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Jean Baez repoussa l’excuse.

— Le principal est que vous soyez là. Vous avez le bidule ?

Le vieux eut un geste affirmatif. L’Oranais poursuivit :

— Alors on va en discuter en cassant la croûte. Si vous voulez venir…

Il entraîna son invité vers le fond, après l’avoir aidé à ôter son pardessus.

La salle baignait dans une pénombre rouge qui donnait une ambiance à la Bruant. Les murs étaient peints en ocre, ainsi que le plafond qui formait une voûte au-dessus des dîneurs déjà nombreux. Des appliques diffusaient une lumière rougeâtre sur les nappes à carreaux rouges et blancs. Des bougies rouges, en torsade, fumaient sur les tables, plantées dans des bouteilles vides de beaujolais.

L’Oranais désigna une table, celle qu’il avait retenue, située dans l’angle gauche, un peu à l’écart des autres.

— Si vous voulez vous asseoir…

Le vieux s’installa dos au mur, Jean en face de lui. En prenant place, il porta le regard sur la table proche où, solitaire, mangeait Steve Ryan. Puis il le ramena sur le vieux.

— Ainsi vous vous êtes décidé ?

— Oui, fit ce dernier. Et malgré tout ce que je vous dois, croyez bien que c’est pas de bon cœur. Mais ces 10 000 dollars sont pour moi une question de vie ou de mort. Je suis dans un piège et vous seul pouvez m’en sortir.

Il mit la main à sa poche intérieure, en ramena des feuilles pliées, enchaîna :

— C’est pourquoi j’ai ici vos renseignements. Vous avez les 10 000 dollars ?

Et vivement, devant l’air soudain gêné de son interlocuteur :

— Oh ! comme nous n’avions pas réellement fixé de prix, je suis prêt à traiter à 7000. C’est la somme dont j’ai absolument besoin. Vous pouvez me la donner ?

L’Oranais hésita, se racla la gorge, sans cesser de sourire :

— C’est que voilà. J’ai pas encore le pognon. Mais je l’aurai, ajouta-t-il, en voyant le vieux replier les feuilles. C’est une question de jours. Seulement faut que vous me fassiez confiance… que vous me donniez les plans avant.

Il laissa couler son regard sur Steve qui, hypocritement, étudiait le vieux, poursuivit :

— Ceux avec qui je marche n’ont pas de liquide en ce moment. Ça arrive, pas vrai ?

— C’est que… hésita le vieux. Sans cet argent je suis foutu. Je peux pas vous raconter pourquoi, mais sans lui je suis flambé. Et à présent, vous, vous m’annoncez que…

L’Oranais écarta les mains.

— J’y peux rien, pépère ; On n’a pas pu réunir l’oseille.

Il ne pouvait pas lui dire que même M’man n’avait pas de liquide, et qu’en plus elle se méfiait.

Le père de Mike se mordilla les lèvres avant d’avouer :

— Je sais pas comment vous refusez ça, après ce que vous avez fait pour moi. Mais si vous saviez dans quel pétrin vous me collez…

Derrière ses lunettes fumées, il fixait les feuilles qui avaient représenté son dernier espoir. Il soupira :

— Tant pis. Tant pis pour moi. Mais je peux pas faire autrement.

Et jetant les feuilles devant l’Oranais :

— Elles sont à vous. Vous me paierez si vous réussissez. Sinon… En tout cas je vous dois bien ça.

Les dents de l’Oranais étincelèrent.

— Merci, viejo. Votre geste me botte mais…

En parlant, il avait regardé Steve qui lui avait décoché un signe convenu. Donc c’est que le vieux lui plaisait. Il enchaîna en repoussant les feuilles.

— Si moi j’ai confiance en vous, et ce que vous venez de faire le prouve, les autres, ceux avec qui je marche, se la donnent. Ils disent que votre plan peut être du bidon, ou bien que, si vous êtes sincère, que ça vous intéresserait peut-être de vous mouiller avec nous.

Le vieux sursauta. L’Oranais continua :

— Ils pensent que la meilleure façon de nous protéger, c’est de vous avoir avec nous. Comme ça, ils seront sûrs que vous la bouclerez, et que votre plan est vrai.

— Mais vous êtes fou, se rebiffa le vieux. Jamais je ne voudrai…

— Même pas pour 200 000 dois ? le doucha l’Oranais.

