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Bob promenait la flamme sur les lignes de craie, chauffant le ciment, mais visant à travers lui l’armature métallique. Et sous la terrible chaleur, les tiges de fer fondaient et le béton, n’étant plus maintenu, s’écroulait. C’était la meilleure et la plus rapide façon d’en venir à bout. La plus silencieuse aussi. Ce qui était primordial. La première plaque tomba, se détachant comme du beurre, exhibant les nervures du bâti de fer. Bob alluma une cigarette au bec d’acétylène, et poursuivit son travail. Dans son dos, l’Oranais empoigna le talkie-walkie qui laissait entendre un grésillement. Il écouta, puis dit :

— Oui, tout va bien, Sam. On a attaqué. Et toi ? Et le vieux ?

Il se recula pour mieux entendre, ajouta :

— Ah ! bon, il est déjà au-dessus de nous ? Ça va, je vais attendre son signe. À tout de suite, je retourne là-bas.

Il reposa l’appareil, et se mit à grimper en s’aidant des crampons de fer. Il n’eut pas à aller jusqu’en haut. Trois petits coups de talon venaient de résonner sur la plaque de fonte, faisant savoir que le vieux était là, et que tout allait bien. Donc c’était que ni bruit, ni lueurs ne parvenaient jusqu’au trottoir. Il est vrai qu’ils étaient à près de 7 mètres de profondeur… Au-dessus, le pas du vieux s’éloigna. L’Oranais redescendit.

— Je retourne chercher des bouteilles, dit-il, en remettant son masque.

Et alors qu’une autre plaque cimentée s’écroulait, il s’enfonça sous la voûte, précédé de l’éclat de sa lampe.

* * *

Mains enfoncées dans ses poches de manteau, le père de Mike remonta jusqu’à la 5e Avenue. Parvenu là il prit à droite et, peu après, il redescendait la 46e Rue. La pluie lui cinglait la face, coulait dans son cou, pourtant protégé par un foulard, mais il ne se sentait pas mal. Et il n’avait plus peur non plus. Ces gamins rapides, décidés, le rassuraient. Et il ne voulait pas s’interroger sur ce qu’il faisait là ! Il était trop tard. Le moment était venu de prendre ses responsabilités. Sans quitter le trottoir, il stoppa au pied de la Dodge, d’où une voix lui parvint.

— Tout va bien ?

— Oui, fit le vieux, sans se baisser, tranquillisé par la rue déserte. On n’entend absolument rien.

— Eh bien, vous pouvez grimper à l’arrière, conseilla la voix qui provenait de dessous la voiture.

Restez pas sous la flotte. Toutes les heures l’un de nous ira faire un tour vers le 38.

Le vieux allait monter quand la voix le stoppa.

— Non, continuez, on vient.

Le vieux repartit aussitôt et au-delà des bagnoles en stationnement il aperçut les phares d’une voiture qui s’amenait au pas. C’était une Oldsmobile bleue, celle de Holmès d’après ce qu’on lui avait raconté. Et comme il était 1 h 24 c’était sûrement les « privés ».

Ils avaient dû passer par la 47e, et revenaient par la 46e, leur ronde terminée. Probablement qu’ils regagnaient leur proche quartier général jusqu’à la ronde suivante. Ses occupants jetèrent un coup d’œil sur lui, mais ils avaient dû tourner la tête par habitude car ils ne devaient pas distinguer grand-chose, avec toute cette grisaille pluvieuse…

En voyant l’auto progresser le petit Sam se baissa calmement. S’il le faisait c’était plutôt par réflexe car il ne risquait pas d’être découvert. Il était debout dans la descente d’égout, les pieds calés sur le deuxième crampon, les mains sur le rebord de la chaussée. À son épaule pendait un talkie-walkie. En levant la tête, il pouvait deviner à travers l’ouverture du plancher le toit de la Dodge. Une odeur de cambouis chatouillait ses narines, et parfois, d’en dessous, lui parvenaient des relents d’égout.

