Выбрать главу

— Et ça, c’est quoi ? questionna Vincent en désignant une des lignes du tableau.

— Ce sont encore des indemnités versées à Julien par Lavessières… On dirait que notre ami a une double casquette : chef de secteur du Parc et conseiller technique du maire pour les affaires liées à la protection du milieu naturel…

— Mais Lavessières s’en branle de la protection du milieu ! vociféra Vincent.

— Et alors ? Fallait trouver comment payer Julien chaque mois… Et regarde la page suivante : les conclusions de Pierre… D’après ses calculs, Julien a touché près de quatre cent mille euros en argent et avantages en nature…

— Quatre cent mille euros ? répéta Vincent, hébété.

— Et Pierre conclut : « Julien Mansoni fait chanter André Lavessières et celui-ci détourne les fonds de la mairie au profit de son maître chanteur. Reste à trouver ce que Lavessières a à se reprocher pour verser autant d’argent à Mansoni. »

— C’est tout ?

— Non… Pierre indique aussi les sommes qu’il a lui-même touchées… Un premier versement de huit mille euros en mai et un deuxième de dix mille, le 13 juin.

— Le 13 ? Deux jours avant sa mort…

— Ouais… Ce document a été modifié pour la dernière fois le 14 juin à 15 heures… Les dix mille euros, c’est l’argent que nous avons trouvé ce soir.

Vincent avait l’impression que sa tête allait exploser. Servane tenta de faire le point des informations en leur possession.

— Bon… Pierre découvre les magouilles entre Mansoni et le maire. Il demande des explications à Julien, qui refuse de lui en donner. Il demande ensuite des comptes au maire, à la sortie du conseil municipal… Ils manquent de se battre et Lavessières menace Pierre de balancer sa liaison à Nadia. Voilà ton ami piégé, obligé de se taire et même d’accepter l’argent que lui remet Lavessières. Quelque temps après, Pierre décide finalement de tout révéler mais prend la précaution de planquer ces informations à ton attention, sentant qu’il est en danger…

— Mais pourquoi n’est-il pas venu me parler, nom de Dieu ! s’emporta Vincent. Pourquoi… J’étais son ami, son meilleur ami… Je ne l’aurais pas rejeté…

— Il a eu peur, Vincent.

— Mais de quoi ?…

— On a toujours peur de décevoir ceux qu’on aime.

Vincent inspira profondément et retourna sur sa chaise. Trop de mal à tenir debout.

Servane reprit la parole, continuant à reconstituer le fameux puzzle.

— Donc, Pierre t’écrit cette lettre, et le soir même, il a rendez-vous avec Ghislaine, pour lui dire qu’eux deux, c’est terminé… On sait que c’est ce qu’il a fait, vu le message que Ghislaine a laissé sur son portable le jour de sa mort… Et le lendemain, Pierre est assassiné, avant d’avoir pu parler à sa femme et avant d’avoir révélé quoi que ce soit à Vertoli. Assassiné, mais par qui ?… Lavessières ? Mansoni ?…

— Je ne comprends pas, fit Vincent. Comment Lavessières ou Mansoni ont-ils pu savoir que Pierre s’apprêtait à parler ?

Servane réfléchit quelques instants, puis se lança :

— Le 14 au soir, Pierre rompt avec Ghis… Apparemment, d’après ce qu’il écrit dans sa lettre, Ghislaine était très amoureuse de lui…

— Et alors ?

— Alors, on peut penser que Ghislaine a été très perturbée par cette rupture. Imagine un peu…

Servane se leva, comme pour mimer la scène.

— Imagine Ghislaine qui vient de se faire plaquer par son amant et qui rentre chez elle… Elle a pleuré, la peine se lit sur son visage…

Vincent fronça les sourcils. Où voulait-elle en venir ?

— Julien devine alors que Pierre vient de quitter Ghislaine et il sait pourquoi : il sait que Pierre va parler.

