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— Tu m’appelles en arrivant ?

— Tu t’inquiètes pour moi ? demanda-t-elle avec un sourire ému.

— Évidemment ! Qu’est-ce que tu crois !

— Ça me touche beaucoup, mais je t’assure que ça ira… Va te reposer, Vincent. Je t’appelle… Promis !

Elle l’embrassa sur la joue et ouvrit la porte d’entrée, recevant en pleine figure une rafale de vent froid.

— Au fait, ajouta-t-elle, ça faisait combien de temps que vous n’aviez pas utilisé cette planque ?

Vincent prit quelques secondes pour réfléchir.

— Presque trente ans, répondit-il. Mais Pierre m’a reparlé de ça, quelques jours avant de… Avant d’être assassiné. Juste avant qu’on s’engueule. Il m’a reparlé de Sophie, aussi. Je me demandais pourquoi il déterrait ces vieux souvenirs…

— Maintenant, tu sais… Bonne nuit, Vincent.

Elle remonta le col de son blouson et se jeta dans les bras de l’orage, disparaissant dans la nuit à la vitesse de l’éclair.

Vincent, à nouveau dans les affres de la solitude, remonta doucement à l’étage. Il prit la lettre entre ses mains. La relut, encore et encore.

À présent, il pouvait pleurer, encore et encore.

* * *

Vincent sentit quelque chose de chaud contre son épaule et ouvrit les yeux : Sherlock s’était invité sur l’oreiller voisin et dormait profondément. Il se redressa et écouta la pluie qui martelait le toit du chalet. Le chiot s’éveilla à son tour et bâilla. Vincent avait envie de rire mais se força à prendre une voix sévère.

— Tu te crois où, le chien ? T’as pas le droit de venir dormir ici ! Ta place est en bas !

Le berger remua la queue, affichant un air coupable absolument désarmant. Vincent ne se laissa pas amadouer et Sherlock atterrit sur le parquet. Puis son maître s’essaya à quelques pas. Plutôt douloureux…

Pendant qu’il avalait son petit déjeuner, il repensa aux découvertes de la veille. Certes, ils ne détenaient pas encore la vérité mais avaient eu confirmation de leurs soupçons. Et même si Pierre avait commis des erreurs, voire des fautes, il n’en demeurait pas moins une victime. Vincent pensa soudain à Nadia, certainement en proie aux mêmes questions. Il posa un bandage serré autour de sa cheville meurtrie et s’habilla.

Une demi-heure plus tard, il était à Chaumie. Il trouva Nadia assise sous la véranda, le nez dans ses livres de comptes.

— Qu’est-ce que tu as ? demanda-t-elle. Tu t’es fait mal ?

— Une entorse, répondit-il en l’embrassant. Mais ça va, demain je pourrai reprendre le boulot… Où sont les gamins ?

— Chez mes parents, à Nice… Je les récupère demain.

— Ça va mieux avec Émeline ?

— Oui… On a beaucoup parlé, toutes les deux… Ça nous a fait du bien. Tout cela grâce à toi !

— Non, je n’y suis pour rien…

— Tu veux un café ?

— Volontiers…

Elle disparut dans la cuisine et Vincent laissa ses yeux suivre les gouttes qui glissaient le long des larges baies vitrées. Nadia revint avec un plateau où elle avait disposé des biscuits en plus du café.

— J’ai déjà pris mon petit déjeuner, indiqua Vincent en souriant.

— C’est pas grave, tu mangeras deux fois ! T’as l’air un peu fatigué, ça ne peut pas te faire de mal !

Il adorait son petit côté maternel, tellement touchant. Peut-être parce que les hommes ont toujours besoin de leur mère. Et qu’il n’avait personne pour prendre soin de lui.

Laure lui traversa l’esprit, comme une lance vous traverse le cœur.

