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L’écho des bruits de pas revient en boomerang dans la chapelle du Sacré-Cœur. C’est la pièce du puzzle qui manquait à Pénélope. Quand on entre dans l’église, on ne la voit pas. Il faut pousser de lourdes portes, tout au fond, pour la trouver. Pénélope pense en la découvrant à la «chapelle des catéchismes» de l’église Saint-Médard, cachée elle aussi. Ici, l’architecture n’est pas celle que le visiteur attend pour une chapelle, elle se greffe sur l’église, au-dessus du chœur, une auréole sur la tête du Crucifié. En apparence, elle ne sert à rien, là. Son architecture ressemble beaucoup, avec un diamètre moins important, à la colonnade édifiée par Mansart — un bosquet avec un toit et des murs, devenu sacré. C’est une salle ronde à piliers, le lieu de réunion des religieuses et des solitaires — la matérialisation en pierre de la clairière de Port-Royal-des-Champs. Elle n’est pas de Mansart, mais on pourrait le croire. Une plaque dit qu’on la doit à M. Louis Pinart, curé, et que la construction remonte aux années 1860. Sur le plan que Péné a vu à la Mazarine, elle est déjà tracée, au XVIIIe siècle, dans ce projet inouï de Versailles janséniste. Quand on regarde ensemble la ville, le château et le parc, la chapelle ronde de l’église Notre-Dame constitue une sorte de pendant, côté ville, de la Colonnade, côté jardin.

Pénélope s’assied dans le chœur, sur une banquette tapissée de velours bleu roi, du même modèle que celles qui ornent, au château, les salles Louis-Philippe du musée de l’Histoire de France. La banquette grince. Péné se recueille, réfléchit. Esther lui a laissé un message, griffonné maladroitement, sur la table de la cuisine, pour lui dire qu’elle viendrait prier là, ce matin, et qu’il ne fallait pas s’inquiéter. Pénélope, bien sûr, s’inquiète. Elle ne voit Esther nulle part, cette enfant si fragile qui pense être devenue une grande fille et qui a dénoncé son père à la police. Ce pauvre vieux Médard, si cultivé, si original, qui, si ça se trouve, n’est pour rien dans tout cela. Pénélope est allée directement à la chapelle du Sacré-Cœur, pensant que la petite s’y trouverait. Ne la voyant pas, elle entreprend de faire le tour de la nef.

Dans une des chapelles, un haut retable frappe son regard. Pénélope regarde le carteclass="underline" un tableau de Jean Restout, peintre janséniste du XVIIIe siècle, le digne successeur de Philippe de Champaigne qui, sous Louis XIV, avait peint ces inoubliables religieuses en habits blancs frappés de la croix rouge sang. Première chapelle à gauche de l’entrée: un monument funéraire. C’est celui de La Quintinie, le créateur du potager.

L’église Notre-Dame de Versailles n’est pas seulement la rivale de la cathédrale Saint-Louis, elle a tous les caractères d’un sanctuaire crypto-janséniste. Sa façade, construite dans ce style neutre international qu’on appelle «style jésuite», est parfaite, pour masquer sa vraie nature, de même le «Sacré-Cœur» à qui la chapelle ronde est dédiée officiellement, n’a rien à voir avec les écrits jansénistes.

Le chat est entré dans l’église. Petite tache à l’oreille, c’est lui: Pénélope, tout de suite, cherche des yeux Esther. L’homme qui la serre dans ses bras ne la voit pas: c’est son père. Ils sont dans l’ombre du confessionnal, dans la chapelle suivante. Un conte de Noël, enfin, il était temps!

«À peine arrivée dans le sérail, vous en comprenez les détours, mademoiselle Breuil.

— Vous, vous venez ici, Médard, pour…

— C’est ici, dans cette église, que nous marquons les circonstances les plus importantes de la vie de notre famille. Je savais que ma fille viendrait m’y attendre après avoir lu, dans le journal de ce matin, l’annonce de ma sortie. Elle m’a avoué qu’elle avait douté de moi, je lui ai accordé mon pardon. Ensuite, elle se confessera à un des prêtres qui nous comprennent.»

