— Mais non ! Allez, laisse-moi faire !
Il joua un moment avec le chien puis monta au premier.
— Prends ton temps ! cria Servane. C’est un peu long à cuire !
— OK !
Du coup, il se fit couler un bain. Cela ne lui arrivait jamais, mais ce soir, Servane lui en avait donné l’envie. Il mit une bonne dose de gel douche dans la baignoire, fit mousser au maximum. Puis se plongea dans l’eau un peu trop chaude et ferma les yeux. Il n’allait peut-être pas tarder à s’endormir.
Mais Servane frappa à la porte.
— Comment il marche, ton four ? cria-t-elle depuis le couloir.
— Il faut mettre sur la position 1 et choisir le thermostat ! C’est la manette de gauche…
— D’accord… Tu prends un bain ?
— Ben oui, finalement…
— T’as raison ! Tu as envie que je t’apporte un verre ?
— Qu’est-ce qui se passe ? Tu as un service à me demander, ou quoi ?
— Pas du tout ! s’offusqua-t-elle. Je te proposais ça comme ça… Mais si tu n’en veux pas, c’est pas grave…
— À la réflexion, j’en veux bien un… Un scotch avec de la glace, s’il te plaît !
Il referma les yeux et sourit. Dommage qu’elle n’aime pas les hommes. Il s’en voulait un peu de penser cela ; il se trouvait égoïste mais ne pouvait s’en empêcher. Il était si bien, avec elle. Pour la première fois depuis longtemps, il aurait aimé qu’une femme partageât sa vie. Et il se demanda si elle avait deviné les sentiments qu’il éprouvait. Ceux-là même qu’il était incapable d’analyser clairement. Elle frappa à nouveau à la porte, Vincent rouvrit les paupières.
— Je peux entrer ?
— Ça dépend… Si t’as pas peur de t’évanouir en voyant l’homme parfait, tu peux entrer !
— Que t’es con ! dit-elle en riant.
Elle s’aventura dans la pièce, finalement un peu gênée. Vincent aussi, d’ailleurs. Mais la mousse sauvait son intimité alors Servane fut rassurée. Elle posa le verre sur le bord de la baignoire et alluma une cigarette avant de la lui donner.
— Merci, dit Vincent. C’est vachement sympa ! Je vais y prendre goût, fais gaffe…
Elle s’assit sur un tabouret, non loin de la baignoire, et le considéra avec une drôle d’expression. Comme si elle admirait une œuvre d’art. La sculpture d’un grand maître de la Renaissance.
— Qu’est-ce que tu regardes ? demanda-t-il.
— Toi… C’est vrai que tu es parfait !
Il fut agréablement déstabilisé, retomba toutefois très vite sur ses pieds.
— Et encore, t’as pas vu l’essentiel ! rigola-t-il.
Il crut la voir rougir un instant mais elle ne se laissa pas clouer le bec.
— Les mecs sont vraiment tous les mêmes ! soupira-t‐elle. Tous amoureux fous de leur pénis !
Vincent avala la fumée de travers et fut pris d’une quinte de toux.
— Je parlais pas forcément de ça ! se défendit-il.
— Ah oui ? Et qu’est-ce qu’il y a d’autre que je ne vois pas ?
— Eh bien…
— Alors ? s’impatienta Servane.
— Le repas est prêt ?
Elle pouffa de rire et se leva.
— Monsieur Lapaz a perdu son sens de la répartie ?
— Si tu continues, je me lève et je te fous dans la baignoire !
— Vas-y, essaye ! Comme ça je verrai l’essentiel ! rétorqua-t-elle en le narguant.
Elle quitta la pièce et il entendit encore son rire cristallin. C’était la première fois qu’ils étaient si proches. Alors, il se mit à espérer. Des espoirs un peu fous.
Elle allait changer, juste pour lui.
Il l’entendait mettre la table en chantant, maintenant. Une voix mélodieuse, un ton juste et un peu grave. Il ferma à nouveau les yeux, se laissa bercer un moment.
