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Il allait raccrocher, mais Connie devait s’inquiéter, car il ajouta :

— Oui, oui, ça va, Connie… Fais pas attention à ma voix… À bientôt.

Il reposa l’écouteur et vite sa main gauche rejoignit la droite qui s’énervait. Et doucement il se mit à les frotter l’une contre l’autre, sous l’œil étonné de Jean Baez qui s’aspergeait de lavande.

— Qu’est-ce qu’il y a, pépère ? fit celui-ci. Ça n’a pas l’air de gazer.

Le vieux ne répondit pas. Il venait de se lever et, comme attiré par une force irrésistible, il marchait vers la salle d’eau.

— Il a dû en prendre un coup sur le timbre, songea l’Oranais en le suivant. Y manquait plus que ça dans mes relations.

De lui-même, le père de Mike trouva la salle d’eau. Il ouvrit un robinet, prit une savonnette, commença à la faire mousser. Il ne voyait plus rien, ne sentait plus rien. L’émotion, la contrariété, l’avaient replongé dans son drame passé.

L’Oranais, qui le scrutait dans la glace, repéra son air triste, la souffrance qui marquait son regard. Il proposa, son sourire envolé :

— Je peux pas vous aider, pépère ?

Mais le vieux l’ignora. Il frottait dur, pour faire disparaître le sang de son fils qu’il croyait avoir tué. Une mousse parfumée recouvrait ses mains, et il frottait toujours plus fort, dents serrées, pour chasser tout ce sang. L’Oranais ne bougeait plus. Il attendait, prêt à épauler ce type qui semblait drôlement encaisser.

Des minutes s’écoulèrent. La mousse fondit, un énorme soupir de soulagement s’évada de la poitrine de Louis Coppolano. Il laissa ses mains sous l’eau fraîche, les secoua, dit, découvrant son hôte dans la glace :

— Ça va mieux maintenant. Je m’excuse. Mais je peux rien contre cette manie… cette maladie.

Jean lui passa une serviette.

— Je peux pas vous aider ?

Le vieux écarta les bras.

— Il n’y a rien à faire. J’ai ça depuis l’accident qui a coûté la vie aux miens… ma femme et mon fils.

Son regard croisa celui de l’Oranais et il le détourna lentement.

— C’est moi qui les ai tués… j’étais au volant… saoul comme une bourrique…

L’Oranais l’étudia avec sympathie. Ainsi c’était ça. Ce vieux lui plaisait de plus en plus. Surtout qu’il ajoutait d’un ton rauque :

— Je peux pas lutter contre ça. Quand ça me prend, c’est comme si je cherchais à me débarrasser du sang de mon gars qui avait séché sur mes mains.

L’Oranais fit signe qu’il comprenait. Il allongea son bras nu aux muscles allongés de puncheur, en entoura le cou du vieux, l’entraîna vers la pièce.

— Parlons plus de ça, dit-il. Ça doit vous faire mal. Moi je me mêle jamais des histoires des autres, mais je crois que vous avez tort…

Il resserra son étreinte amicale.

— Je crois que vous avez tort de vous croire responsable. C’est le destin. Ça peut pas être de votre faute, ça.

Il le ramena jusqu’au lit, l’assit, reprit :

— Je vais vous refaire un café et appeler mon pote le toubib. Il va revoir vos pansements. Et s’il décide que vous gardiez la chambre, vous êtes chez vous ici. Maintenant, si, vous avez de la famille et que vous préférez la rejoindre, je vous emmènerai. Sinon, mon gourbi est à vous. Ça vous va ?

Son sourire était revenu. Mais il n’y avait pas, comme pour les filles, une pointe de crapulerie dedans. Il n’était qu’amitié.

— D’accord, fit le vieux que cette sympathie réchauffait. Et je vous demanderai encore un autre service : me laisser appeler mon bureau pour prévenir que je suis malade.

— Sûr ! fit l’Oranais, lui redonnant le téléphone. Sûr ! Dans quoi vous êtes ?

