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— … la plaque sensible… la plaque sensible…

Tout ce qu’il pouvait dire, le mécano. Jean Baez crocheta dans son chandail.

— Et Steve ?

La main tremblante de Bob indiqua les profondeurs empuantées.

— Vient de tomber… là-bas… à quelques mètres…

D’une bourrade l’Oranais le relança vers la sortie.

— File, je te rejoins.

Et, sans se soucier ni des rats ni de la puanteur qui pénétrait par son masque mal mis, ni de la fatigue, il se rua en soulevant des tas d’excréments.

Quinze mètres plus loin, il tomba sur Steve : groggy, assis à même la boue immonde, la tête penchée, respirant mal. Lui non plus n’avait pas de masque. Non loin de là, de son trou, un rat énorme l’épiait méchamment.

— Steve ! cria Jean Baez. Remets-toi, bon Dieu !

Mais son équipier ne rouvrit pas les yeux. Il respirait et c’était tout. L’odeur, l’émotion, la fatigue, avaient eu raison de lui. L’Oranais ne perdit pas son temps. Il l’empoigna par sa canadienne et dans un ruissellement de fange, il le logea sous son bras, comme il l’aurait fait d’un paquet, d’une bouteille d’oxygène. Et donnant tout ce qu’il avait dans le ventre, il refonça vers la sortie de la 46e Rue.

Quand il émergea de la voûte, le bruit de sirènes qui semblait s’engouffrer avec plus de violence dans l’étroit réduit s’abattit sur eux. Mais Steve ne réagit pas.

L’Oranais le colla contre la paroi, aspira une longue goulée d’air après avoir balancé son masque et le gifla. Trois fois. Sauvagement. Trois aller et retour. À la vitesse d’une mitrailleuse.

— Réveille-toi, fumier ! cria-t-il. Réveille-toi salaud !

Sous les coups, Steve eut un sursaut brusque. Il ouvrit les yeux, soupira. L’Oranais le regifla de nouveau. Aussi vite. Aussi fort. Aussi vachement. Au-dessus les sirènes déchiraient toujours l’air de leur hurlement affolant.

— Mon Dieu… gémit Steve, revenant complètement à lui.

— Grimpe ! lui gueula l’Oranais. Fissa, bon Dieu !

Et le soulevant, il le catapulta vers les premiers crampons de l’échelle. Deux secondes après ils débouchaient à l’intérieur de la Dodge. Au volant le petit Sam n’avait pas bronché. Il attendait, coriace et fidèle en dépit des sirènes qui semblaient maintenant jaillir de partout. Laissant Steve s’écrouler au côté de Bob qui ne récupérait pas, l’Oranais plongea vers la porte de séparation.

— Ça y est, Sam ! Ils sont là. Et le vieux ?

Sam, tout en embrayant, tourna vers lui ses yeux sans expression.

— Pas revenu. On peut plus attendre. T’entends les poulets ?

— Mais le vieux ! cria l’Oranais. Le vieux !

Sam ne répondit pas. Il venait de dégager, et suivant un taxi, il virait à droite dans la 5e Avenue, alors que les sirènes des voitures de flics mélangeaient leurs hurlements à celles du 38 de la 47e Rue.

* * *

Le déclenchement de l’alerte avait surpris le père de Mike devant le 38. Il resta quelques instants comme paralysé. Il ne comprenait pas. Puis quand il réalisa, il remonta rapidement vers la 5e Avenue pour aller retrouver la Dodge. Mais comme il allait y parvenir, des clignotants rouges trouèrent la nuit, et, au lieu de descendre la rue, les poulets se mirent en travers dans un hurlement de freins et de sirènes. Vite le père de Mike se confondant avec l’obscurité fit demi-tour, cherchant à gagner la 6e Avenue. Les tympans crevés par le rugissement des sirènes, la frousse au ventre, il se mit à courir. Alors qu’il n’était plus qu’à une vingtaine de mètres de la 6e Avenue, des sirènes qui semblaient déchirer la nuit dans le lointain se rapprochèrent brusquement. Rasant les murs pour que ceux de la 5e Avenue ne voient pas qu’il fuyait, le vieux donna ce qu’il pouvait. Encore quelques pas et il était sauvé. Mais les sirènes ululèrent lugubrement, très près, très près et il fut forcer de s’arrêter en retenant un cri de rage ; dans une giclée d’eau et un brutal crissement de frein, une Plymouth venait de lui barrer le chemin. Et d’autres voitures suivirent à la seconde, des phares se braquèrent dans la rue, et des deux côtés les flics s’ébranlèrent arme au poing.

