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— Oncle Spinello ! s’écria Guccio Baglioni qui marchait derrière le pontife.

— Ah ! Vous êtes l’oncle ! J’aime bien votre neveu, mon fils, dit Duèze au gros homme agenouillé en lui faisant signe de se relever. Il m’a fidèlement servi, et je veux le garder auprès de moi. Embrassez-le, embrassez-le !

Le capitaine général des Lombards se redressa, et Guccio l’étreignit.

— J’ai tout racheté, comme tu me l’avais dit et à six pour dix, souffla Tolomei dans l’oreille de Guccio, pendant que Duèze bénissait la foule. Ce pape nous doit maintenant quelques milliers de livres. Beau travail, mon garçon. Tu es le vrai neveu de mon sang.

Quelqu’un, derrière eux, faisait aussi longue figure que les cardinaux ; c’était le seigneur Boccace, principal voyageur des Bardi.

— Ah ! Tu étais donc à l’intérieur, mécréant, dit-il à Guccio. Si j’avais su cela, je n’aurais jamais vendu les créances.

— Et Marie ? Où est Marie ? demanda anxieusement Guccio à son oncle.

— Ta Marie se porte bien. Elle est aussi belle que tu as de malice, et si le petit Lombard qui lui enfle le ventre tient de vous deux, il fera son chemin dans le monde. Mais va vite, va, mon garçon ! Tu vois bien que le Saint-Père t’appelle.

III

LES DETTES DU CRIME

Le régent Philippe tenait essentiellement à assister au sacre du pape afin de se poser en protecteur de la chrétienté.

— L’élection de Duèze m’a coûté assez de peine et de soucis, disait-il. Il est bien juste qu’il m’aide à présent à assurer mon gouvernement. Je veux être à Lyon pour son couronnement.

Mais les nouvelles d’Artois ne laissaient pas d’être inquiétantes. Robert avait pris sans difficulté Arras, Avesnes, Thérouanne, et continuait de conquérir le pays. À Paris, Charles de Valois l’appuyait en sous-main.

Fidèle à son habituelle tactique d’encerclement, le régent commença par travailler sur les régions limitrophes de l’Artois, afin d’éviter l’extension de la révolte. Aux barons de Picardie, il écrivit pour leur rappeler leurs liens de fidélité à la couronne de France, leur faisant entendre courtoisement qu’il ne tolérerait aucun manquement à leur devoir ; un contingent de troupes et de sergents d’armes fut réparti dans les prévôtés pour surveiller la contrée. Aux Flamands, qui se gaussaient encore, au bout d’un an écoulé, de la misérable chevauchée du Hutin perdant son armée dans la boue, Philippe proposa un nouveau traité de paix à des conditions fort avantageuses pour eux.

— Dans ce gâchis qu’on nous laisse à débrouiller, il faut bien perdre un peu pour sauver le tout, expliqua le régent à ses conseillers.

Bien que son gendre, Jean de Fiennes, fût l’un des premiers lieutenants de Robert, le comte de Flandre, sentant qu’il n’aurait jamais si bonne occasion de traiter, consentit aux pourparlers et demeura donc neutre dans les affaires du comté voisin.

Philippe avait ainsi pratiquement fermé les portes de l’Artois. Il envoya alors Gaucher de Châtillon négocier directement avec les chefs des révoltés et les assurer des bonnes intentions de la comtesse Mahaut.

— Entendez-moi bien, Gaucher ; vous ne devez point prendre langue avec Robert, recommanda-t-il au connétable, car ce serait lui reconnaître les droits qu’il réclame. Nous continuons de le tenir déchu de l’Artois, ainsi que mon père en a rendu jugement. Vous allez seulement pour régler le conflit qui oppose la comtesse à ses vassaux, et dans lequel Robert, à nos yeux, n’entre pour mie.

— En vérité, Monseigneur, dit le connétable, vous voulez faire triompher en tout votre belle-mère ?

