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Elle le considéra ensuite avec une sorte d’émotion embarrassée et il crut qu’elle allait s’enfuir. Mais elle prit son visage entre ses mains, posa à nouveau ses lèvres sur les siennes.

Avant de l’abandonner à ses doutes.

24

Servane guettait l’arrivée de Vincent. Non sans une certaine anxiété : à coup sûr, ils ne trouveraient rien là-haut et il en serait affreusement déçu.

Une Jeep déboucha en trombe sur le parking, Matthieu en descendit. Servane espéra qu’il ne viendrait pas lui parler. Elle feignit maladroitement de ne pas le voir, mais le jeune homme s’approcha quand même.

— Bonsoir, Servane…

— Salut, répondit-elle froidement.

— Tu attends quelqu’un ?

— Tu es perspicace, dis-moi !… Oui, j’attends quelqu’un. Tu veux savoir qui, peut-être ?… Une copine, tu sais une lesbienne avec qui je vais m’envoyer en l’air toute la soirée !

Il reçut la répartie comme une claque, en resta ébahi quelques instants. Quant à Servane, elle regretta instantanément cet inhabituel accès de vulgarité.

— Je suis désolé, ajouta le gendarme. Je sais qu’ils ont été salauds avec toi, mais…

— Ils ? Et toi ?

— Les messages, c’est pas moi ! se défendit Matthieu. Je n’y suis pour rien !

— Et alors ? Tu t’es joint à la meute ! Même si tu n’as pas écrit ces horreurs, je ne me souviens pas que tu m’aies soutenue !

Il s’assit près d’elle, lui vola une cigarette.

— T’as raison, avoua-t-il. Je vaux pas mieux qu’eux… D’ailleurs, même si tu avais été homo, ça ne regardait personne… Mais ici, faut rentrer dans le moule, sinon t’es mort.

Elle fut touchée par ce repentir qui semblait sincère et avait même des accents de vécu. Alors, elle lui accorda une trêve.

— Ça va, j’oublierai… J’ai pas trop le choix, de toute façon. Je suis forcée de rester ici et il vaut mieux ne pas envenimer les choses.

— C’est une bonne réaction, jugea Matthieu avec soulagement. Tu sais, je voulais te prévenir d’un truc… Lapaz s’est vanté d’avoir couché avec toi.

— Et alors ? Ça aussi, c’est mal vu ? Vous voulez que je me fasse bonne sœur, ma parole ! C’est une caserne ou un couvent ?!

— Non, c’est pas ça… Je voulais juste que tu saches que ce mec a une sacrée réputation dans le coin.

— Ça veut dire quoi, une sacrée réputation ?

— Tous les hommes mariés ont peur de lui ! résuma Matthieu en riant. En fait, les meufs ne représentent pas grand-chose pour Vincent… On raconte qu’il fait ça pour se venger de sa femme qui l’a trompé. Tout ce qui l’intéresse, ce sont les aventures sans lendemain…

— Ça tombe bien : moi aussi ! Je ne veux ni me marier, ni fonder un foyer. Je suis un peu jeune pour ça.

— Tout de même, tu vaux mieux que ça…

— Tu serais pas un peu jaloux ?

Il eut beau nier, Servane comprit qu’elle avait visé juste. Et le 4 × 4 de Vincent apparut sur la route, à temps pour les sauver de cette délicate situation.

— Justement, le voilà ! ajouta-t-elle en se levant. Je te souhaite une bonne soirée !

Elle monta à bord du pick-up et, sans préambule, embrassa Vincent. En remarquant que Matthieu observait la scène, le guide comprit la raison de ce baiser furtif. Il démarra aussitôt et la voiture s’engagea le long des fortifications.

— J’étais obligée, pour Matthieu…

— J’ai compris… Par contre, hier soir, t’étais pas obligée de recommencer !

Il avait pensé à cela toute la nuit, s’efforça pourtant de garder un air détaché.

— C’était pour faire plus vrai ! dit-elle en riant.

