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— Et moi, comment je fais ? J’aime la marche à pied, c’est vrai, mais…

— Je te file ma Mazda !

— Ben voyons ! Je veux pas d’une voiture de gonzesse !

— J’adore quand tu prends tes airs de macho ! T’es à mourir de rire !

Ils traversèrent le village et s’engagèrent sur la route étroite du Super Allos, sorte de gigantesque lotissement où se suivaient les pointus ; fourmilière en été, désert hors saison. Puis ils bifurquèrent vers la forêt de Vacheresse. Servane passa en quatre roues motrices pour gravir la piste.

— Tu t’en sors pas mal pour une fille ! ricana Vincent.

— Qu’est-ce que c’est encore que ces préjugés à la con ?

— Je croyais que t’aimais ça, quand je prenais mes airs de macho ! Comment tu dis, déjà ? Mon numéro de grand méchant séducteur !

— C’est vrai que tu excelles dans ce registre ! Mais tu peux y aller, ça n’a aucun effet sur moi…

Dommage.

Elle était radieuse, ne s’apercevant même pas qu’elle lui faisait mal. Que chacune de ses phrases était une lance qui se fichait profondément dans sa chair.

À moins que… Peut-être en avait-elle conscience, finalement ? Peut-être s’amusait-elle avec lui ?

Cet éternel jeu de la séduction… Ce jeu qu’il adorait.

Oui, Servane aimait peut-être le trouble qu’elle suscitait en lui.

Mais il préféra se dire qu’elle ne se rendait pas compte du supplice qu’elle lui infligeait.

Le pire, c’est qu’il en redemandait chaque jour…

Et voilà, il recommençait à penser à eux.

Mais il y arriverait, simple question de volonté.

Et sa volonté était toujours d’acier.

Les cabanes de Talon approchaient. Servane et Vincent marchaient depuis déjà une heure et demie. Rythme soutenu, tension palpable.

Lapaz ne plaisantait plus, désormais ; concentré sur l’espoir de trouver une réponse là-haut, tandis que Servane se préparait à l’échec.

— Ça va ? Je ne vais pas trop vite ? demanda-t-il. Tu veux faire une petite pause ?

— Non, c’est bon, prétendit-elle d’une voix qui trahissait son essoufflement. Je me reposerai aux cabanes… Tu as prévu une lampe pour le retour ?

— Bien sûr.

Ils continuèrent leur ascension dans la forêt de pins noirs et distinguèrent soudain une silhouette sur le sentier. Quelqu’un descendait en sens inverse.

— C’est Julien, annonça Vincent.

— Merde ! Qu’est-ce qu’on va lui dire ?… Et si on se planquait ?

— Trop tard, il nous a vus… Allez, on avance et tu me laisses faire.

Ils se retrouvèrent quelques instants plus tard face à Mansoni. Après les poignées de main d’usage, le chef de secteur du Parc attaqua l’interrogatoire.

— Vous allez où, à cette heure-là ?

— On monte jusqu’aux cabanes, éluda simplement Vincent.

— Vous risquez de rentrer de nuit…

— Et après ? Je suis guide, je te rappelle !

— Bien sûr, mais la demoiselle…

— La demoiselle s’en sort très bien, ajouta Lapaz en souriant.

— Remarque, vous pouvez dormir au refuge… Parce que l’orage est pas bien loin.

— T’inquiète pas pour nous !

— Mais qu’est-ce que vous allez faire là-haut ? insista Julien.

— On se dégourdit les jambes ! improvisa Servane.

Vincent lui décocha un regard sévère.

— Et toi ? demanda-t-il. T’as fait quoi ?

— Je suis allé jeter un œil au nid de l’aigle.

— Tout va bien ?

— Oui… Les deux aiglons sont en pleine forme ! Allez, je vous laisse… Passez une bonne soirée et… soyez prudents, protégez-vous… De l’orage, je voulais dire !

