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IX

La nuit était claire. Dans la journée un beau et chaud soleil avait chassé la neige de la veille. L’hiver qui s’avançait avait perdu une manche.

Un couple enlacé s’amenait vers la fourgonnette trapue, rangée au-delà du restaurant El Pezzo. Ils étaient jeunes et pleins de vie. À la cheville, la fille portait sous son bas un bracelet d’or que lui avait offert son amoureux, ainsi que c’était la mode pour les amants de New York. D’après ce que laissait deviner le lampadaire, la fille était mignonne et ses jambes du tonnerre.

À l’intérieur de la fourgonnette, une Dodge, Jean Baez s’exclama, l’œil rivé à l’un des trous pratiqués spécialement dans la carrosserie noire.

— Ah ! ces Ricaines ! Quelles gambettes ! Dommage qu’elles s’entêtent à porter des gaines…

— Gueule pas tant, lui souffla Steve qui, lui, épiait le fond de la rue. Tu vas finir par nous faire repérer.

Tous deux étaient assis sur un matelas. À leur portée se trouvait une torche électrique, deux bouteilles thermos, et des sandwiches.

Le couple parvint à leur hauteur, inconscient de la surveillance. Ils parlaient fort. La fille était en train de repousser une proposition qui sentait la partie de jambes en l’air.

— Non, disait-elle, pas question, Bug. Plus tard, quand nous serons mariés, mais pas avant. De toute façon, il faut que je rentre, mes parents m’attendent.

— Ah ! toi et ton éducation, soupirait le Casanova. Mais qu’est-ce qu’il faut pour te convaincre ?…

Ceux de la camionnette ne sauraient jamais ce qu’il fallait pour convaincre la gosse, car elle s’éloignait dans un éclat de rire, couvée par son chevalier.

L’Oranais quitta son poste. Il rampa vers l’avant, colla son œil à un autre trou pour voir marcher la jeune fille.

— Quel galbe, sifflota-t-il. Quelle allure ! J’en ferais bien mon dimanche.

— Oui, mais on est que mardi, lui rappela Steve. Et on a du boulot. D’ailleurs…

Il n’acheva pas. Il lança un chut énergique, oublia l’Oranais. En deux reptations agiles, l’ancien des Commandos revint près de son copain.

Un gros clignotant rouge débouchant de la 5e Avenue enfilait la 4e Rue. Il semblait suspendu dans la nuit.

— Encore les cops, lâcha Steve.

Il consulta le cadran lumineux de sa montre, ajouta :

— 1 heure et demie. Ils ont l’air de passer de demi-heure en demi-heure.

Maîtresse de la rue, la Plymouth verte à toit blanc avança sur eux, dans un doux ronronnement de moteur. Ses deux occupants de leurs yeux durs balayaient les recoins, fouillaient les trous d’ombre. Sur la carrosserie, était peint en lettres énormes : CITY OF NEW YORK — POLICE — № 16. Steve attendit que la voiture les eût doublés pour remarquer :

— C’est toujours une numéro 16. Autrement dit, la Station de la 47e Rue, entre la 8e et la 9e Avenue. C’est eux qui ont l’air responsables du secteur, à ce qu’on dirait.

Il sortit un calepin de la poche de son manteau où un bouton manquait.

— Faudra faire gaffe. Leur poste est à trois blocks plus loin. En une minute, ils peuvent nous cerner et boucher la rue.

À présent, la Plymouth présentait ses feux rouges arrière, sa courte antenne, et son éternel clignotant, qui mettait une couleur chaude dans la nuit. Un moment elle sembla se fondre dans les nuages de vapeur, qui sortaient des plaques de fonte. Puis elle réapparut au-delà de la 6e Avenue, où, peu après, elle se perdit.

— Éclaire-moi, demanda Steve.

L’Oranais s’exécuta. Planquant la torche sous un chiffon, il l’actionna au-dessus du calepin que Steve annota en constatant :

— Sauf coïncidence, les flics passent toutes les demi-heures et les privés de l’Agence Holmès également. Mais à des heures différentes, ce qui fait moins notre beurre, car j’ai noté qu’Holmès était passé à 11 h 50, minuit 20, 1 heure moins 10.

