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Il buta dans une caisse jetée là, faillit tomber, jura, poursuivit :

— Dans le fond, avec un hold-up on pouvait pas échapper. J’aime mieux le casse. C’est plus sûr.

— Mais plus long, remarqua son compagnon, qui était pour les gestes vifs et les décisions promptes. Moi, un braquage, ça m’aurait botté.

— Moi aussi, mais à condition de pouvoir se tailler après. Or, ici… dans le jour… Avec tous ces flics et tous ces passants… toutes ces sonneries…

— Évidemment, soupira Jean Baez. Et c’est dommage. Enfin n’en parlons plus. Tiens ! on est devant le 38.

De l’autre côté, au-dessus d’une large et haute porte de verre, se lisait dans l’ombre en lettres énormes, à côté du nombre 38, FIFTH AVENUE JEWELLERS EXCHANGE.

— Traversons, fit Steve, après avoir balayé la rue d’un regard rapide.

Ils avaient commencé à le faire, quand Steve lâcha vivement, sans tourner la tête :

— T’arrête pas. Continuons.

Dans leur dos, débouchant de la 5e Avenue, une grosse Plymouth verte s’amenait lentement en rasant les voitures immobilisées. Sur son toit peint en blanc, un clignotant rouge fonctionnait doucement. À l’arrière une courte antenne dépassait, et sur ses flancs se lisait en lettres énormes : CITY OF NEW YORK, POLICE № 16. Sans bruit, elle doubla les deux équipiers qui marchaient en parlant haut. Deux paires d’yeux expérimentés, méfiants et durs, les jaugèrent au passage. Puis le clignotant coupa la 6e Avenue et s’enfonça au loin.

Sans se consulter les deux hommes revinrent sur leurs pas et stoppèrent devant le 38.

— Tu vois, c’est là, dit Steve, désignant sur le trottoir une sorte de grille aux barreaux très rapprochés, et que fermait un solide cadenas. C’est là le transfo en question.

Il fit jaillir la lueur d’une lampe électrique au bout de son poing. Se baissant, et en voilant l’éclat de sa paume gauche, il en balafra le fond du transfo. L'Oranais se baissa à son tour. Six mètres plus bas, au-delà d’une seconde grille de protection, mais celle-ci à mailles fines, on distinguait une multitude de mégots, de bouts d’allumettes, de tickets et de petits papiers déchirés. Et sur un côté, d’énormes câbles qui se perdaient dans un robuste coffret de fer. Steve reprit en éteignant sa lampe :

— T’as vu ? Eh bien, nous découperons le bas de la paroi droite au chalumeau et on arrivera à faire une trouée descendante jusqu’au-dessous du SAFE.

L’Oranais balaya la rue d’un œil vif.

— Va falloir étayer et ça va prendre du temps.

— Peut-être pas tant que ça. Deux, trois nuits, pas plus. Le principal est qu’on laisse pas de trace en partant, pour que personne puisse rien frimer dans le jour. À ça, on y veillera.

— Et pour les gravats ?

L’Oranais s’était redressé. Steve l’imita.

— Oh ! c’est simple. Sam restera au ras du trottoir, dans une fourgonnette que Bob a déjà fauchée et dont les numéros sont changés. Tu seras avec lui. Vous guetterez sans être vus. Bob et moi on sera en bas, et à mesure qu’on creusera on emplira des sacs vides. Quand y en aura plusieurs de prêts, disons toutes les deux heures, on éteindra notre lampe et on écartera la toile qui nous planquait. Alors toi tu relèveras vite un côté de la grille et tu remonteras les sacs que tu passeras à Sam. Ça prendra à peine quelques minutes.

— T’as pas le trac d’attirer l’attention ?

— Pas à cette époque de l’année. Surtout en pleine nuit. N’oublie pas que tout le block est composé de locaux commerciaux. Donc, inhabité ou presque. On a juste à faire gaffe aux rondes de flics et à celles des privés de chez Holmès. Mais avant d’opérer, on va passer deux nuits dans notre camionnette et noter les horaires des rondes.

L’Oranais qui regardait machinalement vers le 33 dont l’auvent de toile, enjambant le trottoir, indiquait : Del Pezzo, restaurant — s’inquiéta encore :

— J’ai peur que vous tombiez sur du roc ou du béton armé et que ça vous oblige à faire trop de barouf.

