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La porte en était ouverte. Elle était circulaire, épaisse, énorme, présentait sa face interne avec ses pistons rentrés, ses écrous géants, son compteur électrique de blocage. Les deux charnières permettant de la manœuvrer étaient elles aussi à rendre cardiaque. Du compact. Du solide. De l’inattaquable.

L’alvéole femelle chargée de recevoir la porte était haute de deux mètres. Aucun homme n’avait besoin de se pencher pour la franchir et atterrir dans la chambre proprement dite où s’étageaient au fond, à droite et à gauche, les coffrets d’acier des clients. Elle offrait quatre saignées à diamètre décroissant, et la porte usinée aussi en ce sens s’imbriquait en elle, à 1/100 de millimètre près, dans un ajustage extraordinairement étanche. La deuxième saignée en partant du fond était creusée de huit trous où s’enfonçaient électriquement les pistons mâles, une fois la porte close.

Et ce n’était pas tout. Même ouverte, l’alvéole restait infranchissable. Une grille d’épais barreaux, scellée à l’intérieur de la chambre, et tombant juste à ras de l’alvéole, condamnait l’entrée menant aux coffrets des clients.

— Ouf ! murmura l’Oranais. Ça va pas être du sucre, hein ?

Une lueur d’orgueil passa dans l’œil de Steve Ryan.

— C’est bien pour ça que j’ai monté cette affaire… Parce qu’elle est duraille. Et que personne n’a jamais eu l’estomac de s’y attaquer. Moi, si.

Il rectifia devant le visage soudain assombri de Bob qu’il fallait ménager.

— Nous, si.

Les deux autres n’avaient pas bronché. L’Oranais parce que non susceptible, Sam parce que froid comme glace de tempérament. Steve abattit sa main sur le dépliant.

— On pourra jamais l’avoir de face. M’man est de mon avis. Jour et nuit pendant des mois j’ai tout calculé avec elle au fur et à mesure que Bob m’apportait des renseignements. Au début, et vous le savez, j’avais envisagé un braquage. Je sais que Jean préférait ça, mais c’est pas possible d’opérer en plein jour. Il y a trop de flics dans la rue, trop de signaux d’alarme, trop de monde. On ferait pas dix mètres qu’on serait tous emballés ou transformés en passoires.

— Tu veux donc opérer de nuit ?

C’était Sam qui venait de questionner de sa voix sans timbre. Tous le contemplèrent. Il parlait rarement. Il se tenait, cravaté, veste boutonnée, digne, le buste droit comme pour ne pas perdre un centimètre de sa courte taille. Ses mains, grassouillettes et blanches comme celles qu’on accorde aux prélats, étaient posées devant lui, l’une sur l’autre. Son œil mort fixait Steve et ses cheveux d’un blond filasse, presque aussi incolores que son regard, luisaient de brillantine, séparés par une raie de milieu.

Mal à l’aise comme toujours devant le regard de Sam, Steve détourna le sien.

— Oui, répliqua-t-il. Mais pas de l’intérieur. De l’extérieur. De l’intérieur c’est pas possible non plus. L’os est trop dur à avaler. On n’est pas outillés pour en venir à bout.

Il jeta les yeux sur une feuille, poursuivit ?

— Rien que la porte fait un mètre d’épaisseur d’acier et pèse 24 tonnes. Aucun procédé connu, à part l’explosif, ne pourrait la faire péter. Et bien sûr, il n’est pas question d’explosif. On doit opérer sans bruit pour réussir. De toute façon il en faudrait trop, le building sauterait et nous avec.

Il allongea la main vers le paquet de Marlboro que l’Oranais venait de sortir, en prit une, l’alluma, reprit sous l’œil attentif de Bob qui, selon son habitude, se rongeait les ongles.

— Et même si on savait comment la réduire, on pourrait pas l’approcher. Des systèmes d’alerte ultra-perfectionnés empêchent de le faire.

— Mais puisqu’à présent on sait comment neutraliser les signaux ! s’étonna l’Oranais.

