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Le gendarme sembla fortement ébranlé par les paroles de Servane. Tant de sincérité dans cette voix familière… Elle n’avait jamais su mentir.

Et, tandis que Portal tenait les prisonniers en respect, les trois hommes échangèrent quelques mots à voix basse. Visiblement, ils n’étaient pas d’accord. Le ton montait.

Enfin, ils prirent leur décision et ce fut André qui énonça le verdict.

— OK, Lapaz ! Tu veux jouer avec nous ? Alors on va s’amuser un peu… On n’est pas pressés, on a toute la nuit devant nous !

Il pressa le canon de son fusil sur le cœur du guide.

— On va faire une halte aux cabanes de Congerman. On y sera tranquilles pour discuter.

Vincent ne comprit pas pourquoi André voulait monter jusqu’aux cabanes ; n’étaient-ils pas suffisamment tranquilles sur ce sentier désert, au beau milieu de la nuit ? Peut-être qu’il ne voulait pas rester trop longtemps sur ce passage étroit, où chacun d’entre eux pouvait se retrouver malencontreusement aspiré par le vide ?

Peu importait, Vincent ressentait un vrai soulagement. Il avait réussi à gagner un peu de temps, quelques précieuses minutes ; la mort venait de reculer d’un pas.

Il continua à suivre son ébauche de plan :

— Si vous laissez partir Servane, je vous dirai où sont ces preuves, ajouta-t-il encore.

— T’es un marrant, toi ! s’exclama Hervé. Tu nous prends pour des cons ou quoi ? Si ces preuves existent, tu nous diras où elles sont… Fais-moi confiance ! Et maintenant, tu passes devant et tu nous conduis là-haut.

Il attrapa Servane par le bras, l’attirant brutalement contre lui.

— Je garde la petite à côté de moi, au cas où il te viendrait des idées…

— Si tu la touches, je m’arrangerai pour que tu tombes avec moi ! rugit Vincent.

— Si tu la protèges comme tu as protégé ta gonzesse, on n’a pas grand-chose à craindre !

Vincent se contenta de lui jeter sa haine au visage. Servane prisonnière des bras de cet assassin, le moindre mouvement brusque sur ce chemin pouvait conduire à la catastrophe.

Sauver Servane.

Il se remit lentement en marche avec ces deux mots en tête. Aucune autre motivation ne pouvait le faire avancer. Il aurait pu les semer facilement ; partir en courant au détour d’un virage, continuer à la seule lueur de la lune. Il connaissait chaque pierre de ce périlleux sentier, chaque piège tendu par ces gorges. Mais il y avait Servane. Il ne pouvait l’abandonner aux griffes de ces barbares.

Il tenta de nourrir l’espoir.

Gagner du temps, repousser l’échéance fatale.

Ils passèrent près d’une source qui suintait de la roche, traversait le sentier et se jetait dans le vide pour rejoindre le torrent. Suivant calmement sa destinée immémoriale. Un bruit doux et rassurant, note musicale au cœur de ce monde minéral.

Mais rien ne pouvait rassurer Vincent, ce soir.

Seul, il se serait résigné à quitter ce monde. Maintenant qu’il savait que Laure n’en faisait plus partie. Maintenant qu’il n’avait plus aucun espoir de la revoir un jour.

Mais il n’était pas seul. Ce soir et depuis quelques mois, déjà… Il y avait Servane.

Sa petite Servane… Cette fille, entrée avec douceur et discrétion dans sa vie, pour y prendre une place chaque jour plus importante.

Cette fille, qu’il aimait chaque minute un peu plus.

Quelques kilomètres plus loin, après une demi-heure de marche silencieuse, le sentier croisa le lit du torrent. Le groupe s’engagea sur un vieux pont en bois et Vincent se retourna pour vérifier que Servane allait bien. Mais la seule chose qu’il vit fut l’éclat éblouissant de la lampe de Vertoli.

— T’arrête pas ! ordonna l’adjudant.

— Ça va, Servane ? demanda Vincent en ignorant l’injonction du gendarme.

— T’inquiète pas ! nargua Hervé. On la quitte pas d’une semelle, ta petite chérie ! Et maintenant, avance !

