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— Preuve qu’une copie peut être presque parfaite.

— Comme un crime, ajoute machinalement Pénélope.

— Elle avait de surcroît une portée historique. Je baisse les armes mes amis.

— Vous vous convertissez à la religion de la copie des meubles anciens?

— Sauf que les artisans du meuble savaient réussir à l’époque des prouesses aujourd’hui impossibles. Reste à savoir comment cette table, qui ne figure pas dans nos inventaires, a pu revenir à Versailles, et qui s’en est servi pour cette mise en scène sanglante. La police qui enquête sur le meurtre n’en a pas la moindre idée. Ils ne croient pas du tout que le mobilier puisse être un mobile. On en est là.»

Bonlarron a esquissé un sourire. Pénélope et Wandrille se sont tus, ne sachant si c’était du lard ou si c’était du cochon.

7.

Patrimoine Plus

Paris, vendredi 10 décembre 1999, vers 10 heures

Les bureaux de Patrimoine Plus sont d’un luxe de bon aloi. Tout ici rassure la châtelaine. Pourtant, c’est un étage perdu, dans une tour du quartier de Beaugrenelle. Deloncle, PDG exemplaire, a su organiser, dès l’entrée, une atmosphère de château un rien bas de plafond: paravent en laque de Coromandel, vases Imari, girandoles, lustres et tapisseries.

«Ces conservateurs de Versailles sont les plus bêtes du monde! Toutes ces restitutions des années 1970 ou 80 sont mûres! Dans dix ans, il faudra les casser! Regardez à Azay-le-Rideau, le lit bleu et le lit rouge tombent en morceaux, les tissus des murs sont cuits et recuits. Van der Kemp a cru qu’il avait installé ses plumes d’autruche et ses falbalas pour cent ans. Dans dix ans ça aura toujours de l’allure, mais il faudra se demander si ça a encore un sens. Il faut commencer à réfléchir à ce qu’on peut faire à la place. Le style Monuments historiques de la fin du XXe siècle, châteaux de la Loire et compagnie, a vécu. Il faut en inventer un autre. Aucun conservateur ne s’en rend compte!

— Tu imagines, mon petit oncle, leur tête quand ils ont vu arriver une table qu’ils ne connaissaient pas!

— Du mobilier genre Versailles, de première catégorie, on en trouve! S’il faut quatre commodes et dix-huit chaises pour un salon, Steinitz les a dans son entrepôt, ou on va chez le grand Jean-Marie Rossi. Ce fétichisme du mobilier “qui se trouvait là ce jour-là” n’a plus lieu d’être. Les visiteurs ont besoin d’avoir une idée, que ça donne quelque chose au premier coup d’œil. Ensuite, on leur explique ce qui vient de Versailles et ce qui n’en vient pas. Y a pas que des bûches dans les cars de touristes, à force de les gaver d’expos au Grand Palais à longueur d’année, le niveau monte. Mais ces constipés de conservateurs ne supportent pas ça! Ce que tu me racontes, Léone, sur ces Ingelfingen, c’est génial, il faut que les journaux en parlent. Si tu ne veux pas qu’on sache que tu es au courant et que tu les connais très bien, je te donne ma parole que rien ne filtrera. Tu veux que j’appelle une télé? Vous aussi, vous devez bien avoir quelques copies chez vous à Sourlaizeaux?

— Que va devenir la maison? répond Léone. Nous avons encore de quoi faire tourner la baraque, mais bientôt… La cassette se vide. Les parents ne se rendent pas compte que nous en avons pour dix ans, pas beaucoup plus, après, oust!

— Tes parents ne vendront pas. Mais toi? dans dix ans?

— Je ne serai jamais capable de m’en débarrasser. Je passe ma vie à m’occuper des bassins, des jardins, des visites, je ne sais pas faire autre chose. Sourlaizeaux, c’est ma croix! Mais c’est aussi ma bannière.»

Clarisse Deloncle, épouse modèle, nez pointu, coiffure au carré, se tourne vers la visiteuse:

«Toujours aussi exaltée. À propos, la santé de ton père?