— Non, non, rassura Steve. On fera ça en silence, te casse pas la tête. Pour le béton, pas de problème, comme je te disais chez Sam. Quant au roc, on l’évitera. Et puis à six, sept mètres, presque sûr qu’on va tomber sur les grosses canalisations de vidange. En général elles sont entourées de madriers et de terre friable, et possible qu’on trouve des espèces de niches où on pourra entasser une partie de nos gravats. T’as dû voir ce genre de madriers et de canalisations quand ils défoncent les rues pour mettre à jour des câbles ou des conduites d’eau ou de vidange, non ?

— Sûr que j’ai repéré ça ! opina l’Oranais. Avoue que votre sous-sol est drôlement foutu ! Quand une canalisation pète, vous êtes obligés de défoncer la rue pour la réparer. Ah ! c’est pas comme à Paname ! Là-bas avec leurs égouts…

Pensif, il ajouta d’un ton de regret :

— S’il y en avait ici, ça serait du sucre, pour opérer. On n’aurait pas besoin de passer tout ce temps installés en pleine rue.

— Hélas ! soupira Steve. Et pourtant comme tu dis ce sont pas les plaques qui manquent…

Debout au bord du trottoir, il montrait en direction de la 6e Avenue la chaussée noire que la neige molle saupoudrait par endroits de taches blanchâtres. Sur 40 mètres à peine se distinguaient assez bien une douzaine de plaques rondes de tailles différentes. Certaines occupaient le centre de la rue, d’autres touchaient les trottoirs. Il y en avait même une au ras du 38. Toutes semblaient avoir été posées ou plutôt jetées comme par hasard sans aucun discernement.

L’Oranais descendit sur la chaussée, tapota du pied celle rasant le 38.

— Et là-dessous qu’est-ce qu’il y a ?

— Des branchements téléphoniques d’après le père de Bob, renseigna Steve. Et pas la peine d’y penser. Ça descend pas assez profond pour qu’on puisse s’en servir. Rien ne vaut le transfo. Allez, viens, maintenant, ça suffit pour cette nuit.

Jean Baez emboîta le pas à son compagnon qui repartait vers la 6e Avenue.

En bout de rue, juste avant les feux du carrefour, il y avait encore deux autres plaques. L’une bien au milieu de la chaussée, l’autre sur la gauche près du métro de la 47e Rue. De ces deux plaques s’élevaient des jets de vapeur[19] qui tentaient d’escalader le ciel. Selon le vent, elles grimpaient tout droit, dans un jet mince, ou dans de lourdes spirales qui s’en allaient frôler les façades des buildings.

C’était curieux de voir des colonnes jaillir, de jour comme de nuit, du sol new yorkais. La nuit, surtout dans la brume ou la pluie, l’effet était saisissant ; il faisait automatiquement songer à des histoires de fantômes, de violences et de morts.

Seuls les pas des deux hommes résonnaient dans la rue silencieuse. Puis soudainement une voiture arriva dans leur dos. Sans bruit. Elle les doubla lentement, stoppa plus loin. Un homme en civil en descendit. Il alla à la porte de verre d’un building, y braqua une lampe, vérifia le système de fermeture. Trois fois il répéta le même geste au hasard de sa ronde, avant de regrimper dans la bagnole qui l’avait suivi au pas.

— Ceux de Holmès, murmura Steve, en tournant dans la 6e Avenue.

Peu après ils retrouvaient la Chevrolet dans la 46e Rue.

— Faudra minuter soigneusement leur ronde, commenta Steve en s’asseyant. La leur et celle des flics.

— On le fera, renvoya l’Oranais en démarrant.

Steve se cala contre le dossier.

— J’ai pas envie de dormir. Ramène-moi au Métropole, tu veux ? Et repars par la 47e Rue puisque c’est presque ton chemin. Après ça qu’est-ce que tu fais ? Tu rentres ?

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19

La ville de New York chauffe à la vapeur et à ces frais d’anciens buildings. Amenée par des conduits, une petite partie de vapeur réussit à déboucher à l’air libre, en s’infiltrant par des plaques d’égout.