Il traça son chemin et Servane le flingua à distance.

— Quel con ! Protégez-vous !

— En route, ordonna le guide. C’est vrai que l’orage approche…

— C’est encore loin ? Cet arrêt m’a cassé les guibolles !

— Non, un quart d’heure à peine.

Effectivement, vingt minutes plus tard, ils arrivèrent à destination. Ils contournèrent la deuxième cabane dont l’arrière était envahi par les orties et Vincent récupéra une paire de gants dans son sac.

— Tu prévois vraiment tout ! s’étonna Servane.

Ainsi protégé, le guide commença à arracher les plantes urticantes par poignées. Une fois le terrain à peu près déminé, il se pencha et enleva de la bâtisse une pierre qui semblait pourtant solidaire du mur. Puis une deuxième. Mais ce n’était pas fini. Il s’allongea, oubliant les orties qui avaient survécu et passa la main dans ce passage secret, faisant disparaître son bras dans un trou invisible.

Soudain, son visage se modifia.

— Y a quelque chose !

Servane demeura bouche bée : il avait donc raison ! Elle n’en revenait pas.

De ces oubliettes, il ressortit un paquet soigneusement emballé dans du plastique et se releva bien vite pour échapper aux orties qui avaient réussi à lui brûler la peau en plusieurs endroits. Ils s’assirent quelques mètres plus loin et Vincent regarda Servane, comme pour s’instiller le courage de découvrir ce que Pierre lui avait légué. Il sortit un Opinel de sa poche, trancha le ruban adhésif. En déroulant le plastique, il découvrit plusieurs liasses de billets rangées dans un film transparent.

Profonde déception.

Servane posa une main sur son épaule.

— Du fric ! murmura-t-il. Il s’est servi de cet endroit pour planquer du fric…

Il balança l’argent par terre avant de s’éloigner. Servane resta sur place à se morfondre ; il aurait encore mieux valu ne rien trouver ici. Elle remit l’argent dans le sachet puis dans son blouson. Elle partit ensuite à la recherche de Vincent qu’elle trouva assis au bord du torrent. La tête entre les mains, il cuvait sa colère.

Elle le considéra avec tristesse ; elle n’aimait pas ces moments où il se retranchait dans l’isolement ; ces moments où il devenait inaccessible. Elle se demanda brusquement s’il avait toujours été comme ça, ou si c’était depuis le départ de Laure.

— Hier soir, tu m’as dit que quoi qu’il ait pu faire, il resterait ton ami.

— Je sais plus ! Je sais plus…

— Nous ne pouvons pas le juger avant de connaître la vérité… C’est encore trop tôt.

— Mais ce fric, Servane ? Ce putain de fric ! S’il y a touché, c’est parce qu’il était corrompu, lui aussi !

— Peut-être… Mais s’il n’avait pas eu le choix ?

— Que veux-tu dire ?

— Il ne faut pas oublier que Pierre couchait avec Ghislaine… Et peut-être que le maire était au courant de cette liaison et a menacé de la révéler à Nadia, obligeant ainsi Pierre à se taire et à accepter à son tour de l’argent en échange de son silence…

— J’ai du mal à concevoir que Pierre se soit laissé corrompre pour sauver son couple, avoua Vincent.

— Vraiment ? Si Nadia avait su, tu penses qu’elle l’aurait quitté ?

— Je ne peux rien affirmer, mais… Très certainement. Nadia n’est pas du genre à partager. Pas son mec, en tout cas !

— Or, qu’y a-t-il de plus important dans la vie d’un homme ? De plus important que de voir sa femme et ses enfants chaque jour ?

— Tu as sans doute raison, acquiesça Vincent.

— On en reparlera tout à l’heure, promit-elle. Il faut qu’on redescende avant la nuit…

Il se leva, en proie à une écrasante fatigue, traîna les pieds jusqu’aux cabanes.