— À la municipalité de New York. Je dresse des plans pour les travaux qui intéressent les sous-sols de la ville. On fournit ces plans aux entrepreneurs quand y a des réparations ou des constructions à faire.

— Ah ! oui, fit l’Oranais. Vous êtes dans le dessin, en quelque sorte ?

Il était indifférent, n’avait posé la question que par politesse. Puis, subitement, il sursauta.

— Mais alors vous connaissez tous les sous-sols du patelin ?

— Non, sourit le père de Mike. Il y en a trop. Mais si je voulais, je pourrais, car nous avons évidemment tous les plans à notre disposition. Même les plus vieux. Ceux qui datent de la création de Manhattan, par exemple.

— Mais alors, vous pourriez peut-être me rendre un service ! s’écria l’Oranais. J’aimerais justement connaître les sous-sols d’une rue !

Le vieux, qui empoignait l’écouteur, releva sa tête argentée.

— Ah ! oui ? De laquelle ?

— De la 47e. Dans la partie comprise entre la 5e et la 6e Avenue.

Le vieux reposa l’écouteur.

— Le block des diamantaires, je crois ?

L’Oranais inclina son front où perlaient encore des gouttes d’eau. Le vieux s’étonna :

— Pourquoi voulez-vous connaître ces sous-sols ? Vous êtes dans une entreprise de bâtiments ?

Jean Baez secoua négativement la tête. Une goutte d’eau roula sur sa joue.

— Non. Mais ça m’intéresse tout de même.

— C’est qu’on peut pas confier ces plans sans l’accord de nos chefs, fit le vieux. Et encore il nous faut aussi une décharge signée par les entrepreneurs qui nous les réclament. Exemple, les compagnies de téléphone, d’électricité ou de chauffage.

Il amena un sourire sur sa face bosselée.

— Désolé, mais c’est impossible.

— Tant pis, lâcha l’Oranais, désinvolte. N’en parlons plus.

Puis brusquement !

— Et si on vous payait ce renseignement ?

Le vieux tressaillit, avant de répondre.

— Ça n’y changerait rien.

— Et si on vous le payait cher ? Très cher. N’importe quel prix.

Le vieux tressaillit une seconde fois. Il hésita longuement avant de lancer :

— Vous dites bien n’importe quel prix ?

— N’importe quel prix, assura l’Oranais. 1000, 2000, 10 000 dollars même. Alors ? C’est toujours non ?

Le vieux se dressa et dans son geste fit tomber le téléphone. Il allait se baisser, l’Oranais le devança. Il insista, reposant l’appareil sur le lit.

— Alors ?

Sous le sparadrap la face du vieux s’était figée. Il dit :

— Si vous proposez une telle somme pour un simple renseignement, un malheureux dessin, c’est que vos buts sont pas clairs. Je m’excuse de vous dire ça, surtout après tout ce que vous venez de faire pour moi, mais comment penser autrement ? D’autant plus que vous parlez de la 47e Rue où se trouve le block des diamantaires.

Il avança d’un pas.

— Je me trompe ?

L’Oranais lui sourit.

— Moi, je vous ai pas posé de question sur ce qui vous est arrivé cette nuit.

— C’est juste, fit le vieux. Je vous demande pardon. Et je vous demande même pardon deux fois de ne pas pouvoir vous rendre service. Maintenant faut que je parte.

Il amorça un autre pas, en commençant à dénouer sa robe de chambre, mais une faiblesse le saisit, il retomba sur le lit, dans un gémissement.

— Restez tranquille, lui ordonna l’Oranais, en l’installant un peu mieux. Je vais chercher mon toubib.

Il rafla son short au passage, l’enfila, dit avant de sortir :

— Oubliez ce que je viens de vous raconter. C’était une blague. Comme c’est une blague ce qui vous est arrivé cette nuit. Mais je maintiens ce que je vous ai dit avant : chez moi vous êtes chez vous.

Et il ouvrit la porte.