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— Il faut remettre les pierres en place, rappela Servane. Je m’en charge, si tu veux…

— Non, laisse. Tu vas te faire bouffer par les orties.

Il disparut derrière la maison et Servane alluma une cigarette. Elle aurait tant aimé qu’il trouvât une explication. Un réconfort.

Ce qui l’attendait dans cette quête de vérité n’était que souffrance. Pourtant, il devait aller au bout.

Vincent réapparut, le visage fermé.

— Tu as pris l’argent ? vérifia-t-il.

— Il est dans ma poche. On va le mettre à l’abri, c’est une pièce à conviction.

Une pièce à conviction. La preuve que son frère n’était qu’un traître, qu’il ne valait pas mieux que les autres.

La foudre frappa au loin et Servane scruta l’horizon qui s’assombrissait dangereusement ; ils n’échapperaient pas à l’averse. Elle marchait à côté de Vincent, toujours silencieux. Toujours replié sur son désarroi. Elle prit sa main dans la sienne mais il la repoussa. Une douleur suffit ; pas la peine d’en ajouter une autre.

Servane garda ses peurs pour elle. De toute façon, Vincent n’était pas d’humeur à la rassurer. Il marchait vite et elle le suivait, posant mécaniquement un pied devant l’autre.

Soudain, elle le vit se tordre une cheville sur une pierre saillante. Il perdit l’équilibre, chuta lourdement, entraîné par le poids de son sac à dos. Elle se précipita à son secours alors que déjà, il se relevait.

— Tu t’es fait mal ? s’écria-t-elle.

— Ça va ! répondit-il avec hargne. C’est rien !

Il se remit à marcher. En boitant.

Mais quelques mètres plus loin, il fut contraint de s’arrêter. Appuyé à la roche, il s’était baissé pour masser l’articulation. Servane attendit patiemment qu’il demande de l’aide. Mais il s’acharna à repartir, claudiquant de plus en plus.

— File-moi ton sac, proposa-t-elle.

Il se laissa tomber sur le bord du sentier. Affreusement pâle, il serrait les mâchoires. Servane le débarrassa de son fardeau.

— J’ai de l’arnica dans la trousse de secours, dit-il. Prends-le, s’il te plaît…

Elle chercha le médicament et le lui tendit. Il semblait souffrir le martyre, Servane ne savait pas trop quoi faire pour l’aider. Et cette pluie froide qui s’abattait sur eux à chaque rafale de vent ! Vraiment une soirée de merde…

Elle était désormais certaine qu’ils n’arriveraient pas à la voiture avant la nuit. L’angoisse l’étreignit brutalement.

— Faut que j’appelle des secours ?

Il lui répondit par un signe négatif de la tête. Sans même rouvrir les yeux.

— Ça va aller, murmura-t-il. C’est juste une entorse…

— Tu veux que je t’enlève ta chaussure ?

— Surtout pas ! Si je l’enlève, ma cheville va enfler et je ne pourrai plus la remettre… Trouve-moi plutôt un grand bâton.

Elle escalada les rochers au-dessus du sentier et pénétra dans la forêt. Elle se griffait les jambes dans cet enchevêtrement de végétation et partit à la recherche d’une béquille végétale.

Le premier morceau qu’elle trouva avait la bonne taille mais était complètement pourri et se brisa dès qu’elle s’appuya dessus. Elle finit par dénicher une branche à peu près droite et solide.

— Je vais t’aider à te lever, dit-elle en lui tendant la main.

— Je sais pas ce qui m’arrive, fit-il comme pour s’excuser.

— Tu es mort de fatigue, voilà ce qui t’arrive !

Ils repartirent enfin.

Vincent n’arrivait quasiment plus à poser le pied par terre, il grimaçait à chaque pas.

— Comment je vais faire demain ? s’inquiéta-t-il.

— Tu vas annuler la course ! Je ne vois pas d’autre solution…

— Impossible !

— T’auras pas le choix…

Un éclair lacéra le ciel non loin d’eux.

— Manquait plus que ça ! grogna Vincent.

Comme pour lui répondre, le tonnerre explosa au-dessus des cimes et Servane ressentit des picotements de la tête aux pieds.

— Tu crois qu’on peut se prendre la foudre ? demanda-t-elle.

— Pense pas à ça !

— On devrait peut-être arrêter de marcher, le temps que l’orage s’éloigne…

— On s’arrêtera quand je le jugerai bon ! trancha Vincent. Pour l’instant, il est encore loin… Alors on avance !

Ils arrivèrent enfin à la cascade du Pich, s’engagèrent sur la passerelle en bois qui permettait de traverser le torrent du Bouchier. Il faisait presque nuit, maintenant. Avec le mauvais temps, l’obscurité tombait plus vite.

Cette obscurité qui les gommait progressivement du paysage. Qui les engloutissait un peu plus à chaque pas. Alors qu’il leur restait pas mal de kilomètres à parcourir avant d’atteindre la piste.

Vincent souffrait en silence tandis que Servane ne sentait plus ses épaules sous le poids du sac qui avoisinait les quinze kilos. De quoi se casser l’échine.

Et pour couronner le tout, le froid mordait férocement sa peau mouillée.

Quelle idée de venir jusqu’ici à cette heure et par ce temps !

Elle aurait dû penser à refuser.

— Je prends la lampe torche ? proposa-t-elle.

— Pas encore… Tant qu’on y voit, ce n’est pas nécessaire… Il faut ménager les piles.

On n’y voyait pourtant plus grand-chose. Mais elle ne songea même pas à discuter les ordres du guide. Trop fatiguée pour ça.

Enfin, le sentier cessa de grimper alors qu’ils se devinaient plus qu’ils ne se voyaient.

— Allume la lampe, dit enfin Vincent en s’appuyant contre le tronc d’un mélèze.

Servane fit glisser le sac de ses épaules meurtries. Elle récupéra la torche dans une poche latérale et se rassura de cette lumière soudaine. Puis elle endossa à nouveau son fardeau, ce sac qu’elle aurait volontiers balancé dans le ravin.

Elle se remit en marche, mais Vincent resta sur place.

— Allez, viens, encouragea-t-elle. On est presque arrivés…

Elle passa son bras libre sous son aisselle. Il accepta son aide et elle faillit flancher. Il devait bien peser trente kilos de plus qu’elle. Pourtant, elle résista et le supporta jusqu’à la voiture.

Elle jeta le sac dans la benne avant de prendre le volant. Enfin, ils étaient en sécurité. Au moment même où l’orage passait au-dessus de leurs têtes. La foudre frappa à quelques mètres du 4 × 4, Servane poussa un cri.

— On est à l’abri, rappela Vincent. On ne risque plus rien…

Elle aurait voulu le croire. Mais elle était exténuée, au bord de la crise de nerfs. Ses mains se mirent à trembler.

— Tu as été formidable, ajouta le guide. Vraiment formidable… Un vrai petit soldat !

Elle tenta de sourire mais ses muscles étaient trop crispés. Cependant, ce compliment inattendu la rassura.

Entendre sa voix, la rassurait.

— Tu as toujours aussi mal ?

— Ouais… Je vais m’en occuper en rentrant, ça ira mieux demain.

— Tu ne vas tout de même pas aller bosser avec une entorse !

— Je mettrai un bandage serré… En plus, c’est une balade facile.

— T’es vraiment une tête de mule !