— Cas classique de démence sénile. Radotage et jardinage. Il a même repris sa vieille barque et fait de l’entraînement d’aviron sur le miroir d’eau comme quand il était jeune homme. Il m’écoute mais il ne parle même plus à maman. Il passe sa vie à couper les haies dans le jardin. On le planque dès qu’il y a de la visite.

— Dire que nous passions notre vie dans ce jardin avec ta mère quand nous étions petites.

— Si nous voulons que notre projet aboutisse, interrompt Deloncle, il faut que tu continues à dire haut et fort beaucoup de mal de Patrimoine Plus. Tu as pu briefer le copain de la petite nouvelle, c’était ton idée…

— Je lui ai dit que vous harceliez maman de propositions pour rendre le domaine rentable. Il a dû tout répéter à sa Pénélope. Je ne pense pas qu’elle ait beaucoup d’influence au palais, même si Simone Rapière dit que le président Vaucanson s’en est entiché.

— Tu n’en fais pas un peu trop, ma petite Léone? Le jour où il découvrira que ta mère et moi nous sommes sœurs…

— Il n’est pas du tout de notre monde, tante Clarisse, il ne soupçonnera jamais ça. Vous n’avez ni le même nom de jeune fille ni le même nom de femme mariée. On est couvert par les deux mariages de bonne-maman Françoise, deux lits, deux noms, deux noces, et au bout du compte une Deloncle et une Croixmarc.

— Tu sais avec une collection de vieux Bottin mondain, on découvre le pot aux roses en deux minutes. Suffit d’en trouver un des années 1950, de chercher les noms des enfants de bonne-maman.

— Les collections de vieux Bottin, c’est l’arme absolue des douairières de Versailles et du XVIe, ça ne le concerne pas. Wandrille, il est plutôt Who’s Who in France!

— Tu as des intentions? Léone, à ton âge, il faut songer à s’établir. Pour le Bottin de l’année prochaine!

— Il n’est pas libre, et moi je ne sais pas…

— En tout cas si son père peut aider tes parents à ne pas bazarder Sourlaizeaux…

— Mais enfin, mon oncle, vous me prenez pour une putain?»

8.

Seconde leçon de catéchisme, mais plus dans un tombeau

Paris, samedi 11 décembre 1999, 9 heures

Wandrille s’est réfugié dans son dernier étage. Il y est chez lui, au milieu de ses caleçons Brooks Brothers achetés à New York et de ses écharpes Etro venues de Milan, parmi ses cravates, qu’il ne porte jamais, accrochées à une porte de placard — avec deux paires de patins à glace offerts par Pénélope, une pour elle, une pour lui. L’ordinateur est allumé. Sa chronique de la semaine à venir n’est pas commencée. Le sujet? Le chromofooding, une invention diabolique. Il s’assied dans son lit:

«La grâce? demande-t-il à Léone, qui, les seins nus, le regarde dans la glace.

— Si je me souviens du catéchisme de ma grand-mère, la grâce, c’est reconnaître Jésus, l’écouter, le suivre. Je peux te piquer une chemise? La blanche?

— Choisis celle-ci, avec la petite ganse à la lisière, c’est de chez José Lévy. Elle te va.

— Encore un cadeau de Pénélope? L’homme, créé par Dieu, s’en tire comme il peut. C’est alors bien sûr que viennent les complications car depuis le début, même dans l’état adamique, on ne vivait pas en Dieu… mais en plus il y a eu le péché, la chute, le fruit défendu… bref, la mort.

— Tu gâches tout, je commençais à te suivre et j’adore ton état évique. Le péché originel, c’est Ève! Tu crois qu’elle était aussi sportive que toi?

— Tu plaisantes, ce n’est pas à cause d’Ève que tous ces malheurs nous sont arrivés. Le coupable, c’est le serpent, et la liberté laissée par Dieu à l’homme. Je peux te piquer aussi un caleçon?