Médard a été relâché. Sa ronde du matin est un alibi parfait: il l’a accomplie à l’heure même où, selon le légiste, a été tuée la Chinoise. Farid, qui lui a donné la clef, a inscrit l’heure de départ sur son registre. Edmond était présent et a confirmé. Il faudrait les soupçonner tous les trois s’il y avait eu une «erreur». Médard accomplit le même circuit depuis des années. Ses empreintes, fraîches, étaient bien sur toutes les clenches de porte sur le parcours qu’il affirme avoir suivi. La police a refait le tour en chronométrant. Les enquêteurs sont arrivés dans le Cabinet doré à l’heure qu’il a dite. Or, le meurtre ne semble pas avoir été perpétré dans les appartements royaux, aucune trace de sang, ni de violence, n’a été détectée.

Le crime a été commis ailleurs, pendant que Médard commençait sa ronde. Le doigt sanglant a été apporté deux minutes avant qu’il n’entre dans la pièce. Ce ne pouvait pas être lui. Pénélope n’a jamais cru Médard coupable. Elle est heureuse de le voir retrouver sa fille. Dans cette enquête, la police n’arrive à rien. Le parc aux abords de Latone a été fouillé, mais personne n’a pu établir exactement où la Chinoise avait été tuée. Aucune arme du crime n’a été trouvée. Personne ne comprend comment ce doigt s’est retrouvé dans un meuble que les Ingelfingen venaient de descendre des combles. Pénélope a réussi à placer ceux-ci et Zoran sous la protection de son président. Jusqu’à quand? La police va tout de même vouloir comprendre ce qui est arrivé à cette petite table, et il faudra inventer un bobard. Leur dire que tout cela était prémédité en vue d’organiser une intervention d’art contemporain, dont les conservateurs de la maison n’avaient pas été avertis. Ça passera.

Esther, d’un coup, se fige:

«Cet homme, je ne veux pas le voir. Il était toujours là. C’est lui qui tue, je sais que c’est lui qui tue!

— Tais-toi. Tu recommences à délirer!»

Esther a désigné un vieil homme qui, dans une des chapelles de l’autre bas-côté, vient de s’agenouiller. Pénélope le reconnaît au moment où Médard chuchote son nom à son oreille:

«Le vieux marquis de Croixmarc. On le connaît depuis toujours. Il vient ici tous les matins. Esther, tais-toi, il n’a jamais fait de mal à personne. Il a juste un peu perdu la boule. Il s’égare dans son parc, sa femme l’occupe, il passe lui-même la tondeuse pendant des semaines entières. Quand il était jeune, c’était un champion d’aviron. Esther, tu veux bien te calmer. On va sortir.

— Moi, dit Pénélope, je veux lui parler.

— Il est peu aimable. Je vous attends, nous vous attendons, dehors. Esther m’a dit que vous aviez été si gentille avec elle pendant mon… mon absence.»

Devant ce vieil homme en oraison, la crèche, au lendemain de Noël, est en grand désordre. Les enfants qui y ont apporté des fleurs pendant la veillée ont fait un beau carnage, une tempête en miniature où les bergers et les saints personnages disparaissent sous les tiges et les feuilles.

Mêmes cheveux roux que sa fille, coupe militaire, l’homme se relève par réflexe quand on entend qu’on lui parle.

«Bonjour, monsieur. Je suis une amie de Léone, j’aimerais avoir de ses nouvelles, je m’inquiète pour elle…

— Laissez-moi, ayez pitié d’un mourant. Ne me parlez pas. Priez.»

Il l’a fixée de ses yeux verts. Il s’est assis ensuite, visage fermé. Pénélope est sortie sur la pointe des pieds. Elle pense à Wandrille, qui est parti tôt ce matin, sans la réveiller. Depuis, il est injoignable.

Dehors, Médard a d’abord voulu réciter tout haut quelques vers de Racine, une tirade d’Iphigénie. Ne vous déplaise, il est monté vers le château, avec sa fille qu’il tenait par la main, en chantant La Javanaise.