Une torche arriva en pleine face de Louis Coppolano qui par réflexe avait sauté dans un coin d’ombre. Des mains le palpèrent, des questions crépitèrent.

— Qui êtes-vous ?

— Qu’est-ce que vous foutez là ?

— D’où venez-vous ?

— Votre nom ?

— Votre adresse ?

— Longtemps que vous êtes ici ?

— Mais… Mais… fit faiblement le vieux, essayant de retrouver son souffle et dont les mains commençaient à se chercher.

— Ça suffit, embarquez-le ! trancha une voix. On verra plus tard. Nous autres continuons.

Des mains s’abattirent sur le vieux. Il voulut se débattre. Une matraque lui faucha les reins, une voix conseilla :

— Du calme.

Et ils l’entraînèrent vers les voitures, où une foule jaillie d’on ne savait où s’amassait.

Lorsqu’ils le poussèrent dans une bagnole le vieux risqua de s’étaler, car ses mains ne pouvaient lui servir d’appui, il les frottait l’une contre l’autre, à croire qu’il se les lavait.

* * *

Depuis que la Dodge avait quitté la 46e Rue, tous la bouclaient, sauf Bob qui se lamentait.

— … Mais comment que ça se fait… comment que ça se fait…

Sam stoppa au coin de Lexington Avenue et de la 45e Rue, là où il avait été ranger la Chevrolet. Tous descendirent, et grimpèrent dans cette dernière, abandonnant la Dodge et ce qu’il restait d’outillage ainsi que leurs bottes et les pantalons souillés.

— Ramenons Bob d’abord, jeta Steve à Jean Baez qui avait repris le volant. Puis ensuite Sam. Tous rendez-vous ce soir chez lui.

L’Oranais démarra, Steve poursuivit :

— Pour l’instant vaut mieux se séparer. À quoi bon se creuser le cigare pour savoir ce qui est arrivé.

L’Oranais lança dans le rétro à Bob, toujours prostré, assis à l’arrière à côté de Sam :

— Tes tuyaux ont crevé, mon pote. Ou ton père t’a charrié. C’était pas le bon trou où t’es descendu déconnecter les fils d’alarme… C’était un autre.

— Mais si, je t’assure, soupira Bob qui s’étreignait les mains. Seulement je pige pas. Il a dû se passer quelque chose.

— Ça, pour s’être passé quelque chose, il s’est passé quelque chose, grinça Steve. Mais ça sert à rien de pleurnicher.

L'Oranais le lorgna du coin de l’œil. Pas d’erreur, ce Steve avait de l’estomac. Et si dans l’égout il avait flanché, c’était physique. Car moralement, il était en acier. Quant au petit Sam… Il l’admirait. C’est qu’il fallait en avoir pour rester à son volant, alors que les sirènes des pieds-plats s’approchaient en hurlant. Steve et lui étaient deux vrais durs. Deux ricains coriaces et gonflés. Deux lascars un peu givrés sur les bords comme l’Oranais les aimait. Bob, lui, ce n’était pas le même tabac. Mais dans l’égout, il avait abattu du bon boulot. Et s’il calait à présent, c’était la réaction des nerfs. Autrement dit, pas de sa faute. Tout le monde ne peut pas les avoir en acier.

La Chevrolet filait dans la ville endormie, en direction de la 24e Rue où vivaient les parents de Bob. Les rues étaient désertes. Parfois une silhouette de flic apparaissait à l’angle d’un block, un couple traversait une avenue luisante de pluie, un taxi débouchait d’un croisement, mais c’était rare.