Le chiffre fit sauter le vieux. Il murmura, assommé :

— 200 000 dollars… Vous avez bien dit…

— 200 000, précisa son vis-à-vis. C’est ce que je suis chargé de vous offrir. Et je vous garantis que moi, je vous le ferai toucher ce pognon. Alors ?

Les mains du père de Mike, comme malgré elles, commencèrent à se réunir. Jean y posa les siennes. Il dit, doucement :

— Non, pépère, non. C’est pas une mauvaise nouvelle, ça. Serrez les dents. Ça va passer. Allons, pépère, serrez les dents.

Le vieux prit sa respiration. Fortement. L’Oranais ne lui lâcha pas les mains. Il attendit.

Longtemps. Enfin le vieux put lancer, calmé :

— Qu’est-ce que je vais être obligé de faire pour toucher tout cet argent ?

— Simplement de conduire une bagnole, le rassura l’Oranais après avoir chassé de la main Raymonde qui venait aux commandes. Pas autre chose que ça.

— Ce sera vraiment tout ?

L’Oranais souleva son autre main, libérant celles du vieux qui se dénouèrent.

— Vraiment tout, pépère. C’est nous qui faisons le sale boulot. Mais bien sûr, il y a des risques aussi pour vous. Sinon on vous refilerait pas 200 000 thunes, vous devez vous en douter. D’autre part, si on en a besoin, faudra nous apporter d’autres plans des sous-sols et nous expliquer celui-là en détail.

Il tapa sur les feuilles, chercha les yeux du vieux à travers les verres fumés.

— Alors ?

Louis Coppolano détourna la tête, murmura pensivement, pour lui-même :

— 200 000 dollars… la fortune… la fin d’un tas d’emmerdements…

Un sourire éclaira le bas de son visage.

— … Une belle bagnole pour Mike, et une maison de campagne pour Connie… son rêve.

Il releva le front, passa les doigts dans sa chevelure argentée, dit :

— J’accepte. Et merci de votre confiance, car il faut en avoir pour me proposer ça.

Jean Baez lui tapota le bras.

— Mais j’ai confiance en vous, viejo ! La preuve c’est que je vais tout de suite vous présenter un des mes équipiers, et que nous allons déjà pouvoir jeter un coup d’œil sur vos papelards.

— Maintenant ? s’étonna le vieux. Un des vôtres ? Et où ça ?

— Bonsoir, dit Steve qui venait de quitter sa chaise sur un signe de Jean, et s’installait d’autorité près de Louis Coppolano.

— Raymonde ! cria l’Oranais en claquant des doigts. Une Pommery 53 ! Dis à Pierre qu’il la mette lui-même dans la marmite.

Et, du bout des doigts, il expédia un baiser à la fille qui le mangeait des yeux.

XI

Il pleuvait depuis 9 heures du soir, une pluie fine, hachurée, qui transperçait. Les lampadaires en étaient voilés par un halo, et les fumées qui s’élevaient des plaques d’égout en s’effilochant faisaient plus que jamais songer à des histoires de fantômes.

Peu de passants empruntaient la 47e Rue, dans la portion comprenant le block des Diamantaires. Ceux qui le faisaient se dépêchaient, tête dans les épaules, ignorant que sous leurs pieds, ou presque, dormaient dans les SAFE des fortunes colossales. Quelques lumières, oubliées par les équipes de nettoyage, brûlaient dans les buildings commerciaux vides depuis longtemps. Elles mettaient dans le noir rébarbatif de la rue un peu de vie, et donnaient aux rares passants le regret d’un abri bien chaud. Le building du 38, lui, était totalement plongé dans l’obscurité.

À minuit pile, le clignotant rouge d’une voiture de police émergea dans la nuit. Puis la grosse Plymouth, dont le toit ruisselait, passa lentement dans une gerbe d’eau. Elle n’avait pas encore franchi la 6e Avenue, que M’man bifurquait dans la rue. La mère du petit Sam était bottée, chapeautée, vêtue de cuir. D’un pas assez rapide pour sa masse elle gagna sa Ford, rangée non loin du restaurant El Pezzo, déjà fermé. Elle mit le contact, et attendit, l’œil sur le rétro. Pas longtemps. Même pas trois secondes. Une fourgonnette noire, anonyme d’aspect y grossissait rapidement. M’man s’assura que rien ne s’intercalait entre eux, et dégagea du trottoir.