— C’est prêt, monsieur Lapaz !
Vincent rouvrit les yeux, surpris de trouver Servane à côté de la baignoire.
— Je me suis endormi ?
— On dirait bien… Je t’attends en bas, ajouta-t-elle en quittant la salle de bains.
Il s’enroula dans une serviette et passa dans la chambre pour prendre des vêtements propres. C’est alors qu’il entendit un bruit de moteur à l’extérieur. Il se précipita à la fenêtre, juste à temps pour apercevoir une voiture qui descendait la piste. Par chance, il avait oublié d’éteindre la lumière de la terrasse et reconnut le Range Rover kaki qui passait en trombe devant le chalet.
— Putain ! murmura-t-il. Portal !
Il finit de s’habiller et rejoignit Servane. Une odeur alléchante avait envahi le rez-de-chaussée et la jeune femme n’avait pas ménagé ses efforts pour dresser une table magnifique.
— Ça ne te plaît pas ? s’étonna-t-elle face à son air contrarié.
— Non… Enfin, oui ! C’est pas ça… Je crois que je sais qui tu as vu dans les fourrés, tout à l’heure…
— Ah oui ? C’est la voiture qui vient de passer ?
— C’était Portal.
— Portal ? Qu’est-ce qu’il fout là ?
— Soit il braconne, soit il nous surveille… Et je penche plutôt pour la deuxième hypothèse… Je te raccompagnerai quand tu partiras.
— Mais non, j’ai mon flingue !
— Peu importe…
— Bon, tu as faim ?
Il regarda enfin la table joliment décorée et sourit.
— C’est super ! J’ai une faim de loup… D’ailleurs, je vais bouffer le clébard ! dit-il en attrapant le chiot dans ses mains.
— Arrête, tu lui fais peur !
— Mais non ! Un berger n’a jamais peur de rien ! Pas vrai le chien ?
— Au fait, j’ai pensé à un nom pour lui… Ça a du flair, ces machins-là ?
— Et comment !
— Alors on peut l’appeler Sherlock !
— Sherlock ? répéta Vincent en souriant. Pourquoi pas !
Il tendit les bras et le berger se retrouva face à face avec son maître.
— Bienvenue dans la maison, Sherlock ! Et t’as intérêt à filer droit !
Le chien remua la queue, légèrement inquiet d’être si loin du plancher des vaches et Vincent le reposa sur le parquet.
— Ça sent drôlement bon ! dit-il. Qu’est-ce que c’est ?
— Une flammekueche…
Elle sortit le plat du four, ils s’assirent enfin. Il était déjà 21 heures et Vincent commençait sérieusement à ressentir la faim.
Le repas se déroula dans une ambiance joyeuse et ils se laissèrent tenter par le vin d’Alsace choisi par Servane pour accompagner le plat.
Vincent raconta sa journée, Servane parla peu.
Pourtant, il y avait des choses qu’il avait envie de savoir. À la fin du repas, ils s’installèrent sur le canapé pour partager un digestif.
Vincent se lança :
— Comment ça se passe, à la caserne ? Ils ont cessé de t’envoyer des mots doux ?
— Je n’en ai plus reçu un seul.
— Tu crois qu’ils ont encore des doutes ?
— Les avis sont partagés ! répondit-elle avec amertume. D’après ce que je peux entendre et savoir, certains disent que je suis bi… Pour les autres, je ne suis plus la méchante lesbienne : juste la petite conne qui est passée à la casserole !
— Désolé, dit Vincent. Je pensais que ce serait mieux…
— Ça l’est, assura-t-elle. Franchement, je préfère ! Et d’ailleurs, je ne sais pas trop comment te remercier.
— Mais Servane, tu n’as pas à me remercier…
— Si ! Tu m’as sortie d’un très mauvais pas, je te dois une fière chandelle…
— C’est pour ça que tu as acheté Sherlock ? demanda-t-il en souriant.