En dépit de son sang-froid, il eut un choc en voyant les roues de l’Oldsmobile arriver à la hauteur de son regard et freiner dans une gerbe d’eau… Une portière s’ouvrit et claqua, dominant de son bruit le pas du vieux qui s’éloignait calmement.

Une voix enrouée tomba jusqu’au petit Sam.

— J’en ai pour une minute. Le temps de téléphoner à ma bourgeoise… elle avait tellement de fièvre ce soir…

Le petit Sam retint son souffle. Le ventre appuyé contre la paroi de l’égout, ses mains, dans le Burberry, allèrent chercher les P38.

Des souliers à semelles épaisses lui passèrent près du nez. Il eut l’impression, mais il devait se tromper, d’avoir senti le cuir mouillé. Puis les souliers s’éloignèrent de quelques mètres et il les vit se lever, disparaître dans une cabine téléphonique située sur l’autre trottoir.

Le petit Sam ne bougea plus. Son œil pâle ne quittait pas la cabine, enfin ce qu’il pouvait en voir.

Quelques minutes s’écoulèrent, puis le bas de la cabine se rouvrit, les souliers réapparurent. La voix enrouée troubla le silence de la rue.

— Elle dit qu’elle a une grippe carabinée et que je fasse attention de pas en récolter une aussi.

L’homme rit, d’un rire gras et lourd, ajouta :

— Par ce temps-là, c’est comme si c’était fait.

Les souliers revinrent sur le petit Sam, et de nouveau il eut l’impression de sentir le cuir mouillé. Le bruit d’une portière qu’on ouvre troubla le silence. Un soulier se leva, disparaissant de la vue du petit Sam. Puis la voix jeta après un long reniflement :

— Je trouve que ça sent drôle par ici. Jo. Pas toi ? On dirait que les égouts débordent. Pourtant il n’a pas tellement plu !

— Tu dois te gourer, répliqua une autre voix. Moi je sens rien. Allez, monte.

— On ferait peut-être bien de jeter un coup d’œil, s’entêta l’homme à la voix enrouée en ramenant son pied sur le sol. Surtout que j’ai l’idée que ça vient de tout près. Si on trouve quelque chose on affranchira le service des égouts. Je te dis que ça vient de là.

Les souliers changèrent de face, et au lieu des talons présentèrent leurs pointes. L’homme s’était retourné et commençait à se baisser, car Sam voyait ses jambes qui se pliaient en avant. Vite il prit une légère inspiration pour garder le contrôle de ses nerfs, et rapide, dégaina de la gauche ; il tirait indifféremment des deux mains.

— Mais laisse tomber ! s’emporta la deuxième voix. T'es dingue de t’occuper de ça ! On a autre chose à foutre, bon dieu ! Allez viens, quoi. Et puis moi je sens rien, je te dis !

— Bon, bon capitula à regret le possesseur des souliers. Je remonte, mais gueule pas comme ça ! Et je t’assure que ça sentait la merde.

Les pieds s’écartèrent de la Dodge, et s’élevèrent pendant que l’autre voix déclarait :

— Merde ou pas, qu’est-ce que tu veux que ça nous foute ? Allons plutôt nous jeter une bonne bière derrière le col !

La portière claqua, et les roues dans un chuintement s’éloignèrent de la vue du petit Sam. Il soupira doucement, lâcha l’air qu’il avait gardé dans ses poumons, et relogea le P38 dans le Burberry. Sa main gauche tremblait légèrement.

* * *

Jean Baez, après s’être fait raconter l’histoire par Sam, s’en revenait vers l’équipe. Courbé en avant, il essayait d’avancer vite en dépit de la bouteille de propane qu’il portait et des sacs vides qui lui ceignaient les reins. Il arrivait non loin du centre de la 47e Rue, là où il allait pouvoir se redresser et souffler un peu, lorsqu’un rat, affolé par sa venue, sauta dans un de ces trous laissés par des briques tombées. Sans ralentir, l’Oranais dirigea sur lui le faisceau de sa lampe frontale pour l’aveugler. Mais il n’eut pas le temps de passer ; le gaspard venait de lui sauter à la face. Heureusement qu’il avait son masque, sans quoi…