Выбрать главу

Il éclata d’un rire bref.

— Je vois d’ici la gueule des flics après le casse. Ils vont nager. Ils auront beau fouiller partout, alerter leurs indics, nous on sera peinards. Moi en Amérique du Sud avec ma femme en train de pondre un roman avant de revenir ici. Vous autres, là où vous aurez envie, là où vous serez bien.

— Et qui va fourguer la camelote ? lança l’Oranais matérialiste.

— M’man s’en occupe, expliqua Steve. Elle seule a les relations pour ça. Je crois qu’elle va traiter avec des gens du Canada. Vous frappez pas, tout sera paré en temps voulu. Maintenant si vous voulez on va se séparer. Jean et moi, on va filer jusqu’au 38 jeter un coup d’œil. Ça vous va ?

Tous se levèrent. Sam proposa :

— Encore un coup de jus avant de partir ?

Steve refusa.

— Non, mais appelle M’man qu’on lui dise au revoir.

Sam se retourna en direction de la cuisine.

— M’man ! Les gars s’en vont.

La grosse femme apparut. Un cigarillo était coincé entre ses belles dents, fausses bien sûr, et elle tenait un crayon à la main.

— Alors, les enfants, ça a marché ? s’intéressa-t-elle. C’est pour bientôt ?

— On espère, M’man, répondit Steve. On fait tout pour ça. De votre côté, je pense que vous vous démenez aussi ?

— Oui, oui, rassura la grosse femme qui se nettoyait l’oreille de son crayon. J’ai déjà pas mal de propositions. Et aussitôt que vous serez prêts, je ferai venir les gens de Montréal.

— On vous fait confiance, M’man, renvoya Steve en allant vers Sam qui lui présentait son feutre et son manteau. Allez, bonsoir.

La grosse femme agita son crayon où adhérait un peu de cérumen.

— Bonsoir, les enfants. Prenez pas froid.

Sam referma sur les hommes, revint vers sa mère.

— Je crois que ça va gazer, M’man. Ça se présente plutôt bien. Quoique avec cette histoire de transfo, ça semble un peu duraille. Mais on y arrivera tout de même. J’ai confiance.

M’man téta son cigarillo.

— C’est toujours les choses qui paraissent les plus risquées, celles que les autres n’osent pas entreprendre, qui aboutissent. Malgré que ce maudit SAFE soit drôlement protégé, ce que des hommes ont créé, d’autres peuvent le défaire. Y a rien d’impossible. Moi aussi, j’ai confiance.

Elle ôta son cigarillo, bâilla, lâcha un nuage de fumée qui dissimula ses yeux globuleux.

— Il est temps que j’aille au lit. T’y vas pas, toi ?

Il secoua la tête, tout en rangeant les papiers dans la serviette de cuir.

— Non, il n’est que 3 heures, et il y a un film à la télé qui se déroule dans un cirque. Je veux pas louper ça.

Au mot cirque, une lueur presque humaine avait animé ses yeux morts.

— C’est bon, dit M’man. Amuse-toi et bonsoir.

Il lui présenta son front qu’elle embrassa avant de gagner sa chambre surchauffée, bourrée de boîtes de chocolats et de poupées de toutes tailles.

Aussitôt Sam alluma la T.V., chercha la 9e chaîne.

Peu après sur l’écran une piste de cirque commença à se découper. Sam poussa un léger gloussement de joie. Il éteignit partout, ôta son veston, s’allongea sur un canapé d’angle. Le bonheur faisait luire ses yeux pâles.

C’était sa joie au petit Sam, le cirque. Sa vraie joie. Il y allait très souvent avec sa mère, il n’y a que là qu’il se déridait. Il raffolait des dompteurs, des fauves, des acrobates, des jongleurs, mais surtout des clowns. Ah ! les clowns… eux seuls savaient le faire rire. Eux seuls et M’man trouvaient le chemin de son cœur. Il ne buvait pas, ne fumait pas. Quant aux femmes… en dépit de ses 28 ans… né impuissant qu’il était.