Il moucheta le calepin de chiffres, précisa :

— Leurs rondes nous laissent donc un battement de 20 minutes toutes les heures pour charger les sacs. Ça devrait coller.

— Bien sûr, renchérit l’Oranais. Surtout que tu disais qu’on chargerait que toutes les deux plombes.

— Oui, approuva Steve, mais c’est pas seulement au chargement que je pense, mais au travail de percée. Il faudra nous arrêter pendant les passages. Ça nous fera paumer du temps. Enfin tant pis. On s’arrangera.

L’Oranais éteignit la lampe. Steve reprit, changeant de position :

— Ah ! si encore ton type, celui que t’as amené chez toi, avait accepté de te fournir les plans du sous-sol ! Peut-être qu’ils m’auraient donné une meilleure idée !

— Que veux-tu que j’y fasse ? Il a dit non.

— Je crois que j’aurais réussi à le convaincre, moi, regretta Steve. Car toi et la diplomatie… Et puis de lui proposer du pognon comme tu l’as fait, c’était maladroit. Et dangereux. Surtout dangereux de lui avoir parlé du block des diamantaires.

— Pourquoi ça ?

— Parce que, maintenant, un homme est au courant. Un homme qui peut te balancer s’il voit un jour sur les canards qu’un casse a eu lieu dans la 47e Rue. Il n’est pas fou. Il fera vite le rapprochement.

Dans l’ombre, l’Oranais tâtonna à la recherche d’un thermos. Puis répliqua, sincère :

— Non, le vieux s’allongera pas. J’en mets ma main au feu. N’oublie pas que je lui ai sauvé la mise.

Un ricanement troubla l’obscurité.

— Et alors ? Tu crois encore à la reconnaissance des hommes ?

— Pour le vieux, oui.

Un court instant, Steve qui changeait encore de position, présenta son profil que Jean devina dans le noir.

— Laisse-moi me marrer, dit-il. Toi et tes bons sentiments…

Puis, d’une voix rêveuse :

— Depuis que tu m’as raconté ça, je me demande si je ferais pas mieux d’affranchir Sam pour qu’il s’occupe de ce type.

Le genou de l’Oranais cogna nerveusement dans la tôle.

— Hein ? Je t’interdis bien de faire ça, Steve.

Sa voix avait claqué. Steve entendit un raclement et le faisceau brutal de la lampe lui brûla la vue.

— Mais, qu’est-ce qui te prend ? dit-il, cherchant à se protéger les yeux.

— Il y a que je veux pas qu’on touche à ce vieux, gronda l’Oranais. Fous-lui la paix. Il la bouclera, j’en réponds.

— Mais t’engages notre liberté, se rebiffa Steve. T’en as pas le droit. T’es pas seul en cause. Qui prouve que ce vieux n’ira pas trouver les poulets s’il voit qu’il y a eu un casse dans la 47e Rue. Qui peut le jurer ?

— Moi.

— Oh ! toi…

L’Oranais allongea le bras, crocheta le manteau de son copain. Il n’avait pas abandonné son sourire, mais son regard était inamical. Il jeta :

— Si tu n’as pas confiance en ma parole, si tu crois pas ton ami qui va risquer sa liberté et sa vie à tes côtés, alors, autant se séparer. Autant que je retourne à Lima. Mais un conseil…

Son poing vrilla dans le tissu du manteau.

— … N’essaie pas de m’envoyer ton petit tueur. Ce serait peut-être pas de mon goût.

Et d’un geste rude, il repoussa Steve dont le dos donna contre la tôle.

— Mais t’es dingue ! fit Steve. Qu’est-ce qui te prend encore ?

— Rien, dit l’Oranais, éteignant la lampe. Rien sinon que c’est terminé. Pas la peine que je me mouille avec un gars qu’a pas confiance en moi.

Un silence gênant s’abattit, que Steve se décida à rompre.

— Après tout, t’as peut-être raison, concéda-t-il. Et vu que le vieux ne connaît que toi, y a que toi de mouillé. Alors n’en parlons plus. O. K. ?