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Une allée de cyprès rabougris, sous ce vent chargé de sable, au bout d’un petit chemin, conduit Pénélope et Wandrille à un cube blanc, une porte bleue, entourée de murets qui mènent au rocher, puis à la mer. Une carte postale. On comprend que, sur un coup de tête, on puisse avoir envie d’acheter ce paradis. Pénélope se sent renaître : « Tu crois que les nièces en demanderont cher ?

— Si elles apprennent ce qu’il y a à l’intérieur, elles devraient réclamer une petite fortune. Tu crois que le Rembrandt va être très caché ? »

Wandrille escalade le mur, contourne l’entrée principale, Pénélope regarde par-dessus les pierres. Il aperçoit un passage, vers l’autre façade du côté de l’eau. Il revient, aide Pénélope à escalader. Les fenêtres de la maison sont étroites et hautes, mais aucune grille ne les protège. Ils franchissent un second mur, directement construit sur le rocher. Du côté de la Méditerranée, c’est une grande baie qui remplace le mur. Wandrille hésite à casser la vitre. C’est Pénélope qui avise une petite fenêtre sur la droite, accessible. Wandrille lui fait la courte échelle. Elle fracasse le carreau à coup de sac à main ; elle se hisse, il la pousse.

Pénélope est entrée dans une petite cuisine, comme celle d’Ingrid Bergman dans le film.

Une seconde plus tard, elle apparaît derrière la baie vitrée, l’ouvre en grand.

« Voilà, Péné, on s’installe, on est chez nous. Pas de sirène d’alarme. Pas de pièges à loup. On a de la chance pour notre premier cambriolage.

— Beaucoup de cambrioleurs nous envieraient. Regarde. »

En majesté, sur le mur de la chambre qui donne sur la grande pièce principale, le tableau, sans son cadre, est accroché au mur.

Ils sont revenus à l’hôtel plus tard que prévu, sans plateau de fruits de mer, sans bouteille de vin. Ils se sont précipités pour allumer la télévision. L’émission était commencée.

L’altana du palais était inondée de lumière, c’était Gaspard qui parlait. Il racontait son agression, il n’avait pas vu qui s’était jeté sur lui, il pouvait témoigner : un tueur fou était prêt à s’en prendre aux écrivains. La caméra, pendant qu’il parlait, filmait le campo. La remarque inattendue vint de Frédéric Leblanc, qui se pencha vers Gaspard et déclara avec un sourire : « Les écrivains ne sont pas les seuls à vivre ici sous la menace, n’oublions pas les chats ! » Et Wandrille avait lâché son verre à dents quand il avait entendu Gaspard Lehman répondre, un peu mielleux : « Pauvres chats ! J’en avais un à Paris, un chat vénitien. Il était comme mon double, il avait comme moi une petite mèche blanche, ici. Je l’aimais. Il est mort de vieillesse quelques jours avant le début de cette histoire. »

8

La cavalière de Rembrandt

Naples,

mardi 6 juin 2000

Dans l’avion qui décolle de Naples, Pénélope est surclassée. Elle a un tel air de triomphe. À l’enregistrement des bagages, l’hôtesse lui a donné tout de suite, en la voyant, de la classe affaires. Wandrille est rentré à Paris, par un autre vol, pour un rendez-vous à la rédaction d’un grand quotidien à qui il vient de vendre son reportage sur « ces comités qui sauvent Venise ». Elle a préféré repasser par Venise, faire une déposition à la police. Elle a toutes les preuves. Elle apporte des documents. Elle va aussi signaler à la division des carabiniers chargée de la protection des biens culturels qu’une œuvre importante se trouve dans une cabane de pêcheurs à Stromboli, cachée par précaution sous un sommier, et couverte, par ses soins, de papier journal.

Dans la maison de M. Novéant, il n’y avait pas que le tableau. Pénélope avait ouvert une grosse enveloppe. Achille s’était expédié à lui-même une vingtaine de lettres pour les mettre à l’abri. Celles que lui adressaient certains de ses confrères, des noms connus, en réponse à l’accusation que Rosa avait portée contre lui au sein de leur petit cénacle. On pouvait reconstituer toute l’histoire.

Rosa avait bien découvert le Rembrandt. Achille s’en était aperçu. Il était arrivé un peu après elle au fortin. Il avait trouvé la bouteille de solvant et les chiffons grâce auxquels elle avait dégagé, dans l’exaltation, un petit carré, une « fenêtre », dans le repeint à la hauteur du chapeau.

Le lendemain, Novéant avait fait venir Lamberti, qui avait aussitôt embarqué la toile, au sens propre — ils l’avaient mise dans la vedette avec laquelle ils étaient venus —, et l’avaient transportée dans l’atelier du restaurateur. Lamberti s’était mis au travail, la nuit même. Il était allé vite, il suffisait de dissoudre sans pitié la couche que lui-même avait fait peindre par son assistant, Alberto Padovani, dans les années cinquante. Le Rembrandt de M. de Beistegui, protégé par le vernis intermédiaire dont il l’avait recouvert, réapparut, intact. Lamberti et Novéant comprirent qu’ils pouvaient partager la somme si le tableau était vendu discrètement, à Naples ou en Sicile. Là où il y a des trafiquants de drogue qui utilisent des toiles de maîtres et des tableaux volés dans les musées pour servir de garantie lors de leurs transferts de fonds.

Cela, c’était Rosa qui le racontait dans une lettre, où elle sommait Novéant de revenir à la raison. Elle avait tout saisi, il était un voleur, il se repentirait. Elle racontait que le tableau avait été chez sa mère, qu’elle en était la seule propriétaire. Son notaire avait copie de cette lettre, elle allait engager une action légale.

Novéant avait répondu, semble-t-il, que le tableau était en restauration. Elle avait traversé le Campo San Giovanni e Paolo, s’était ruée chez Lamberti, qui lui avait fermé la porte au nez. Dans une lettre un peu plus tardive, elle répliquait à Novéant : il avait dû lui écrire que ce tableau était la propriété collective de leur cercle, et qu’il venait d’alerter tous les membres pour les mettre en garde contre elle. L’avait-il vraiment fait ? Pénélope en doutait. L’un d’eux, après le meurtre de Novéant, aurait forcément parlé de ces missives à la police. Il avait bluffé. Novéant n’avait rien dit aux autres au sujet du Rembrandt, il le voulait pour lui.

Mais Rosa n’avait pas tardé à croire que tous les écrivains étaient complices et qu’elle était victime, elle, seule femme au milieu de ces hommes. On la dépossédait de son chef-d’œuvre, de cette femme sublime qui, jusqu’à sa mère, n’avait appartenu qu’à des femmes. Elle se sentait dans son droit.

Pénélope comprit alors que le billet qu’elle avait trouvé devant le Colleone, le billet que Rosa lui avait demandé de lui donner pour le lire, le premier matin, c’était elle qui l’avait écrit et placé là, quelques minutes auparavant : « Tous les écrivains français de Venise seront des chats si le cheval de l’île noire ne rentre pas à l’écurie. Première exécution cette semaine. » Un avertissement écrit par la romancière, mais pour qui ?