Le film était commencé et sur l’écran, enfin net, un Auguste restait le nez levé vers une mignonne acrobate aux paillettes étincelantes. Et l’Auguste mimait les gestes de la fille, d’une manière gauche, ridicule, pendant qu’elle jouait avec la mort.

Un rire clair monta du canapé. Un rire sans contrainte, un rire tout pur comme celui d’un enfant.

* * *

La Chevrolet remontait Broadway dans un ronronnement monotone d’essuie-glace. À côté de Jean Baez qui pilotait en sifflotant, Steve semblait perdu dans ses pensées. Parfois une phrase lui échappait, toujours la même.

— Je leur montrerai, à ces salauds ! Je leur montrerai…

Chaque fois qu’il parlait ainsi, l’Oranais lui décochait un coup d’œil amusé. Lui n’était pas miné par ce genre de haine et d’orgueil. Pour lui tout était simple. Il y avait des risques, de l’aventure et un tas de pognon à récolter dans l’affaire. De la mort aussi, peut-être. Et tout cela lui bottait. Il conduisait décontracté, pianotant le volant de sa main où le pouce manquait. Comme ils parvenaient au croisement de Broadway et de la 6e Avenue ou Avenue O.F. America, Steve parut sortir de ses rêveries haineuses.

— Remonte la 6e, dit-il, puis vire à la 46e Rue. On laissera la bagnole là. Et on fera le tour à pied. O. K. ?

— O. K., bonhomme, renvoya l’Oranais en freinant devant un feu rouge.

Aussi loin que portait la vue, ce n’étaient que des feux rouges qui semblaient suspendus dans la nuit floconneuse où ils mettaient comme des boules de sang.

Peu après avoir redémarré, Jean Baez s’immobilisa dans la 46e Rue, au cul d’une camionnette jaune. À proximité la barricade d’un chantier cachait l’hôtel Wentworth.

Les deux hommes descendirent et se dirigèrent vers la 5e Avenue, parallèle à la 6e.

Il y avait des voitures garées dans la rue, mais pas tellement. De toute façon, à 8 heures du matin, il faudrait qu’elles dégagent les lieux, et cela jusqu’à 7 heures du soir. Rapport au sens unique, tous les capots regardaient vers la 5e Avenue. Quand ils débouchèrent dans celle-ci les deux hommes tournèrent à gauche, puis, une fois le block dépassé, ils bifurquèrent, toujours à gauche, dans la 47e Rue, également à sens unique, mais du sens opposé à la 46e Rue. Ce qui faisait qu’une voiture pouvait tourner cent fois autour du block comme sur un carrousel, si les feux de croisement l’y autorisaient.

Il y avait aussi de la voiture dans la 47e Rue, mais pas plus que dans l’autre. Et pas plus que dans l’autre il n’y avait de passants. Il est vrai qu’il était tard. L’endroit était désert, peu éclairé. Beaucoup de vitrines, beaucoup de portes demeuraient dans l’ombre. Mais derrière les verres épais, on distinguait des centaines d’écrins vidés de leurs bagues, de leurs colliers, de leurs bracelets. Dans le jour c’était pour des milliards et des milliards de pierreries, de diamants, de perles, de topazes, d’émeraudes et de rubis qui s’offraient aux regards excités des gens. Mais la nuit toutes ces colossales fortunes dormaient enfouies loin sous terre, à l’abri de chambres fortes blindées que gardait la Cie de Sécurité Holmès.

C’était là, dans toute cette rue, dans ce block compris entre la 5e et la 6e Avenue, que se tenait le plus grand marché de joaillerie de New York et du monde.

Les deux hommes descendaient lentement le trottoir de droite, le côté impair. Les flocons, un peu plus denses par instants, venaient s’écraser mollement sur leurs visages rougis de froid. Une Camel dansa dans la bouche de Steve lorsqu’il constata :

— À cette heure, c’est un peu moins animé que dans la journée. Et moins risqué. Le jour, d’après le père de Bob, y a une trentaine de poulets de tout poil qui se baladent autour du block. Même des F.B.I. qui viennent voir si y a pas une frime de leur connaissance à cravater.