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On croyait Robert maté. C’était mal le connaître. Il baissa légèrement la tête, offrant aux rayons du soleil qui perçaient les vitraux ses cheveux de cuivre, coiffés en rouleaux sur sa large nuque. Son ombre s’étendait sur les dalles, comme une menace, jusqu’aux pieds du comte de Poitiers.

— Les volontés du roi Philippe, reprit-il, ne contenaient rien au sujet des filles royales, ni qu’elles eussent à renoncer à leurs droits, ni que la décision fût remise à l’assemblée des pairs.

Un frémissement d’approbation agita aussitôt les rangs des seigneurs de Bourgogne et de Champagne, et le duc Eudes lui-même, sur l’estrade, s’écria :

— Voilà qui est bien dit, mon cousin, et c’est tout juste ce que j’allais clamer moi-même !

Blanche de Bretagne, à nouveau, lança autour d’elle ses petits regards pétillants. Le connétable commençait à s’agiter sur son siège. On l’entendait grommeler, et ceux qui le connaissaient bien prévoyaient un éclat.

— Depuis quand, reprit le jeune duc en se levant, cette novelleté a-t-elle été introduite dans nos coutumes ? Depuis hier, je pense ! Depuis quand les filles, si les fils viennent à manquer, devraient-elles être privées des possessions et couronnes de leur père ?

Le connétable à son tour se dressa.

— Depuis le temps, messire duc, dit-il avec une lenteur calculée, que certaine fille ne donne plus au royaume la garantie d’être bien née de ce père dont on veut la faire hériter. Sachez enfin ce qui se dit par le monde, et que notre cousin Valois nous a lui-même souvent répété en Conseil étroit. La France est trop beau et trop grand pays, messire duc, pour que l’on puisse, sans que les pairs en aient délibéré, remettre la couronne à une princesse dont on ne sait si elle est fille de roi ou fille d’écuyer.

L’assemblée fit silence. Eudes de Bourgogne était devenu blanc. On crut qu’il allait se lancer contre Gaucher de Châtillon qui attendait, ramassé dans sa force de vieil homme de guerre. Mais ce fut vers Charles de Valois que la colère du Bourguignon dévia.

— Ainsi, mon cousin, s’écria-t-il, vous qui avez choisi d’unir votre fils aîné à une autre de mes sœurs, vous vous employez donc à honnir celle-là qui est morte ?

— Eh, mon compère ! dit Valois, pour ce qui est de se honnir, votre sœur Marguerite… que Dieu lui pardonne ses péchés… n’a pas eu besoin de mon aide !

Et, plus bas, il ajouta à l’adresse de Gaucher de Châtillon :

— Quel besoin aviez-vous de m’aller mettre en cause !

— Et vous, mon frère par le mariage, continuait Eudes en désignant Philippe de Valois, approuvez-vous aussi les vilenies que j’entends ?

Philippe de Valois, empêtré de sa grande taille et cherchant vainement des yeux le conseil de son père, souleva les bras d’un geste d’impuissance, et se contenta de dire :

— Il faut avouer, mon frère, que le scandale était gros !

L’assistance commençait de bourdonner. Du fond de la salle venaient des bruits de disputes, certains seigneurs tenant pour la bâtardise de Jeanne, et d’autres pour la légitimité. Charles de La Marche, mal à l’aise, pâle, baissait la tête, comme chaque fois qu’il était question de cette misérable affaire. « Marguerite est morte ; Louis est mort, se disait-il ; mais ma femme Blanche est toujours vivante et moi je continue de porter au front mon déshonneur. »

À ce moment, le comte de Clermont, auquel personne n’accordait plus attention, donna des signes d’agitation :

— Je vous défie, messires, je vous défie tous ! cria-t-il soudain.

— Plus tard, mon père, plus tard, nous irons en tournoi, dit Louis de Bourbon d’une voix qui se voulait tranquille et naturelle.

Et en même temps il invitait du geste les deux gigantesques écuyers à se tenir prêts, pour le cas où il faudrait ceinturer le dément.

Robert d’Artois contemplait, enchanté de soi, le tumulte qu’il avait provoqué.

Le duc de Bourgogne lançait à Charles de Valois :

— Certes je souhaite que Dieu pardonne à Marguerite ses péchés, si elle en a commis ; mais je souhaite moins qu’il pardonne à ses assassins !

— Ce sont mensonges que vous avez écoutés, Eudes, répliquait Valois, et vous savez bien que votre sœur n’est morte de rien d’autre que de honte et de remords en sa prison.

Maintenant que le comte de Valois et le duc de Bourgogne étaient bien profondément brouillés, sans chance aucune qu’ils unissent leurs causes avant longtemps, Philippe de Poitiers étendit les mains dans un geste d’apaisement.

Mais Eudes ne voulait pas la paix, bien au contraire.

— J’ai assez ce jour d’hui, mon cousin, entendu outrager la Bourgogne, dit-il. J’oppose refus à vous reconnaître pour régent, et j’affirme et maintiens devant tous les droits de ma nièce Jeanne.

Puis, faisant signe aux seigneurs bourguignons de le suivre, il quitta la salle.

— Messeigneurs, Messires, dit le comte de Poitiers, voici tout justement ce que nos légistes s’étaient efforcés d’éviter en remettant au Conseil des Pairs de décider plus tard, s’il y a lieu, de la question des filles. Car si la reine Clémence donne un mâle au royaume, toute cette querelle est sans objet.

Robert d’Artois était toujours devant l’estrade, les poings aux hanches.

— Je retiens ceci de votre règlement, mon cousin, s’écria-t-il, que désormais, en coutume de France, le droit à succéder est contesté aux femmes. Je demande donc que me soit retourné mon comté d’Artois qui fut indûment remis à ma tante Mahaut. Et tant que vous ne m’aurez point fait justice sur ce point, je ne saurai paraître à votre Conseil.

Là-dessus il se dirigea lui aussi vers la sortie, suivi de sa mère qui trottinait, fière de lui et fière d’elle.

La comtesse Mahaut éleva les mains d’un geste qui exprimait : « Là ! Je l’avais bien dit ! »

Avant de franchir la porte, Robert, passant derrière le comte de Clermont, lui souffla méchamment à l’oreille :

— Aux lances, cousin, aux lances !

— Coupez cordes ! Hurlez bataille[12] ! cria Clermont en se dressant.

— Porc malfaisant, le diable t’étripe ! lança Louis de Bourbon à Robert.

Puis à son père :

— Restez encore avec nous. Les trompettes n’ont point sonné.

— Ah ! Elles n’ont point sonné ? Eh bien ! Qu’elles sonnent ! Il se fait tard, dit Clermont.

Il attendait, l’œil vide, les bras écartés.

Bourbon se dirigea, claudiquant, vers le comte de Poitiers et le pria, à voix basse, de hâter le cérémonial. Philippe approuva de la tête.

Bourbon retourna au malade, lui prit la main en disant :

— L’hommage, mon père ; l’hommage à présent.

— Ah ! Certes, l’hommage.

Le boiteux conduisant le dément, ils traversèrent l’estrade.

— Messeigneurs, dit Louis de Bourbon, voici mon père, le plus ancien du sang de Saint Louis, qui approuve le règlement en tous points, reconnaît messire Philippe comme régent et lui jure fidélité.

— Oui, messires, oui… dit Robert de Clermont.

Philippe trembla de ce que son grand-oncle allait bien pouvoir ajouter. « Il va m’appeler Madame et me demander mon écharpe. »

Mais Clermont continuait d’une voix forte :

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12

Cris réglementaires qui marquaient le début du tournoi.