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Louis-Basile sortit de la chambre du Roi, puis dans la cour. Plus personne ne le regardait. Ce jour-là, il avait été un de ces nombreux porteurs de placets et autres quémandeurs qui se pressaient sur le passage du Roi. Il n’espérait pas s’en sortir si bien. Il avait vu le plus aimable des souverains. Sa Majesté lirait La Vérité des miracles. Le cardinal ministre le ferait sans doute appeler. Le royaume de France, tombé dans la peine et dans le péché, redeviendrait le royaume de Dieu, celui de Clovis et de Saint Louis. Le territoire de la Vérité.

Le soir même, Louis-Basile Carré de Montgeron dormait à la Bastille.

2.

Toccata et fugue

Ville de Versailles, samedi 18 décembre 1999, 8 h 30

Une petite tache blanche sur l’oreille droite. Pénélope a tout de suite reconnu le chat. Elle l’a vu de loin, en se promenant, le matin, du côté de la pièce d’eau des Suisses. Avant de monter au bureau, chaque jour, elle a pris l’habitude, pour ne pas se laisser étrangler par le stress, d’explorer son nouveau domaine. D’un côté les deux volées des Cent Marches qui mènent au château, encadrant l’immense orangerie, de l’autre la statue équestre, chef-d’œuvre du Bernin qui avait déplu au Roi. Sur le côté, longeant le mur du potager, un peu avant d’arriver à la grille, qui est une vraie grille du XVIIIe restée en place, elle a vu le chat.

Elle a d’abord fait comme si elle ne s’intéressait pas à lui, puis elle l’a appelé doucement. Depuis qu’elle est petite, elle a un don avec les chats. Celui-ci est venu à elle et il a vu qu’il avait juste la bonne taille pour entrer dans son sac. Pénélope est remontée, le long de la route déserte à cette heure, vers la cathédrale.

À côté de la cathédrale se trouve le carré des plus vieilles boutiques de Versailles. De petits bâtiments à un étage, aux toits d’ardoise qui ressemblent aux baraques de fortune qui entouraient le château sous les rois. Aujourd’hui, dans le carré Saint-Louis, certaines se sont efforcées de devenir des banques et même un commissariat de police, mais l’esprit de l’Ancien Régime est toujours là. Presque en face du commissariat, au café Mansart, Péné s’installe en posant son sac à main ouvert devant elle, pour prendre un bon petit déjeuner avec ce chat perdu, témoin numéro un.

S’il pouvait lui raconter comment il s’est retrouvé, de nuit, au pavillon de l’ancienne herboristerie, s’il pouvait lui miauler les noms de ceux qui y étaient, la raison pour laquelle il y avait Barbara, lui dire les noms des hommes qu’elle n’a vus que de dos à travers la croisée, si par hasard il a entendu dans son oreille féline parler d’une Léone, s’il sait quel rapport il y a entre les jansénistes et les meubles du XVIIIe siècle, surtout ce qu’il faisait là, perdu, sans marque, sans collier, dans la zone la moins visitée du parc.

Au café, deux personnes lisent le journal. Le titre est bien trouvé: «Meurtres dans un jardin français», au pluriel, avec les photos de la Chinoise et de Thierry Grangé. Pour le premier crime, étouffer le fait divers avait été facile, pour la mort de l’architecte en chef chargé du domaine, il avait bien fallu faire un communiqué. Les deux affaires sont liées par une seule coïncidence: le lieu des «macabres découvertes», comme dit le Journal des Yvelines, et par le malheureux témoin qui a eu la malchance de ne pas changer ses horaires de sport, et que la police vient d’entendre à nouveau, Barbara Grant. Sur le corps de Grangé aucune marque, pas de membre coupé, l’exécution a été plus sommaire, un coup sur la tête et ensuite de l’eau glacée. On l’enterre demain, il avait une femme et deux enfants. Pénélope se demande si elle doit assister à cela. Elle a horreur des inhumations, et comme, en plus, elle ne l’aimait pas… Tous les gens du château, conservateurs, jardiniers, architectes bien sûr, surveillants et conférenciers y seront, c’est sûr…

«Toccata! Madame, vous l’avez trouvé?»