— Attends, coupa Vincent, tu insinues que Julien était au courant pour Pierre et Ghislaine ?

— Et pourquoi non ?

Vincent secoua la tête.

— C’est absurde, ton truc !

— Non, ce n’est pas absurde, se défendit la jeune femme. Il y a forcément un signe qui a révélé à Julien ou Lavessières que Pierre allait parler, sinon il ne serait pas mort ! En tout cas, c’est la rupture avec Ghislaine qui les a alertés, d’une façon ou d’une autre… Ghislaine était peut-être plus au courant de l’affaire que ne le supposait Pierre et c’est peut-être elle qui a vendu la mèche… ça, nous ne pouvons pas le savoir.

Servane ferma les documents, éteignit l’ordinateur.

— On va aller voir Vertoli, décréta-t-elle. Dès demain matin, je…

— C’est trop tôt, rétorqua Vincent. On ne sait pas ce que Lavessières veut cacher, on ne sait pas pourquoi il paye Julien.

— C’est vrai, mais on a la preuve que Julien est un maître chanteur… Et tous ces détournements peuvent les conduire en taule.

— Mais si les gendarmes interviennent maintenant, on ne découvrira peut-être jamais pourquoi Julien fait chanter Lavessières… Et donc pourquoi Pierre est mort. Notre cher corbeau va sans doute continuer à nous mettre sur la piste !… Si on s’arrête à ces chefs d’inculpation et qu’on ne trouve rien d’autre, combien d’années de prison risquent-ils ?

— Pas grand-chose, dut admettre Servane. Mais ils feront tout de même un tour en taule et perdront une bonne partie de ce qu’ils possèdent…

— Mais Pierre a tout perdu, Servane ! Tout… Je veux qu’on aille plus loin… Je veux que ces fumiers pourrissent en taule ! Je veux qu’ils y crèvent !

Son visage était marqué par la haine, maintenant. Ses poings, serrés.

— J’ai même envie de les tuer de mes propres mains !

— Je comprends, Vincent. Mais rien ne dit qu’on découvrira quelque chose de plus… Et si on attend trop, Lavessières risque de faire disparaître les preuves…

Lapaz hésita un instant avant de revenir à la charge :

— Voilà ce que je te propose : on est le 18 août et si on n’a rien d’autre dans quinze jours, on va voir ton chef…

Elle soupira. Hésita à son tour. Ils prenaient un risque, énorme. Elle repensa à l’une des dernières phrases de la lettre de Cristiani.

« Vincent, je t’en prie, ne te mets pas en danger. Fais ça pour moi… »

Vincent, qui la suppliait presque du regard, maintenant.

Elle capitula.

— OK… Je te suis. Mais on fait sans doute une connerie…

— Merci, murmura Vincent.

— Où on va mettre le fric et le CD ?

— Tu pourrais les garder dans ton appartement, suggéra Vincent. Quoi de mieux qu’une gendarmerie pour garder une pièce à conviction !

— C’est vrai… Ici, tu es souvent absent et on pourrait te cambrioler… Je vais les planquer dans mon studio… Je ne pense pas qu’ils oseront visiter l’appart d’un gendarme !

Ils redescendirent au rez-de-chaussée alors que l’orage revenait en force au-dessus de l’Ancolie. Servane rangea l’argent et le CD dans la poche de son blouson et prit son sac.

— Tu t’en vas ? demanda Vincent.

— Oui, il faut que tu te reposes… Et demain, hors de question d’aller bosser !

— J’ai des clients qui m’attendent… Je me débrouillerai.

— Tu es épuisé, il faut te ménager… Tu aurais pu tomber dans le ravin, tout à l’heure !

— Je vais prendre un truc pour dormir et des cachets pour la douleur. Mais de toute façon, la pluie m’empêchera peut-être de travailler… Je vais te raccompagner.

— Non, tu vas te coucher ! ordonna-t-elle en souriant. Il faut que je récupère ma bagnole et puis avec ta cheville, tu es incapable de conduire…