Il y a quelque temps de cela, j’ai découvert que Mansoni touchait de l’argent de Lavessières ; sur ses fonds propres, et sur les fonds de la mairie. Tu trouveras les détails sur l’autre document, inutile que je te les donne dans cette lettre.
Bien sûr, j’avais l’intention de révéler ce scandale, j’ai pourtant préféré aller d’abord voir Julien, histoire de lui offrir une chance de s’expliquer. Mais il n’a rien voulu dire, il est même devenu menaçant.
Ce soir encore, je ne sais donc pas pourquoi Lavessières file ce fric à Mansoni. Mais je crois pouvoir dire que Julien le fait chanter. Et qu’il doit savoir quelque chose de vraiment compromettant sur ce salaud pour avoir réussi à lui soutirer tant de fric…
Tu dois te demander pourquoi j’ai gardé tout cela pour moi… Pas facile de te l’avouer, mais il le faut pourtant. Cela fait plus d’un an que Ghislaine et moi sommes amants. Au début, c’était un accident. Un homme et une femme attirés l’un par l’autre et qui se retrouvent seuls, un soir… Mais l’accident en question s’est répété. S’est même transformé en relation durable. Je n’ai pas le temps, aujourd’hui, de t’expliquer pourquoi, ou comment. D’ailleurs, en serais-je capable ?… Parfois, on a du mal à se comprendre soi-même.
André Lavessières était au courant de ma relation avec Ghislaine et si je parlais du fric qu’il avait filé à Mansoni, il menaçait de révéler mon infidélité à Nadia. Il m’a même montré une photo où l’on peut voir Ghis et moi en train de nous embrasser.
Alors, j’ai gardé le silence et j’ai accepté d’être corrompu à mon tour. De recevoir du fric, pour fermer ma gueule…
Mais aujourd’hui, j’ai pris ma décision, enfin.
Ce soir, j’ai rendez-vous avec Ghislaine. Pour lui annoncer notre rupture. Je sais que je vais la faire souffrir. Elle m’a dit si souvent à quel point elle avait peur que je l’abandonne… À quel point elle m’aimait. Elle aurait quitté Julien, pour moi. Mais moi, je n’aurais pas quitté Nadia pour elle.
Ce soir, cette histoire sera terminée. Cette histoire qui jamais n’aurait dû commencer.
Ce soir, je verrai Ghislaine pour la dernière fois… Je sais qu’elle est au courant de ces magouilles : impossible qu’il en soit autrement. Ce fric, elle en profite elle aussi… Pourtant, je n’ai jamais pu vraiment en parler avec elle jusqu’à présent. J’ai tenté de savoir, bien sûr… Mais dès que j’évoquais leur train de vie disproportionné par rapport au salaire que touche Julien, elle se braquait et refusait de parler.
D’ailleurs, depuis quelques semaines, je la vois moins régulièrement, sans doute parce que je sais que bientôt, je ne la verrai plus du tout. Je ne peux pas supporter l’idée qu’elle soit complice de son mari… Je pense que Julien lui ment quant à la provenance de cet argent et qu’elle évite de trop se poser de questions… Je la connais bien, c’est quelqu’un d’étrange, de particulier… Julien lui fait peur, j’ai moi-même pu constater à quel point il pouvait devenir menaçant et violent… Méconnaissable. Combien de fois m’a-t-elle demandé de tout plaquer pour qu’on s’en aille tous les deux refaire notre vie ailleurs… Comme si cela était possible ! Mais Ghis est comme ça… Un peu folle parfois… une folie douce dont j’aurai du mal à me passer, je ne peux te le cacher. Pourtant, ce soir je la quitterai.
Et demain, lorsque les enfants seront couchés, je parlerai à Nadia. Je lui révélerai tout pour Ghislaine et moi.
Je risque fort de la perdre, je risque de tout perdre, mais je ne peux pas continuer ainsi. Si je perds Nadia, je ne sais pas si j’y survivrai. Mais je n’ai plus d’autre choix désormais. Me voilà au pied du mur…
Ensuite, j’irai voir Vertoli pour lui raconter ce que je sais ; je lui confierai les quelques documents en ma possession, il ouvrira une enquête et j’espère que cela aboutira.
Dans moins d’une semaine, tout sera terminé. Si je survis jusque-là…
Oui, Vincent, je m’apprête à parler. Ma vie va basculer, je le sais. Mais j’espère seulement que Nadia saura me pardonner. Car c’est avec elle que je veux vivre le restant de mes jours. Aujourd’hui, j’en suis certain. Pourtant, à un moment donné, j’ai douté. Parce que nous avons traversé une mauvaise passe, elle et moi… Et Ghislaine est arrivée pile à ce moment-là. Tu vois, Vincent, la vie nous conduit parfois sur des sentiers dangereux… Non, ce n’est pas la vie, au final. C’est nous, et nous seuls… Je n’ai aucune excuse.
Je vais donc me libérer du mensonge, de tous ces mensonges. Repartir à zéro.
Mais je sais que Lavessières est capable de tout. Je sais qu’il tentera de m’empêcher de parler, je sais qu’il se vengera.
Je sais que ma vie est menacée et c’est pour ça que je laisse cette lettre à ton attention. Si je perds la vie, tu sauras qui sont les coupables et tu feras ce que tu jugeras bon.
Mais Vincent, je t’en prie, ne te mets pas en danger. Fais ça pour moi…
Voilà, mon frère, je suis obligé de te laisser. Ça m’a fait tant de bien de te parler, enfin… Vincent, mon cher Vincent, j’espère que tu comprendras et que tout ce que je viens de t’écrire n’entachera pas notre amitié, si sincère, si forte, si belle.
Servane releva les yeux pour scruter le visage de Vincent. Elle s’attendait à y voir des larmes, mais ce fut elle qui en laissa éclore une, qu’elle chassa précipitamment.
Le silence les emmura quelques minutes. Puis Vincent fit à nouveau entendre sa voix, redevenue étrangement calme.
— Il faut ouvrir l’autre document, maintenant…
Servane se remit face à l’ordinateur et cliqua sur la seconde icône. Vincent se plaça à ses côtés et, ensemble, ils commencèrent une bien étrange lecture. Un simple tableau qui reconstituait tous les versements faits par Lavessières au bénéfice de Julien. Ils y retrouvèrent la vente des deux terrains ainsi que les vraies fausses factures pour les études géologiques.
Mais ils n’étaient pas au bout de leurs surprises.
— Vise un peu ça ! s’exclama Servane. La mairie paye même le loyer des Mansoni…
Elle posa son doigt sur le moniteur.
— Sept cent cinquante euros par mois, murmura Vincent… Mais comment c’est possible ?
— C’est très simple ! Tout est indiqué dans le tableau : ce chalet appartient à un certain Guintoli…
— C’est un des adjoints du maire… Un pote à lui ! Il tient une boucherie à Colmars.
— Guintoli loue le chalet à Julien mais c’est la mairie qui verse le loyer au propriétaire en faisant passer ça sous forme de remboursements de frais ou d’indemnités diverses… Bref, Guintoli peut louer son chalet à bon prix et les Mansoni ne déboursent pas un rond !