— Non point, Gaucher ; non point si elle a abusé de ses droits, ainsi que je le crois. Elle est fort empérière, la dame Mahaut, et elle juge tout un chacun né exprès pour la servir jusqu’au dernier liard de bourse et la dernière goutte de sueur ! Je veux la paix, poursuivit le régent, et pour cela qu’il soit rendu équitablement à chacun. Nous savons que la bourgeoisie des villes reste favorable à la comtesse parce que cette bourgeoisie est toujours en chamaille avec la noblesse, tandis que les nobles ont épousé la cause de Robert afin d’appuyer leurs griefs. Voyez donc quelles requêtes sont fondées et tâchez à y satisfaire sans porter atteinte aux prérogatives de la couronne ; ainsi efforcez-vous de détacher les barons de notre turbulent cousin, en leur montrant qu’ils peuvent obtenir de nous, par justice, davantage que de lui, par violence.

— Vous êtes prud’homme, Monseigneur, vous êtes prud’homme assurément, dit le connétable. Je ne pensais pas qu’il me serait donné en mes vieilles années de servir avec tant d’agrément un prince si sage, et qui n’a pas le tiers de mon âge.

Dans le même temps, le régent faisait prier le pape, par le comte de Forez, de retarder un peu son couronnement. Jean XXII, quelque hâte légitime qu’il eût de voir son élection consacrée, accepta fort complaisamment un délai de deux semaines.

Mais, au bout de deux semaines écoulées, les affaires d’Artois étant encore bien loin de leur règlement et l’accord avec les Flamands ne se pouvant ratifier avant le 1er septembre, Philippe demanda, par le dauphin de Viennois cette fois, un nouveau recul de la cérémonie. Or Jean XXII, à la surprise du régent, se montra soudain très ferme et presque brutal, en fixant irrévocablement au 5 septembre son couronnement.

Il tenait à cette date pour de puissantes raisons qu’il gardait secrètes et qui échappaient d’ailleurs au jugement commun. En effet, c’était un 5 septembre, en l’an 1300, qu’il avait été sacré évêque de Fréjus ; c’était dans la première semaine de septembre 1309 que son protecteur, le roi Robert de Naples, avait été couronné ; et si un faux en écriture royale lui avait permis d’obtenir le siège épiscopal d’Avignon, c’était le 4 septembre 1310 que sa manœuvre avait réussi.

Le nouveau pape avait un bon commerce avec les astres, et savait se servir des conjonctions solaires pour régler les étapes de son ascension.

« Si Monseigneur le régent de France et de Navarre, que tant nous aimons, fit-il répondre, se trouve empêché par les devoirs du royaume d’être à nos côtés en ce jour solennel, nous en souffrirons beaucoup ; mais alors, n’ayant plus à craindre de lui faire faire trop long chemin, nous irons coiffer la tiare en la ville d’Avignon. »

Philippe de Poitiers signa le traité avec les Flamands dans la matinée du 1er septembre. Le 5 à l’aube, il arrivait à Lyon accompagné des comtes de Valois et de La Marche, qu’il ne voulait pas laisser à Paris hors de sa surveillance, ainsi que de Louis d’Évreux.

— Vous nous avez fait marcher à un train de chevaucheur, mon neveu, lui dit Valois en mettant pied à terre.

Ils n’eurent que le temps de revêtir les vêtements spécialement préparés pour la cérémonie et qu’avait commandés l’argentier Geoffroy de Fleury. Le régent portait une robe ouverte, d’étoffe fleur de pêcher, doublée de deux cent vingt-six ventres de menu-vair. Charles de Valois, Louis d’Évreux, Charles de La Marche, ainsi que Philippe de Valois qui était aussi de la fête, avaient reçu chacun, en présent, une robe de camocas pareillement fourrée.

Lyon, tout pavoisé, grouillait d’une foule innombrable venue pour assister au défilé.