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— Dieu ne nous connaissait pas encore. On aurait su s’en sortir, nous. Toi, comme moi. Adam et Ève se sont fait avoir comme des débutants. On peut refuser l’aide, refuser la grâce, et choisir le péché. Toi, hier soir, quand je t’ai proposé un dernier verre.

— J’ai eu honte pour toi, c’était vraiment ringardos. Ceux qui prennent l’habitude de refuser la grâce divine s’habituent aussi aux péchés, même les véniels, et se risquent à perdre le Ciel.

— Tu es en état de grâce, toi? Moi je me sens très coupable, sans plaisanter.

— Être en état de grâce, c’est être en état de réconciliation avec Dieu, ça demande de passer par la confession, par un prêtre. Je peux te filer des adresses. Mais cela ne suffit pas car il faut avant tout regretter ses péchés, c’est ce que nous appelons la parfaite contrition. Tu as vu ma chaussure? Les jansénistes la recherchent plus que tout, c’est la plus dure à obtenir mais elle donne la grâce directement, sans prêtre ni confessionnal. Ce matin on en est assez loin.

— Compliqué, le pardon!

— Pour les catholiques “classiques”, pour recevoir le pardon des péchés il faut regretter sincèrement, se confesser, avec acte de contrition et acte de pénitence, réparer le tort qu’on a fait.

— Pour les jansénistes, c’est plus simple? Tu crois qu’il faut que je dise tout à Pénélope?

— Là où le péché abonde, la Grâce surabonde.

— Maxime janséniste?

— Non, Wandrille, de Martin Luther.

— Et alors, comment se lave-t-on de ses fautes, chez vous?

— Pour les jansénistes, l’homme ne peut pas avoir le regret parfait de ses péchés car il demeure concupiscent…

— Ça, Léone…

— Il doit donc faire des exercices pour gagner le pardon.

— Des pompes? Des abdos? Des chapelets?

— Les prêtres jansénistes refusaient de donner l’absolution, même en confession, sans contrition parfaite.

— Des coriaces. Je crois que je préfère renoncer. Je ne lui dirai rien. De toute manière, ni toi, ni moi n’avons envie de commencer une histoire d’amour. C’est ça qui nous rend moins coupables, enfin moi…

— Je dois te signaler qu’il y a aussi la contrition imparfaite, plus courante. Elle est aiguisée par la peur du châtiment, de la punition, la honte, la culpabilité… mais elle pousse à la confession, pas au mensonge par omission. Fais ce que tu veux, je n’ai pas de conseils à te donner.

— Donne-moi ton absolution, toi!

— En échange de ta contrition imparfaite? Je te bénis et je garde ta chemise. Va en paix retrouver ta Pénélope, tu vas être en retard.»

Cela devait arriver. Le bolide rouge coquelicot est tombé en panne la veille. Un châtiment céleste par anticipation. Trop beau, trop frime, trop rouge, prédestiné à la batterie à plat. Wandrille est fataliste. Il a demandé au chauffeur du gouvernement de trouver des pinces crocodiles. Il a déjeuné rapidement, seul face à sa conscience, debout devant son réfrigérateur.

À la gare du RER, à la station Invalides, il faut passer son temps à indiquer la direction de la tour Eiffel. Perdu dans la foule des touristes, Wandrille comprend qu’il se trouve au point nodal du tourisme nationaclass="underline" s’y rejoignent ceux qui vont voir Versailles et ceux qui vont à la Tour.

Pénélope arrive.

«Tu m’attends depuis longtemps? C’est gentil! Tu as encore semé ta protection du GPHP? Tu vas te faire…

— Assassiner? Pour toi? Dis-moi où nous allons.

— Aujourd’hui samedi, je ne travaille pas! Pas de Versailles, changement de cap. Tu veux comprendre ce que nous avons vu dans le pavillon de l’ancienne herboristerie? J’ai trouvé deux livres sur le sujet. Je sais tout. Je vais te faire découvrir, à côté du métro Place-Monge, une des plus jolies églises de Paris, et qui porte un beau nom: Saint-Médard.»

Wandrille, un peu blême, se souvient de Sourlaizeaux et fronce le sourcil. Il aurait dû, depuis longtemps, parler de Saint-Médard à Pénélope, lui dire qu’il sait lui aussi ce qui s’est passé dans ce cimetière au XVIIIe siècle.

9.

«De par le Roi, défense à Dieu de faire miracle en ce lieu»

Paris, samedi 11 décembre 1999

L’église Saint-Médard ne cache rien de son histoire. La «pelle à tarte» en métal posée devant la façade par les services municipaux commence par signaler la construction de l’église à la fin de la Renaissance. En préparant le concours des conservateurs avec Léopoldine, sa meilleure amie, Pénélope avait entrepris de recopier une à une toutes les pelles à tarte de Paris. Elles en oubliaient de visiter les monuments. Faire tenir l’histoire d’un lieu en huit lignes, excellent exercice. On gagnait beaucoup de temps pour les révisions.

Ici, le résumé évoque surtout le XVIIIe siècle: «Au cimetière de Saint-Médard, sur la tombe du diacre Pâris, des miracles se produisirent et des scènes de convulsions. L’archevêque de Paris en fit interdire l’accès. Un écriteau populaire fut posé sur la porte: De par le Roi, défense à Dieu de faire miracle en ce lieu

«Le plus fou, dit Wandrille, c’est que Dieu a obéi.» Au bord de Saint-Médard se trouve un square où jouent des enfants emmitouflés, pas de cimetière. Le panneau à côté de la porte métallique fournit d’autres détails. Wandrille lit à haute voix: «Le cimetière, déplacé en 1691, se trouvait au niveau du chevet de l’église. Les fameuses convulsions eurent lieu là de 1727 à 1732, date à laquelle le cimetière fut fermé. Le tombeau du diacre Pâris sur lequel les miracles s’étaient produits et qui servait de scène aux convulsions a aujourd’hui disparu. À sa place, a été construite au début du XXe siècle l’actuelle chapelle des catéchismes.»

Au fond du square, en effet, un massif de pierre se dresse.

«La chapelle des catéchismes, ça? Les enfants auraient peur! Ces pierres grises, alors que l’église est si mignonne… Tu me parles de ce diacre Pâris depuis tout à l’heure, je ne sais même pas qui c’était. Un type devenu janséniste sous Louis XV?

— Un théologien de premier ordre, Wandrille. Il n’avait jamais voulu être ordonné prêtre, par humilité. Il s’occupait d’enseigner aux clercs. On disait que c’était un saint.

— La date est écrite: 1901. On croirait un tombeau, un mastaba égyptien. Cette énorme croix au-dessus de la porte, cette sorte de clocher. Ce n’est pas une chapelle, c’est une autre église. Une église sépulcrale. Et il n’est pas difficile de deviner quels cultes on y célébrait… Du genre de celui de l’autre nuit.

— Tu as lu l’inscription, sur la façade. La référence est indiquée dans la pierre, Évangile selon saint Jean, livre XI, verset 28. “La Vérité nous rendra libres.” Tu crois qu’ils veulent nous dire que nous approchons de la solution, de la vérité?

— Péné, cette phrase-là ne s’applique pas à une chapelle pour les enfants! La porte est fermée.

— On progresse, nous, vers la vérité. Tu m’as l’air troublé. Elle te plonge dans l’affliction, cette chapelle?

— Tu sais, cette chapelle, je ne l’avais pas bien vue parce qu’elle est greffée à l’église, mais je la connais déjà.

— Tu es venu ici?

— Elle est comme la table de Waddesdon. Elle existe ailleurs.