— Je vois ! répondit-il en masquant sa déception.

— On va directement là-haut ?

— Oui, il ne faut pas trop tarder car il est déjà tard… Tu es sûre de vouloir m’accompagner ?… C’est le chemin où tu as chuté la dernière fois.

— Je sais, mais depuis, j’ai fait des progrès !

— Exact… En plus, les gardes ont retapé le sentier au début de la saison touristique… On passe sans problème désormais.

— Et puis, cette fois, tu ne me laisseras pas tomber, hein ?

— Si tu es sage, je te tiendrai même la main…

— Tu sais, personne ne nous observera, là-haut ! Alors inutile de jouer aux amoureux transis !

Vincent aurait aimé que ce ne soit qu’un jeu.

Il se concentra sur la route et surtout, sur ce qu’il espérait trouver aux cabanes de Talon. Il ne fallait pas qu’il se laisse dévorer l’esprit par cette histoire sans issue. Une impasse qu’il devait éviter de prendre.

Toute la nuit, il s’était posé des milliers de questions : sur Pierre, sur Julien, sur Émeline… Et sur Servane. Il s’était regardé en face dans le miroir, avait affirmé haut et fort : Je ne l’aime pas ! Non, je ne l’aime pas… Ou plutôt : Je ne dois pas l’aimer.

Il ne voulait pas souffrir. Ne voulait pas échouer.

Il pouvait la considérer comme une amie, rien de plus ; simple question de volonté.

Et sa volonté était toujours d’acier.

Le pick-up roulait vite. Depuis le 15 août, les touristes étaient moins nombreux, la montagne respirait mieux. Et la route s’offrait à eux.

Juste avant l’entrée d’Allos, une grande ligne droite bien tracée. La vitesse qui augmente, l’asphalte qui défile ; monotone, régulier.

— Vincent ?

Il dormait !

— Vincent ! hurla Servane en saisissant le volant.

Il se réveilla d’un seul coup, à temps pour rattraper la trajectoire. Ils n’étaient pas passés loin de l’accident.

— Arrête-toi ! ordonna la jeune femme.

La voiture stoppa sur un terre-plein poussiéreux. Vincent ferma les yeux, appuyant sa nuque contre l’appuie-tête.

— Désolé, murmura-t-il.

— Tu es crevé ! Je vais conduire… Et nous irons là-bas un autre jour.

— Non, j’y vais ce soir… C’est rien, juste un coup de barre.

Servane soupira.

— Ça peut attendre demain ! Tu te rends compte ? Si tu avais été seul, tu finissais dans le torrent !

— On y va ce soir, s’entêta le guide. Parce que sinon, je ne dormirai pas cette nuit encore…

Elle prit alors conscience de sa détresse, des doutes qui le rongeaient et l’empêchaient de trouver le repos. Depuis des semaines, des mois. Alors que chaque jour, il conduisait un groupe de clients. Des kilomètres et des kilomètres parcourus depuis le début de la saison. Il devait être mort de fatigue. Sur la corde raide.

— Laisse-moi au moins conduire jusqu’au départ du sentier, dit-elle doucement. Tu pourras te relaxer un peu…

Ils échangèrent leur place et Servane reprit la route. Mais Lapaz ne dormait plus. Après une telle montée d’adrénaline, son cœur refusait de se calmer.

— Il faut aimer le danger avec moi ! dit-il. Les chutes, le feu, les dérapages contrôlés…

— Les pâtes trop cuites…

— Les pâtes trop cuites ? J’ai osé te faire ça ?

— Oui, mais c’était juste une fois.

Ils se mirent à rire, évacuant la peur. Rien à faire, ils étaient bien ensemble. Unis par quelque chose d’impalpable, d’indéfinissable.

— Elle est vraiment super à conduire, cette bagnole ! Mieux encore que la Jeep de la gendarmerie !

— Je te la léguerai sur mon testament, promit Vincent.

— Elle ne vaudra plus rien ! Donne-la-moi tout de suite…