Pensait-elle à lui, de temps à autre ? Ça lui arrivait forcément, ne serait-ce qu’un instant. Il ne pouvait supporter l’idée qu’elle l’ait complètement effacé de sa mémoire. Même si elle vivait heureuse, quelque part… Il l’imagina alors brusquement dans les bras d’un autre, la haine enflamma chaque parcelle de son être.

Il tenta de refouler les images qui se déversaient dans sa tête, comme une coulée de boue toxique.

Laure et un type qui lui ressemblait étrangement, dans le même lit.

Un inconnu en train de jouir en elle.

Vincent faillit hurler de douleur.

— Ça va ? s’inquiéta Nadia.

Il revint brusquement dans la réalité.

— T’en fais une tête ! Tu penses à quoi ?

— À rien… Je suis juste un peu crevé…

Il avala deux gorgées de café pour se vidanger le cerveau et dévia la conversation.

— Tu as vu les gardes, récemment ?

— Baptiste est passé hier soir.

— Et Julien ?

— Julien ? Non, je ne l’ai pas vu depuis longtemps… En fait, il est venu une fois, deux jours après l’enterrement. Il souhaitait récupérer des dossiers que Pierre avait amenés ici et qu’il devait rapatrier au bureau…

— Il les a trouvés ?

Nadia leva un sourcil. Drôles de questions.

— Je crois, oui… Il est monté dans le bureau et en est redescendu avec deux pochettes. Je ne l’ai pas accompagné… Pourquoi ?

Julien avait donc fait main basse sur les preuves que Pierre comptait remettre à Vertoli. Lorsqu’il n’aurait plus à craindre d’être démasqué, Vincent songea au plaisir qu’il éprouverait à lui casser la gueule.

— Je voulais juste savoir s’il t’avait laissée tomber, prétexta-t-il. Et apparemment, la réponse est oui…

— De toute façon, c’est mieux comme ça. Je serais tellement mal à l’aise face à lui ! De savoir que Pierre couchait avec sa femme…

— Je comprends. Mais il pourrait au moins venir voir si tu as besoin de quelque chose.

— Je suppose que les gardes se chargent de lui donner de nos nouvelles… Et puis avec la saison touristique et un homme en moins, il n’a pas dû avoir trop de temps à lui.

— Sûrement… La saison a été bonne pour toi ?

— Pas mauvaise. Mais ça ne suffira pas… Je vais devoir travailler. J’ai peut-être trouvé quelque chose : un mi-temps au petit supermarché de Villars-Colmars… C’est toujours mieux que rien… Avec mes ruches, ça devrait nous suffire.

— Je l’espère… Mais si tu as besoin d’aide, n’hésite jamais à me demander.

— Pourquoi ? Tu as un magot planqué quelque part ?

Vincent songea aux liasses de billets trouvées aux cabanes de Talon et soupira.

— Non, pas grand-chose… Mais je suis prêt à le partager avec toi.

25

Les touristes s’en étaient allés, la montagne avait retrouvé son calme. Campings et hôtels désertés, villages comme abandonnés.

En ce début septembre, le guide n’avait presque plus de clients. Les derniers jours d’août avaient été marqués par une série d’orages d’une rare violence qui avaient fait fuir les derniers estivants. Le soleil était revenu mais la température n’était plus la même. L’automne s’annonçait déjà, ici plus précoce qu’en plaine. Et, après quelques ultimes randonnées, Vincent reprenait des forces. Mais il se sentait un peu désœuvré, comme à chaque fin de saison. Un nouveau rythme à prendre, quelques jours d’adaptation.

Il s’était levé tard, prenait son petit déjeuner sur la terrasse. Pas grand-chose de prévu, aujourd’hui. Il devait simplement rejoindre Nadia pour l’aider à descendre ses ruches et rendre une petite visite à sa mère. Il n’avait plus de nouvelles de Servane depuis une semaine car elle était partie en Alsace retrouver sa famille. Une absence qui ne l’empêchait pas de penser souvent à elle. Trop souvent…