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Et c’était bien ce qu’il faisait, le Norvégien. Il se reposait. Mais pour le compte. Pour une sieste perpétuelle.

À ses pieds, dont on distinguait la semelle gauche, se tenait un cop en uniforme sombre. Il avait l’index droit levé comme pour avertir le photographe qu’il pouvait opérer.

Louis se sentit pâlir. Sous les sparadraps, sa peau le tira. Ainsi ils avaient eu Hans. Ça n’avait pas traîné. Avec eux ça ne traînait jamais. Lui-même, la veille au soir, la raclée… la sauvage raclée… Et qu’est-ce qu’ils allaient lui faire maintenant ? Est-ce que comme à Hans…

Un tremblement le parcourut de haut en bas, et le froid lui gela les os. La peur, la sale peur, le gagnait, le submergeait. Le journal lui échappa, il se perdit dans ses pensées.

— Quelque chose qui cloche ? fit tout à coup une voix à ses côtés.

Le vieux releva le front sur celui qui l’avait sauvé et qui laissait glisser une robe de chambre sur le lit.

— Non, non, dit-il péniblement. Tout va bien.

Son hôte lui tendit une tasse qui sentait bon le café.

— Tenez, ça vous retapera. Je vous ai pas mis de lait, mais si vous y tenez…

Le père de Mike s’empara de la tasse d’une main mal assurée.

— Non, non, merci. J’aime autant le café noir.

— Moi aussi, fit Jean en repartant vers la cuisine. Buvez et si vous en voulez d’autre…

— Est-ce que je pourrais téléphoner ? lui lança le vieux. Je m’excuse de vous déranger mais…

L’Oranais bifurqua vers le divan. Il ramena l’appareil au pied du lit, dit, le geste large, avant de s’en aller :

— Vous êtes chez vous. Et au cas où vous voudriez vous lever un peu, vous avez une robe de chambre. Et même des chaussons. Ceux qui sont au pied du lit doivent vous aller.

Louis Coppolano but lentement, l’esprit ailleurs, tandis que de la cuisine s’élevait le sifflotement d’une marche militaire française.

Lorsqu’il eut fini, il posa sa tasse sur la moquette, empoigna l’appareil. Il fallait qu’il avertisse Frank de ce qui s’était passé. Lui seul pouvait intervenir. Sur un ordre de lui, les autres laisseraient tomber. Mieux, ils le réembaucheraient. Que Frank dirige les Nombres ou pas, s’il le voulait, tout s’aplanirait. Il n’avait qu’un mot à dire.

Louis composa le numéro du Waldorf, demanda l’appartement de son vieil ami.

Lorsqu’il s’entendit répondre « Monsieur Reggenti n’est pas encore rentré » il ressentit une douleur aiguë sous le pansement qui lui barrait le torse. Il insista nerveusement :

— Mais je suis sûr qu’il est là ! Dites-lui que son ami a besoin de lui parler ! Son vieil ami Luigi de Brownsville. Dites-lui que c’est urgent. Il viendra. Dites-lui !…

— Désolé, monsieur, lui répliqua la voix froide, impersonnelle. M. Reggenti est absent. Mais nous transmettons votre appel. Au revoir, monsieur.

On raccrocha à l’autre bout. Louis demeura, tête basse, l’écouteur à la main, enregistrant distraitement une chanson en français qui a présent lui arrivait de la cuisine. Il en connaissait le titre : « Mylord », mais ignorait les paroles. Il serra brusquement les dents car une douleur fulgurante venait de lui labourer le flanc là où des pieds l’avaient cogné. Il attendit que ça se tasse tout en réfléchissant. Et il avait beau réfléchir il ne voyait qu’une seule solution : avertir Mike. Tant pis s’il se fâchait. Et il se fâcherait en apprenant que son père avait travaillé dans les Nombres, pour cette racaille comme il appelait les truands. Mais tant pis. Lui au moins prendrait une décision, ferait tout pour le sortir de là. Il ne laisserait pas assassiner son vieux. Louis commença à composer le numéro, s’arrêta soudainement. Il ne pouvait pas. Non, il ne pouvait pas dire à Mike qu’il était devenu un truand. Mike ne voudrait pas comprendre. Et Louis tenait plus que tout à son estime et à son affection. Il replaça l’écouteur et aussi soudainement le releva. Il allait contacter Johnny Vaccario, le supplier, lui demander qu’on le laisse en paix. Johnny lui devait tout de même bien ça ! En souvenir de leur enfance perdue. Son index fit tourner le disque numéroté pendant que du fond arrivaient maintenant les cris joyeux de son hôte qui prenait une douche. Louis faisait vite, ayant peur de trop réfléchir, de ne pas oser, car c’était dur pour son orgueil de supplier Johnny. Surtout après ce qui s’était passé. Mais…

