Выбрать главу

«Le diacre Pâris a eu le pouvoir de guérir?

— Après sa mort, Pénélope. C’était un grand saint. Il a été thaumaturge, comme les rois de France qui touchaient les écrouelles au jour de leur sacre.

— À Reims, c’était truqué.

— Alors que sur la tombe de Pâris, à Saint-Médard, on a recueilli des centaines de témoignages de guérison. Le diacre avait annoncé le Paradis. Son Paradis, comme celui de la Bible, était un jardin.

— Comme le jardin de Port-Royal.

— Et comme notre jardin secret. Notre potager. Notre cimetière. À Versailles.

— Vous voyez un mobile, une raison pour qu’on assassine? demande Pénélope à l’instant où elle ferme la porte du bureau.

— Nous avons de l’argent, dont une part seulement est utilisée pour les besoins de notre association, répond Bonlarron en sortant un livre de poche de ses étagères. Le reste est un magot dormant.

— Personne ne parle de cela. Un trésor janséniste?

— Je ne sais pas grand-chose de cette somme, elle n’est rien sans doute en comparaison de la fortune d’un M. Lu. Voltaire nous a bien servis. Il a protégé le secret. Il s’est moqué de nous dans son Dictionnaire philosophique. Son propre frère avait été un fidèle de Saint-Médard, ce qu’il se garde bien de dire.»

Armand Arouet, frère du philosophe, ne lui ressemblait pas. Il était très riche et soutenait les convulsionnaires. De méchantes langues ecclésiastiques au XIXe siècle ont même prétendu que Voltaire s’y était mêlé un moment, en cachette, non par antijésuitisme, mais pour tenter de devenir le légataire universel de son aîné. C’était avant que Voltaire n’écrive à Benoît XIV afin de lui demander des médailles bénies, pour contrer ceux qui disaient qu’il n’était qu’un mécréant et ne pourrait entrer à l’Académie française. Ces railleries de Voltaire, explique Bonlarron, ont protégé les jansénistes. On a pris les convulsionnaires pour une troupe d’illuminés sans grande influence. Face à une Pénélope qui murmure qu’elle ne se souvient plus très bien de ces pages de Voltaire, Bonlarron ouvre le livre qu’il tient en main, le Dictionnaire philosophique, et commence à lire à haute voix l’article «Convulsions»: «Les jansénistes, pour mieux prouver que jamais Jésus-Christ n’avait pu prendre l’habit de jésuite, remplirent Paris de convulsions, et attirèrent le monde à leur préau. Le conseiller au Parlement Carré de Montgeron alla présenter au Roi un recueil in -4° de tous ces miracles, attestés par mille témoins. Il fut mis, comme de raison, dans un château, où l’on tâcha de rétablir son cerveau par le régime; mais la vérité l’emporte toujours sur les persécutions: les miracles se perpétuèrent trente ans de suite, sans discontinuer. On faisait venir chez soi sœur Rose, sœur Illuminée, sœur Promise, sœur Confite: elles se faisaient fouetter, sans qu’il y parût le lendemain; on leur donnait des coups de bûche sur leur estomac bien cuirassé, bien rembourré, sans leur faire de mal; on les couchait devant un grand feu, le visage frotté de pommade, sans qu’elles brûlassent; enfin, comme tous les arts se perfectionnent, on a fini par leur enfoncer des épées dans les chairs, et par les crucifier.»

«Et le trésor?

— Il n’en dit rien, Pénélope, il est prudent, il se demande peut-être si son propre frère n’est pas l’argentier secret du mouvement. Il connaît l’existence de ce que nous appelons “la cassette à Perrette”. On la nomme ainsi à cause de la servante qui avait la confiance de notre grand théologien Pierre Nicole. C’est la caisse noire des jansénistes depuis le XVIIe siècle. Elle a servi à acheter bien des complicités, à financer un journal, Les Nouvelles ecclésiastiques, très subversif malgré son titre. Au XIXe siècle encore, elle était pleine. La Fontaine s’en est souvenu, c’est paraît-il le vrai sens caché de la fable du pot au lait.

— Qui en bénéficiait?

— Des hommes politiques, des écrivains. Vous savez pourquoi Sainte-Beuve, qui aurait pu être un des grands romanciers du XIXe siècle, a consacré vingt ans de sa vie à écrire une histoire de Port-Royal? On l’a installé à Lausanne, on l’a couvert d’or, c’est simple.

— À Lausanne?

— Oui, le banquier qui gérait la cassette à Perrette était alors un Suisse, riche comme Rothschild…

— Ne me dites pas qu’il s’appelait…

— Balder. C’est celui qui a acheté et fait restaurer le château de Sourlaizeaux. À l’époque de Sainte-Beuve, le jansénisme était redevenu austère dans son apparence. Fini les habits rouges des parlementaires, les dentelles des protecteurs des convulsionnaires, on revint aux costumes noirs des portraits peints par Philippe de Champaigne. Parmi tous les habits noirs du XIXe nous avons tenu notre rang: face aux protestants et aux républicains, et aux maîtres de forges, et plus tard face aux maîtres d’école de la Troisième, les hussards noirs de la République! Nous avons compté nous aussi, avec plus de discrétion, et plus de moyens. Les jansénistes du XIXe siècle ont été très riches, personne n’a écrit leur histoire.

— Et aujourd’hui, il y a encore quelque chose dans la cassette? en Suisse? chez les héritiers de Balder? Vous les connaissez bien.

— Ce n’est pas clair. Peut-être.»

Wandrille frappe à la porte, un bouquet de roses multicolores à la main, il entre sans attendre. Bonlarron l’accueille avec un sourire las.

«Vanessa, au secrétariat, m’a dit que je ne pouvais pas vous déranger…

— Elle n’a pas fait barrage de son corps? J’aime vous voir comme chez vous à la conservation, Wandrille, vous mettez un peu de vie à cet étage. Je suis éreinté! Pénélope m’aide à y voir plus clair et à préparer ma défense. Je suis aujourd’hui témoin, et demain sans doute, je serai le premier suspect.

— Il faut reprendre les choses dans l’ordre. Tout a commencé avec une table sanglante, juste après cet article dans lequel vous parliez des meubles que l’Angleterre doit nous rendre. On a voulu vous discréditer. Vous nous avez parlé de ce disciple de Pierre Verlet, qui avait voulu être conservateur et que vous avez évincé autrefois, c’est par lui qu’il faut commencer.

— Wandrille, je vous ai déjà dit qu’il était au-dessus de tout soupçon.