Vincent obtempéra et le chemin se remit à monter. Ils changeaient de décor, quittant la roche pour pénétrer dans une forêt profonde, alliance de sapins et de mélèzes séculaires. Odeurs de terre mouillée et de résine qui imprégnaient la nuit, sol qui devenait plus meuble sous leurs pieds.

Lorsque la pente se fit plus raide encore, Servane sentit ses poumons s’enflammer. L’humidité, l’effort mais surtout le stress l’étouffèrent progressivement. Elle se mit à tousser, de plus en plus violemment, de plus en plus souvent.

Vincent ralentit, mais Vertoli le poussa sans ménagement. Peu après, la jeune femme s’arrêta. Pliée en deux, elle ne parvenait quasiment plus à respirer.

— Avance ! brailla Hervé.

Il la bouscula, elle s’affala de tout son long. Cette fois, Vincent fit demi-tour et se retrouva nez à nez avec le Beretta du gendarme.

— Reste là !

— Mais elle a besoin d’aide !

— Bouge pas, on va s’en charger…

Vincent, bloqué par Vertoli et Portal, regarda impuissant les deux frères Lavessières qui relevaient Servane.

— Laissez-moi au moins prendre son sac ! implora-t-il.

— Fais pas chier, Lapaz ! rétorqua le maire. Marche et t’occupe pas d’elle !

— Je n’irai nulle part !

André planta le canon de son fusil dans la nuque de la jeune femme.

— Je te dis d’avancer, répéta-t-il calmement. Sinon, je la bute ! Ici, tout de suite… C’est ça que tu veux ? On n’a plus vraiment besoin d’elle, tu sais…

Servane parvint à faire entendre sa voix. Méconnaissable.

— Ça va, Vincent… Ne t’inquiète pas pour moi, fais ce qu’il te dit…

Le guide se résigna à repartir et entendit encore qu’elle toussait à intervalles réguliers. Il fallait qu’elle tienne le coup jusqu’aux cabanes. Encore une heure de marche à ce rythme. Une heure à monter à travers la forêt.

Un grand tétras s’envola en donnant l’alerte et tout le monde tressaillit. Le lourd volatile se posa un peu plus loin, le silence reprit ses droits. Brisé seulement par la respiration aiguë et saccadée de Servane. Vincent pouvait sentir sa souffrance, mêlée à la sienne.

Sauver Servane.

Deux mots essentiels pour trouver la force de continuer. Pour trouver le courage d’avancer vers son destin.

Et, au milieu du chaos qui régnait dans sa tête, l’image de Laure s’imposait à lui. Il imaginait son visage et son corps martyrisés, sa solitude face à la mort. Il n’avait pas été là, elle était partie seule. Une mort effroyable, sans doute.

Alors, les larmes coulèrent doucement sur ses joues glacées, il ne fit rien pour les retenir. Personne ne pouvait les voir, de toute façon.

Je n’ai pas pu te sauver. Mais je sauverai Servane…

Les cabanes de Congerman surgirent au détour de la nuit. Enfin. Ou déjà…

Gardées par une armée d’orties, bercées par une source, nichées au creux d’une belle clairière : cadre enchanteur où Vincent adorait habituellement emmener ses clients.

Cette nuit, il y avait conduit ses propres bourreaux.

Il s’arrêta devant la maison principale, les deux autres n’étant plus que des ruines éventrées par les arbres. Portal, essoufflé par cette montée aux enfers, sortit une grosse clef de sa poche et déverrouilla la porte.

Hervé Lavessières entra en premier, traînant Servane par le bras, et le reste du groupe suivit. André alluma deux lampes à gaz laissées à la disposition des visiteurs de passage avant de les suspendre au plafond.

L’intérieur du refuge était plus que sommaire : une table et deux bancs, un antique poêle à bois, quelques ustensiles posés sur des étagères de fortune et une banquette en bois fixée au mur. Le strict minimum pour bivouaquer durant une nuit. Une porte donnait dans une seconde pièce, petit réduit sans fenêtre où était stocké du matériel laissé par les forestiers.