— Une partie des signaux, corrigea Steve. Seulement une partie. Ceux qui ont un rapport direct avec le SAFE, oui. Mais pour ce qui est des portes qui y conduisent, des murs, des escaliers, des portes intérieures donnant sur le Hall des ascenseurs, et des portes de verre donnant sur la rue, non. Là ce sont d’autres systèmes qui sont reliés aux postes de police de la 47e Rue et aux bureaux de l’agence Holmès.

Sam bougea imperceptiblement.

— Le père de Bob n’a pu le rencarder là-dessus ?

Tous le regardèrent puis se détournèrent. Sauf Jean Baez qui lui souriait gentiment. Bob cessa un instant de se ronger les ongles :

— Non, mais le vieux m’a expliqué que, pour ces signaux, personne savait de quel point on pouvait les neutraliser. Ça regarde les flics en priorité. Holmès, la compagnie où travaille mon vieux, a la priorité, elle, sur le SAFE qu’elle contrôle. C’est pourquoi j’ai ce tuyau mais pas l’autre.

D’un battement de cils, Sam fit savoir qu’il comprenait et Steve reprit son exposé.

— C’est pourquoi on va attaquer le SAFE de l’extérieur. C’est notre seule chance de réussir. J’y ai beaucoup réfléchi, faites-moi confiance. On arrivera à l’approcher sans déclencher ces bon Dieu de sonneries.

— Par où ? s’intéressa l’Oranais.

Steve poussa un croquis qu’il avait tracé de sa main.

— Par ici.

Son doigt était piqué sur un petit quadrillage rectangulaire décorant une feuille où se lisait un plan de rues, d’immeubles et de plaques d’égout.

— Ce que vous voyez est une niche bétonnée de 6 mètres de profondeur sur 1 de large et 3 de longueur. C’est au fond de cette niche que se trouvent les câbles du transformateur alimentant le quartier en force motrice.

Steve déplaça son doigt :

— Et comme vous le voyez, elle est juste sur le trottoir à ras du 38 de la 47e Rue. Autrement dit, elle touche notre SAFE, ou presque d’après mes plans.

Il jeta son mégot dans une tasse vide, se leva, se mit à arpenter la pièce.

— En descendant au fond et en creusant du côté du building, on doit déboucher automatiquement sur l’enveloppe bétonné protégeant le SAFE.

Bob abandonna un instant ses ongles sales.

— Car ce que vous a pas encore dit Steve, c’est que le SAFE est entouré sur tous ses côtés et même sur son toit de 3 mètres de béton armé.

— Merde, jura l’Oranais. Mais alors, on va jamais pouvoir y arriver !

— Si, le rassura Steve. Par en dessous on l’aura. Car le SAFE repose en sa plus grande partie sur une portion du roc de Manhattan, et en sa plus petite, sur du béton armé. Mais à cet endroit il est moins épais qu’ailleurs.

— 1,50 m seulement d’après mon père, confirma Bob.

— Pourquoi ils n’ont pas coulé plus de béton à cet endroit ? s’informa Sam de sa voix dénuée de chaleur humaine.

— Parce que le roc les rassure et qu’ils n’ont pas pu faire autrement, je suppose. Et qu’ils ont également pensé que jamais personne pourrait réussir à déboucher sous la chambre forte.

Un rire sans gaieté le secoua. Il reprit :

— Tous les fabricants et les entrepreneurs ont la même faiblesse. Dans un coffre, dans une chambre forte, ils soignent le toit, les côtés et la porte. Enfin tout ce qui risque de tomber sous l’œil. Mais ils prêtent moins d’intérêt au fond, puisqu’ils savent qu’il adhère au sol, ce qui fait qu’ils le croient mieux protégé.

Un second rire l’agita.

— On pourrait dire que c’est psychologique.

L’Oranais qui jouait rêveusement avec ses Marlboro releva le front.

— Et tu crois qu’on débouchera vraiment dessous ? Qu’on va pas se gourer ?

— D’après mes prévisions et les tuyaux de Bob, oui, renvoya Steve. Ah ! bien sûr si j’avais un plan sur les sous-sols avoisinant le 38 ça nous arrangerait drôlement. Mais hélas, y en a pas.