Pénélope, avec stupeur, regarde cette jeune fille blonde — qu’elle a vue se déshabiller dans la nuit et dont Farid lui a glissé le prénom: Esther, la fille de Médard.

La jeune fille a peut-être dix-huit ans, le regard égaré, Farid dit qu’elle a une petite case de vide depuis sa naissance, elle a surtout dû subir depuis quelques traumatismes.

«Que puis-je faire pour vous? demande Pénélope. Vous prenez quoi, le matin?

— J’ai quitté notre appartement. Je ne veux plus revoir mon père. Toccata s’était échappé, je l’ai suivi, j’ai vu le journal. Ils vont me tuer la prochaine fois, je suis sûre.

— Vous êtes étudiante? Vous travaillez?

— J’étais dans une maison, il y a trois ans mon père m’a retirée et je suis avec lui à Saint-Quentin.

— Une maison?

— Une maison pour jeunes déficients. Mais je ne suis pas débile. Je veux travailler. Je vous ai vue à la fête des gens du cinéma, vous êtes la nouvelle. Vous, au moins, vous n’avez rien à voir avec ces histoires.

— Quelles histoires?

— Les cérémonies.

— Vous allez venir avec moi, vous allez raconter ça au commissariat. Ensuite, si vous voulez habiter chez moi quelque temps, j’ai de la place.»

Pénélope possède au moins quatre chambres d’amis, dont une garnie d’un lit de camp laissé par son prédécesseur.

«Votre père a cherché à vous faire du mal?

— Non. Jamais. Les signes que la Chinoise avait sur le corps, j’ai eu presque les mêmes la dernière fois. Ça s’est effacé, sans cicatrices. Je ne veux pas qu’ils finissent par me tuer avec les bûches et les épées.

— Et l’autre victime, l’architecte, vous le connaissiez?

— De vue, au château, il n’a jamais été dans les cérémonies.

— Vous avez souvent des “cérémonies”?

— Chaque année, pour le 23 novembre, on fait ça la nuit, dans le parc. Vous connaissez le bosquet de la Colonnade. Cette année, ils ont changé le lieu au dernier moment. Et puis il y a des réunions chez les uns ou les autres, sans prévenir. Là, ça va être Noël. C’est pour ça que j’ai peur. Ils vont me tuer. Je serai la troisième.

— Qu’est-ce qui est prévu pour Noël?

— On fait des prières dehors, dans le vent, à Port-Royal-des-Champs. Puis, il y a une quinzaine de personnes qui restent, dans un des bâtiments, pour une cérémonie. Vous avez dit que vous vouliez bien venir avec moi à la police?»

3.

Sous les toits

Ville de Versailles, hôtel de la rue des Réservoirs, dimanche 19 décembre 1999, minuit

«Tu crois qu’il était ici le lit de la Pompadour, Péné?

— Tu entends la pluie sur les ardoises, Wandrille?

— J’aime passer la nuit dans une alcôve.

— La Pompadour n’a pas connu cette pièce, mon étage a été ajouté au XIXe siècle. Le fronton avec les armoiries de la favorite a dû être fait à ce moment-là. Mes belles boiseries, c’est du style “Louis XVI d’hôtel”. Pas d’entretien pendant un siècle, ça a du charme.

— Le jour où tu me montreras ici quelque chose qui a vraiment l’air de ce que c’est, je trouverai ça louche! Ici, tout est en vieillissement accéléré! Tu as vu l’état de mes Tod’s? Versailles, c’est une ruine, commente Wandrille gravement, pour les pompes.

— Vaucanson nous a commandé à tous des bottes Aigle, pour nous inciter à aller plus dans les jardins, pour que nous nous sentions conservateurs de tout le domaine, a-t-il dit. Tu imagines Simone Rapière en bottes?