Il se racla la gorge. À l’autre bout on venait de décrocher et la voix au timbre glacé de Johnny lançait :

— Allô ?

Louis jeta vivement en sicilien :

— Allô, Johnny ? Ici Luigi, Luigi Coppolano. Il faut que tu m’écoutes. Faut que tu saches que j’ai cherché à joindre Frankie. Lui vous dira de stopper les frais. Tu sais bien qu’il me laissera pas démolir. Quand il sera au courant, il va vous dire d’arrêter. Alors je t’en prie, passe la main. Tout au moins jusqu’à ce que j’arrive à le contacter. D’accord Johnny ?

Le silence s’abattit entre eux. Un silence lourd, cruel, qui donnait à Louis envie de rendre. Tout à coup, n’en pouvant plus, il secoua frénétiquement l’appareil, hurla :

— Réponds-moi, Johnny ! Réponds-moi ! D’accord ?

Il entendit le souffle de son ancien copain. Nettement, comme s’il était tout près. Puis sa voix glacée impitoyable.

— Frankie est au courant de tout.

Et il raccrocha. Sèchement.

Louis avait reculé le visage en arrière, comme pour se protéger d’un coup. Et c’était ce qu’il venait de recevoir : un coup. Et bien plus coriace à encaisser que ceux de la veille. Cent fois plus. Ainsi même Frankie le laissait choir. Frankie son vieil ami des rues. Il replaça doucement l’écouteur. Un brouillard humide voilait ses yeux gonflés. S’arrachant un soupir, il s’assit au bord du lit, enfila la robe de chambre en grimaçant de douleur. Il allait falloir qu’il se décide. Il ne pouvait rester là. Maintenant il n’avait qu’une seule ressource, la dernière : avertir Mike, lui demander qu’il vienne le chercher. Ensuite il lui dirait la vérité. Il reprit le téléphone, juste comme son hôte apparaissait, les cheveux mouillés, une serviette autour des reins.

— Ça va, pépère ? lui lança l’Oranais. Attention de pas faire trop d’efforts, hein !

Le père de Mike le rassura d’un signe et se courba sur le téléphone qu’il avait calé sur ses genoux.

— Allô, Connie, dit-il en reconnaissant la voix de sa bru. Comment ça va, fillette ? Et Louise ? Bon, passe-moi Mike, tu veux… Quoi ? Parti ? Où ça ? À son bureau ?… Comment ?

La stupéfaction, puis le désespoir se peignirent sur ses traits. Il balbutia :

— Tu dis que Mike s’est envolé ce matin pour l’Europe ? Pour une grosse histoire de drogue ? Mais c’est pas possible ! C’est pas possible… j’ai besoin de lui, moi. Absolument besoin de lui… Tu dis ?

Il écouta, tête penchée, décomposé, assommé par la nouvelle. Enfin il bredouilla :

— Comment ? Vous m’avez cherché partout hier soir pour me prévenir ? Mais non j’étais pas à mon hôtel… Où je suis en ce moment ? Chez un ami. J’ai pas pu aller à mon travail… Quoi ? Ma voix est toute changée ?… Je parle du nez ? Non. Non je suis pas enrhumé… un léger accident… je t’expliquerai… une voiture qui m’a heurté… Mais quand Mike va-t-il rentrer ? Hein ? Tu sais pas ? Ça peut être long…

Malgré lui, il commença à se masser le genou de sa main libre, tout en murmurant.

— C’est bon, fillette… t’inquiète pas… embrasse la gosse… Oui, je passerai bientôt… Je t’embrasse aussi.