sais pas… Si tu choisissais toi-même le nom ? proposa-t-il.
Difficile de faire mieux que Galilée. Aussi original, en tout cas.
Ils entrèrent dans le chalet et Vincent déposa le berger par terre.
— Alors ? Tu lui as trouvé un nom ?
— Laisse-moi un peu de temps quand même !
— Je te laisse jusqu’à la fin du dîner !
Elle riait, semblait aller mieux.
— Bon, ajouta-t-elle, je me charge de préparer le repas…
— En quel honneur ?
— Eh bien, comme c’est tout le temps toi qui m’invites, et que je sais que tu n’as pas envie de venir t’enfermer dans mon studio merdique, j’ai pensé t’inviter… chez toi !
— C’est original comme concept !
— Donc, je m’occupe de tout et comme ça, tu peux tranquillement prendre un bain et te relaxer…
— Je prends jamais de bain, c’est un truc de gonzesse !
Elle leva les yeux au ciel.
— Eh bien, prends une douche, dans ce cas !
— Génial ! répondit le guide. Tu devrais m’inviter chez moi plus souvent ! Et on mange quoi ?
— Une spécialité de mon pays…
— Une choucroute ? En cette saison ?